Cela faisait des mois que les syndicats, les partis politiques et les gilets jaunes faisaient signer une pétition pour stopper la privatisation des aéroports de Paris. Plus d’un million de personnes avaient soutenu la requête réclamant un référendum d’initiative populaire. Les opposants étaient encore loin des 4,7 millions de signatures nécessaires. Voilà pourtant que, cette semaine, le gouvernement a annoncé qu’il n’était plus question de vendre les aéroports aux plus offrants. Du moins pour l’instant.
Après des mois de débats, la crise du coronavirus et l’effondrement de la Bourse auront donc eu raison du projet. Comme si l’actualité fournissait enfin le prétexte tant attendu pour stopper une initiative désapprouvée par 75 % de la population. Certains concluront que cette épidémie — qui pourrait bien provoquer la récession que tant de spécialistes attendent depuis longtemps — n’est qu’un accident de parcours sur le sentier de la mondialisation heureuse. Après tout, en 2003, l’épidémie de SRAS n’a guère empêché la terre de tourner. D’autres y verront le petit grain de sable que tout le monde attendait pour accélérer la dynamique d’une démondialisation déjà en cours depuis plusieurs années.
Il faut être un dévot fini du progressisme mondialisé pour croire que la mondialisation néolibérale est un processus inéluctable inscrit depuis toujours dans l’histoire de l’humanité. L’économiste du Massachusetts Institute of Technology Suzanne Berger a montré que les vagues de mondialisation ont la plupart du temps été suivies d’un retour au protectionnisme (Notre première mondialisation. Leçons d’un échec oublié, Seuil). La première mondialisation contemporaine, qu’elle situe en France au tournant du XXe siècle, fut stoppée net par la guerre de 1914. Et l’Armistice n’a pas rouvert les frontières, loin de là ! Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir naître une seconde vague qui prendra cette fois la forme d’un déplacement massif de population vers les États-Unis. La troisième vague, la nôtre, sera déclenchée par la déréglementation des marchés financiers dans les années 1980. Dans tous les cas, rappelle Berger, ce fut une décision politique.
« Stop ou encore ? » dit la chanson. Les signes avant-coureurs de ce que l’on pourrait à tout le moins qualifier de « pause » dans la mondialisation ne manquent pas. Déjà, le tournant imposé par Donald Trump à l’égard de la Chine a mis fin à l’extrême naïveté qui avait permis à celle-ci d’accéder à l’OMC sans la moindre contrepartie. Sans annoncer pour autant la fin de la mondialisation, l’économiste Jeffrey Frankel, de Harvard, voit dans ce virage le symbole de la fin d’une époque. Même un éventuel président démocrate, certes plus policé et moins brutal que Trump, ne reviendra pas à la crédulité d’hier.
En France, c’est la colère des gilets jaunes qui révéla au grand jour le sort peu enviable de ceux qui payèrent la note de la désindustrialisation sauvage des dernières décennies. Fait exceptionnel, on voit soudain des responsables, qui hier encore vantaient les bienfaits du libre-échange, s’émouvoir du fait que, quand la Chine s’enrhume, la planète éternue. Les voilà qui s’inquiètent du fait que 80 % des principes actifs entrant dans la composition des médicaments vendus en France viennent de Chine. Et les mêmes de se demander si l’industrie pharmaceutique dont dépend la santé des populations ne devrait pas être considérée comme un secteur aussi stratégique que l’industrie militaire.
Le mois dernier se tenait à Paris un colloque intitulé Populismes : vers une démondialisation agricole ?. À la faveur d’une réflexion écologique cette fois, on y discutait de l’importance des circuits courts. Depuis quelques années, en France, la plupart des régions ont adopté des politiques favorisant l’approvisionnement des cantines scolaires en produits frais exclusivement locaux. Un discours qui aurait été qualifié de bassement nationaliste et rétrograde quelques années plus tôt.
La fermeté nouvelle à l’égard du chantage turc et de la pression migratoire qui s’exerce sur l’Europe est elle aussi à mettre sur le compte de cette nouvelle attitude à l’égard de la mondialisation. Contrairement à une certaine gauche mondialisée qui refuse tout contrôle des flux migratoires, ceux qui ont vraiment lu Marx savent en effet que l’exportation des marchandises, les flux de capitaux et l’importation de la force de travail ne sont que les formes diverses d’une même mondialisation libérale.
Plus fondamentalement, en ces périodes troubles, on voit les peuples se tourner spontanément vers leur gouvernement national. L’Allemagne, l’Italie, la Pologne, l’Autriche, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie ont établi des contrôles sanitaires aux frontières.
Rien de tel qu’une épidémie pour vous ramener sur terre et dissiper les discours lénifiants sur les bienfaits de l’ouverture tous azimuts. Lorsque les choses deviennent sérieuses, les peuples se tournent vers la seule autorité qu’ils jugent responsable et dans laquelle ils ont vraiment confiance : l’État nation. Seul véritable garant de la sécurité des peuples.