Sur le chemin de la fierté

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« Car se souvenir, c’est d’abord découvrir que nous ne portons pas l’odieux de l’histoire occidentale et savoir, au plus profond de nous-mêmes, que nous avons, plus que jamais, le droit, que dis-je, le destin de nous appartenir. »


On ne naît pas fier, on le devient, et le chemin de la fierté n’est pas un long fleuve tranquille.   


Quand j’étais petite, la Saint-Jean était ce soir de l’année où on faisait un feu chez ma tante et où on jouait de la musique, pendant qu’on s’occupait à calciner nos guimauves. Dans ma tête, c’était un simple soir de fête avec la famille et les amis. Un genre de Noël pas de cadeaux, mais avec ben de la mouche.    


Adolescente, la Saint-Jean signifiait la fin de l’école, l’arrivée de l’été et le début des vacances. C’était fête au village et j’adorais la célébrer, mais un jour, au détour du début de ma vingtaine, ma vision a basculé. Ma passion pour l’histoire s’est imposé comme une vocation, et traversée par une soif de grandeur et de fierté que je n'arrivais à étancher qu’à l’histoire des autres nations, la Saint-Jean générait maintenant en moi un malaise de plus en plus franc, que je peinais néanmoins à identifier.    


Ça m’insupportait de voir mes gens saouls morts, un drapeau du Québec noué en cape autour du cou, crier « vive le Québec libre », avant de vomir leurs tripes sur une chanson de Beau dommage. Mon sentiment a frôlé dangereusement le mépris, à cette époque, car tout ce que je voulais, au fond, c’était qu’on vaille plus que ça. Plus qu’un patriotisme de brosse qui ne sait que dégriser le reste de l’année. Qui ne sait que boire pour anesthésier quelque chose que j'étais alors trop jeune pour comprendre.    


C’est que j’ignorais à ce moment à quel point je n’avais aucune idée de qui j’étais et encore moins d’où je venais, mais puisque j’avais toujours été bonne élève, j’étais persuadée du contraire. Que je savais. Plus tard, quand j’ai commencé à prendre, d’abord conscience, puis la mesure ensuite de notre héritage, la Saint-Jean s’est mise à me coller un chagrin terrible au cœur, car elle mettait en relief ce que nous avions été forcés de devenir.    


Devant le traditionnel gars en boisson qui finit toujours par tomber dans le grand feu, je ressentais maintenant une peine aiguë. Je ne savais pas ce qui me faisait le plus mal : voir mes compatriotes s’enivrer jusqu’à la bêtise ou réaliser que ce comportement n’était en réalité que la manifestation d’un peuple blessé jusqu’à la lie de son identité et à qui il ne restait plus qu’à boire pour oublier? Qu'à faire la fête pour ne pas pleurer?   


Un jour, il y a quelques années, alors qu’on approchait de la fête nationale, je marchais au centre-ville de Montréal, perdue dans mes pensées, tiraillée entre mes vœux pour le Québec et la réalité des évidences qui m’apparaissaient alors profondément funeste. Comment faire, me demandais-je continuellement, comment faire pour renverser la vapeur? Pour faire marche arrière sans reculer pour autant? Une voiture est alors passée près de moi, comme une réponse inattendue, et mon regard s’est posé sur sa plaque d’immatriculation. Je me souviens. Combien de fois avais-je vu ces mots passer sans les voir, sans les comprendre? Mais de quoi devais-je donc tant me souvenir? Qu'avions-nous donc de plus à raconter que ce à quoi on nous avait si bêtement résumé?    


C’est là que j’ai saisi que les réponses que je cherchais éperdument étaient dans notre mémoire et que cette fierté que je souhaitais depuis si longtemps au cœur des Québécois ne pouvait venir que de là. Que si on avait tant cherché à nous éteindre et à nous confondre, c’était pour empêcher à tout prix que l’on prenne connaissance de notre réel passé duquel nous n'avons pas à rougir. Pour falsifier le souvenir de la force de nos pères et de l’immense courage de nos mères. Pour préserver l'emprise de la grande supercherie historique sur nos esprits et nos certitudes, qui empêchent savamment nos plaies générationnelles de guérir. Car se souvenir, c’est d’abord découvrir que nous ne portons pas l’odieux de l’histoire occidentale et savoir, au plus profond de nous-mêmes, que nous avons, plus que jamais, le droit, que dis-je, le destin de nous appartenir.    


Hier soir, j’étais sur la place d’Armes, entre la basilique Notre-Dame et le splendide monument à Maisonneuve, dont les statues me donnaient presque l’impression de prendre vie sous mes yeux. La dernière année a changé bien des choses et alors que je marchais tranquillement tout autour, une impression aussi douce qu’indélogeable est venue me murmurer que l’histoire du Québec était loin d’être terminée et que cette confiance que je ressens un peu plus chaque jour est absolument justifiée et légitime. Ce n’était pas encore la Saint-Jean, mais c’est au pied de cette fontaine, entre histoire, progrès et tradition, et à la lueur de ma propre flamme, que j’ai réitéré ma profession de foi ainsi que mon amour inconditionnel pour la nation québécoise, pour ma nation. Et l’émotion qui m’est montée du cœur m’assurait que demain, aujourd’hui, un peu partout ailleurs, d’autres lèveraient les yeux au ciel, comme autant de feux d’artifice.    


Les plus beaux d’entre tous.    


Chers amis, Québécois de tous les horizons, mais au même cœur battant, je vous souhaite une très, très belle fête nationale et d’en profiter surtout... pour une fois qu’y mouille pas!