Certains événements culturels ont coupé l’Histoire du Québec en deux – pas au scalpel, mais à la hache.
La publication du Refus Global, qui a invité les Québécois à se libérer de l’emprise de l’Église catholique.
Les premières des Belles-Sœurs et des Fées ont soif, qui ont décoincé le théâtre québécois.
L’Osstidcho, qui a lâché lousse quatre superbes fous (Charlebois, Deschamps, Forestier et Mouffe).
Et la lecture de Speak White par son auteure, Michèle Lalonde.
« NÈGRES BLANCS »
Critique vitriolique du racisme et du colonialisme, ce poème-choc (qui me donne encore des frissons 52 ans après sa première lecture publique) affirmait, à l’instar de Pierre Vallières, que les Québécois francophones étaient les « nègres blancs » du Canada.
« Haussez vos voix de contremaîtres / nous sommes un peu durs d’oreille / nous vivons trop près des machines / et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils... »
« Speak White », c’est ce que des députés fédéraux anglophones avaient crié à Henri Bourassa.
C’est ce que l’establishment de Toronto ordonnait aux porteurs d’eau canadiens-français.
C’est ce que l’élite anglophone du Golden Square Mile aboyait aux jobbeux de Saint-Henri et de la basse ville de Québec.
« Speak White », c’était les Anglais qui nous disaient : « Vous n’avez aucune éducation, aucune culture et n’êtes bons qu’à travailler sur des chaînes de montage. »
TOUJOURS AUSSI PERTINENT
C’était en 1968.
Aujourd’hui, alors que le Québec rayonne sur la scène internationale, « Speak White » n’a qu’une importance historique, me direz-vous.
Cette bombe littéraire parle d’un temps révolu, dépassé ?
Eh bien, non.
Les Canadiens anglais continuent de nous crier « Speak White ». Plus fort que jamais, je dirais.
Mais leur « Speak White » ne veut plus dire la même chose.
Il veut maintenant dire : « Vous êtes xénophobes, intolérants, allergiques à la diversité.
« Speak White, faites comme nous, embrassez le multiculturalisme, cessez de vous accrocher à votre culture et à votre histoire, ouvrez-vous jusqu’à vous oublier !
« Speak White, cessez de vouloir imposer votre langue archaïque aux nouveaux arrivants, arrêtez de brandir votre drapeau à tout vent, ne voyez-vous pas que le nationalisme est un cancer, un virus, une peste ? »
UN RACISME DÉCOMPLEXÉ
C’est ce que Don Macpherson du Montreal Gazette nous dit : « Speak White ! »
C’est ce que Justin Trudeau pense : « Speak White ! »
C’est ce que la CBC nous répète, jour après jour : « Speak White ! »
Nous étions des petits porteurs d’eau sans ambition, tout juste bons à tondre le gazon du boss, comme le racontait Yvon Deschamps dans ses monologues.
Nous sommes maintenant des fascistes, des racistes, des xénophobes, la honte de l’Amérique.
Avant, les racistes anti-québécois se gardaient une petite gêne, ils murmuraient leur dégoût et leur mépris derrière des portes closes, dans des clubs privés.
Après tout, on ne crache pas sur des pauvres, c’est mauvais genre.
Maintenant que nous fumons les mêmes cigares qu’eux, ils sont décomplexés. Ils vomissent leur haine au grand jour.
Le « Québec bashing » est devenu un sport national, au Canada. On le pratique avec le sourire, sans mettre de gants blancs.
On continue de nous regarder de haut.
Sauf que ce n’est plus du haut de leur fortune qu’ils nous crachent dessus.
C’est du haut de leurs idées.
Tellement plus nobles que les nôtres, pauvres paysans frileux et bornés.