Il va sans dire qu'une enquête publique s'impose dans le dossier des prisonniers afghans. En dépit des dénégations conservatrices, les allégations du diplomate Richard Colvin sont suffisamment solides pour aller au fond des choses. On ne peut se satisfaire de la défense d'un gouvernement qui jette l'opprobre sur ceux qui veulent lui ouvrir les yeux.
Ce n'est pas la première fois que l'attitude de représentants canadiens à l'étranger soulève de sérieux doutes. Sur le plan militaire, il y a eu, dans les années 1990, la répugnante mise à mort d'un adolescent somalien aux mains de soldats canadiens. Sur le plan diplomatique, on peut citer le sort de bien des Canadiens abandonnés à eux-mêmes, parmi lesquels Maher Arar, expédié et torturé en Syrie, et William Sampson, injustement emprisonné en Arabie saoudite.
Lors de la divulgation du rapport de la commission d'enquête sur l'affaire Arar, nous avions souligné la dangereuse naïveté de la diplomatie canadienne. Là où des pays aguerris, comme la Grande-Bretagne, n'avaient pas besoin de «voir» la torture en face pour en reconnaître la vraisemblance dans des pays comme la Syrie, le Canada, lui, se contentait des dénégations officielles et de l'absence de marques visibles de torture pour conclure que le prisonnier allait très bien, merci.
Mais le gouvernement Harper, nouvellement élu, disait alors avoir corrigé le tir en créant notamment un programme de formation pour que les agents diplomatiques sachent reconnaître les signes de torture. On ne se ferait plus avoir!
Richard Colvin, envoyé en Afghanistan en 2006 où il deviendra le numéro 2 de l'ambassade, n'a pas eu droit à une telle mise au point, mais l'homme avait du c¶ur, du jugement et du courage. Il a su interpréter le vraisemblable, basé sur la réputation des prisons afghanes, ses visites de celles-ci, ses rencontres de prisonniers — et la vue de leurs marques de torture! — et de multiples témoignages, toutes choses qui avaient fait comprendre à d'autres pays occidentaux présents en Afghanistan qu'il fallait y suivre leurs prisonniers à la trace.
Non seulement M. Colvin a ouvert les yeux et les oreilles, il a aussi tenté d'alerter une foule de personnes de ce qu'il découvrait. On lui a signifié de se taire, ce qui était déjà une étape de plus dans l'aveugle approche diplomatique propre au Canada. Un ordre qui persiste encore aujourd'hui puisque le gouvernement Harper a tout fait, même l'intimider, pour l'empêcher de témoigner publiquement.
Mercredi, il a enfin pu se faire entendre. Incapables de démentir ses allégations, ni de se contenter de faire valoir que le protocole de transfert des prisonniers a été modifié en 2007 (en soi une reconnaissance de la fiabilité des observations de M. Colvin), les conservateurs ont opté pour l'odieux: démolir la crédibilité du diplomate. Peter MacKay, ministre de la Défense, s'est bien ridiculisé en dénonçant le témoignage «inacceptable» de Richard Colvin. Il est au contraire troublant et exige des réponses.
Une enquête publique, plus large que celle que la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire souhaite mener (et que le gouvernement Harper a bloquée), permettrait de mettre au jour les comportements politiques et diplomatiques qui entourent ce qui relevait au départ de douteuses décisions militaires. L'arrogance conservatrice la rend encore plus nécessaire.
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