Ottawa —C'est pour épargner de l'argent aux contribuables que le chef conservateur Stephen Harper prétend avoir déclenché les élections de manière précipitée, ce dimanche, conviant les électeurs à la plus longue campagne électorale de l'histoire canadienne.
Qu'importe si, ce faisant, les contribuables écoperont d'une facture deux fois plus élevée de dépenses politiques. Au moins, estime M. Harper, les partis ne pourront pas détourner les ressources gouvernementales ou parlementaires pour faire officieusement campagne.
Comme prévu, le premier ministre s'est rendu dimanche à 10 heures à Rideau Hall, la résidence officielle du gouverneur général, pour demander la dissolution du Parlement. Il a du coup confirmé la rumeur qui circulait depuis quelques jours. La campagne durera donc 79 jours (en comptant le jour du scrutin du 19 octobre), soit plus du double qu'une campagne «habituelle».
Les journalistes ont demandé au chef conservateur comment il justifiait une telle dépense. Car le prolongement de la campagne entraîne une hausse proportionnelle du plafond de dépenses autorisées pour les partis politiques — de 25 millions de dollars à 53 millions chacun — et pour les candidats — d'environ 100 000 $ à 213 000 $.
Or, toutes ces dépenses sont remboursables à 50% par l'État. La facture électorale doublera donc. M. Harper a fait semblant que cette donnée n'existait pas. «L'argent doit provenir des partis eux-mêmes et non du gouvernement, du Parlement ou des contribuables», a-t-il répété.
Les chefs du Bloc québécois et du Parti vert ont dénoncé cette situation. «Nous savons tous que c'est pour se donner un avantage partisan à même les fonds publics, contrairement à ce qu'il vient de nous dire. Je trouve ça indécent, c'est proprement du cynisme», a déclaré Gilles Duceppe.
Ce déclenchement hâtif «coûtera des dizaines de millions de plus aux contribuables, a pour sa part dit Elizabeth May. Chaque publicité négative que vous verrez, vous allez en payer la moitié. Honte à vous, M. Harper.»
Une élection coûte en moyenne 375 millions de dollars. Ces dépenses politiques supplémentaires et les salaires qu'Élections Canada devra verser plus longtemps à ses travailleurs d'élection pourraient bien faire gonfler la facture au-delà du demi-milliard.
Économie et sécurité
Stephen Harper a soutenu que la campagne en sera une pour déterminer qui est le meilleur gestionnaire de l'économie et qui peut prendre les meilleures décisions en matière de sécurité.
«Nous devons rester concentrés et maintenir le cap, a-t-il dit. La gestion de l'économie reste la priorité première de notre gouvernement [parti]. Nos choix sont prudents et nos actions sont disciplinées. Et c'est pour cela que nos emplois continuent de croître depuis six ans. Notre budget est équilibré et nous réduisons les taxes et les impôts des gens qui travaillent fort. Ce n'est pas le moment pour le genre de plan risqué qui cause tant de dommages ailleurs dans le monde.»
Avec les autres partis, a continué le chef conservateur, «il y aurait des impôts plus élevés, des dépenses irresponsables et des déficits permanents».
Lorsque les journalistes lui ont fait remarquer que depuis qu'il est au pouvoir, le Canada a enregistré sept déficits consécutifs et augmenté sa dette, au net, de 135 milliards (une hausse de près de 30%), M. Harper s'est rebiffé. «Nous avons la dette la plus basse des pays du G7, par une grande marge. Nous avons pendant une grande période une performance supérieure en matière de croissance et d'emploi que les autres pays industrialisés.»
Sur le plan de la sécurité, M. Harper a parlé de l'importance d'avoir des repères moraux dans la lutte au terrorisme. «Ce n'est pas le moment de la rectitude politique, de la gouvernance inexpérimentée ou du refus idéologique d'agir. C'est le moment d'affronter ce qui nous menace avec une clarté morale, avec force et détermination.»
Mulcair attaque Harper
Le chef du NPD, pour sa part, a lancé sa campagne de l'autre côté de la rivière, à Gatineau, par une déclaration de huit minutes. Il s’en est pris au bilan économique de Stephen Harper, torpillant l'image d'Épinal que le chef conservateur venait de dresser.
Après dix ans au pouvoir, «M. Harper a le pire bilan de croissance économique de tout premier ministre depuis les années 1960», a-t-il dit. «Il a affiché huit déficits de suite et a ajouté 150 milliards de dollars à la dette. [...] Visiblement, M. Harper, votre plan ne fonctionne pas.»
Contrairement à tous ses rivaux, le chef du NPD n’a pas pris de questions de médias dimanche. Il a répondu aux journalistes aux cours des deux dernières semaines, lors d’une tournée en Ontario, a défendu son équipe en coulisses.
Son discours s’en est pris uniquement au premier ministre sortant — dont M. Mulcair fait son principal rival dans cette course. Le chef du NPD a évité de mentionner ne serait-ce qu’une seule fois le nom du chef libéral Justin Trudeau. M. Mulcair a détaillé son plan, en le mettant en contraste par rapport aux années de M. Harper au pouvoir.
Le NPD veut rétablir les règles en matière environnementale, s’attaquer aux changements climatiques, plancher sur une réconciliation avec les Premières nations, et surtout miser sur le secteur manufacturier et la création d’emplois. «Nous allons relancer l’économie et aider les Canadiens à retrouver du travail. C’est notre priorité numéro un», a résumé M. Mulcair, avant de quitter les journalistes, qui lui ont lancé des questions sans obtenir réponse.
Sans évoquer le nom de M. Trudeau, il a tout de même lancé une flèche au chef libéral. «Les Canadiens méritent un premier ministre qui a l’expérience et le leadership nécessaires pour réparer les dommages causés par Stephen Harper», a-t-il argué.
Duceppe: «barrer la route»
À Montréal, le chef bloquiste a fait valoir que sa formation était la mieux placée pour «barrer la route» aux conservateurs. Il a rappelé de manière larvée qu'en 2011, lorsque les Québécois ont décidé de se rallier au NPD en croyant bloquer les conservateurs, ils ont plutôt hérité d'un gouvernement Harper majoritaire.
«Le problème, c'est dans le reste du Canada qu'ils ne les ont pas battus les conservateurs. Le NPD pis les libéraux, qu'ils fassent le travail, qu'ils les battent les conservateurs. Ils viennent nous demander à nous de faire leur job. On l'a essayé, on a vu ce que ça a donné, et puis on ne parle plus du Québec à Ottawa depuis que le NPD est là.»
Il s'en prend donc aux sirènes du vote stratégique qui suggèrent, même aux souverainistes, de voter pour le parti pancanadien ayant le plus de chance de prendre le pouvoir. «On demande à un peuple, une nation, de renoncer à ce qu'elle pense, à ce qu'elle veut, aux souverainistes qui existent au Québec, de mettre de côté leurs convictions pour voter de façon stratégique pour aider des gens à faire du travail qu'ils sont incapables de faire comme en 2011 dans le reste du Canada. On ne jouera pas dans ce film-là.»
Enfin, la chef du Parti vert, qui était dans sa circonscription de Colombie-Britannique, a invité les électeurs à prendre le temps de connaître sa formation. «Nous ne sommes pas un parti d'un seul enjeu, nous ne sommes pas un parti d'une seule personne.»
Le chef libéral, Justin Trudeau, s'adressera à la presse plus tard aujourd'hui.
L’annonce de la dissolution de la Chambre lance officiellement la campagne pour l’élection de 338 députés, 30 de plus que dans la précédente assemblée, dans un scrutin majoritaire uninominal à un tour. Au Québec, ce sera 78 circonscriptions plutôt que 75.
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