Souvenirs d’Octobre 70

Chronique de Louis Lapointe

Comme bien des jeunes de ma génération, à cette époque, nous avions été nombreux à être sympathiques aux revendications du FLQ. L’enlèvement d’un diplomate britannique avait été perçu par plusieurs comme un geste courageux, une forme de revanche contre l’Histoire et les Anglais qui, après nous avoir conquis, s’étaient adjoint le clergé catholique pour nous soumettre. Nous ne percevions pas alors la gravité de la situation. L’Histoire allait se répéter sous nos yeux. La quête de la liberté ne peut pas s’improviser.

La mort de Pierre Laporte allait complètement changer la donne. Comme mon père avait été le premier candidat du parti québécois dans le comté de Rouyn-Noranda, je devins alors le bouc émissaire idéal pour ceux dont la famille était viscéralement opposée à l’indépendance. Je vois encore les lettres PQ = FLQ inscrites sur le tableau de la classe. Je me souviens avoir reçu beaucoup de coups, d’insultes, et même avoir été suspendu par les pieds du deuxième étage de l’école afin que j’abjure ma foi indépendantiste et renie mon père.

Je me souviens aussi de ce soir où, assis devant le téléviseur, j’entendis Réal Caouette dire que mon père avait le sang dans les mains du fait qu’il avait été candidat du PQ, du pareil au même que le FLQ. Je me souviens de la profonde injustice de la situation. Mon père était un honnête gérant de caisse populaire au service de la population. Il n’avait rien d’un terroriste.

Des enfantillages vous direz. Mais étant de loin le plus jeune de ma classe de 9e (syntaxe), pouvant difficilement me défendre parce que j’étais aussi le plus petit, cela a certainement contribué à forger mon caractère. Je m'étais aussitôt identifié aux 400 personnes qui avaient été injustement traitées et emprisonnées par les forces de l’ordre à la suite de l'adoption par le gouvernement fédéral de la Loi des mesures de guerre, les plus nombreuses victimes d’Octobre 70. Plus jamais l’injustice du fait de mes opinions m’étais-je alors dit, j’avais 12 ans !

***

Si les injustices existent, c’est d’abord le fait du peuple qui les sanctionne dans la vie quotidienne. Il suit en cela l’exemple de ses dirigeants. Sans cette adhésion d’une portion de la population à l’autoritarisme des gouvernants, fût-elle minoritaire, il y aurait moins d’injustices. L’Italie fasciste de Mussolini avec ses camicie nere en est le plus beau cas d’école, un pays où la corruption fleurit encore aujourd’hui.

La justice ne peut tout simplement pas exister dans un pays où le peuple refuse de se donner une vraie démocratie. Quand l’appareil judiciaire est subordonné à l'arbitraire d’une caste, qu’on ne nomme que des amis du régime comme juges, il ne peut y avoir de justice. Il ne peut y avoir de vraie justice dans un pays conquis où il n’y a jamais eu de véritable liberté.

Le déséquilibre induit par la Charte canadienne des droits et libertés envers la population du Québec en est la preuve flagrante. Il y a une cohérence historique entre la décision de Pierre Trudeau de suspendre les droits démocratiques de tous les Québécois en octobre 1970 alors que, raisonnablement, rien ne le justifiait, et le fait qu’il ait imposé 12 ans plus tard sa Charte des droits et libertés au Québec, la minorité, grâce à l’appui de la majorité, les neuf autres provinces.

Une décision antidémocratique ne pourra jamais être qualifiée de juste, encore moins de légitime, c’est une évidence. Comment pourrait-elle apporter la liberté à ceux à qui elle impose le dictat de la majorité ? Il n’y a que dans les colonies qu’on agit ainsi !

Parce que la Charte canadienne des droits et libertés est un outil fondamentalement vicié, elle ne peut être source de justice pour ceux contre qui elle a été adoptée, d’autant plus que ceux qui sont nommés pour l’appliquer, les juges de la Cour suprême du Canada, sont majoritairement, sinon unanimement, au service de la majorité.

Lorsqu’on impose au peuple une loi suprême, la Charte canadienne des droits et libertés, sans son consentement et qu’on ne nomme que des amis du pouvoir pour la sanctionner, peut-on appeler cela justice, peut-on appeler cela démocratie, peut-on vraiment parler de séparation des pouvoirs ?

Voilà, pourquoi, dans mon souvenir, les événements d’Octobre 70 ont été un prétexte pour assassiner la démocratie et son corollaire, la justice, et priver ainsi toute une population de sa liberté. Ces événements ont été le prélude à des gestes antidémocratiques encore plus injustes, ceux de 1982, l’imposition d'une nouvelle constitution, d’une formule d’amendement et d’une charte des droits au Québec et à sa population sans son consentement.

Dans mon esprit, il n’y a qu’une seule façon pour les Québécois d’obtenir justice face à l’Histoire, se donner courageusement la liberté et démocratiquement l’indépendance.

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Fernand Lachaine Répondre

    4 octobre 2010

    J'avais pensé au moment où Trudeau impose la Loi sur les Mesures de guerre et je le pense encore aujourd'hui que c'était la fin du beau et bon Canada tel que les fédéralistes essayaient nous le faire voir.
    Ce pays que l'on nous enfonça dans la gorge (sans référendum et sans approbation de la part du peuple canadien-français) se montra finalement sous son vrai jour.
    Depuis ce temps tout à été fait pour affaiblir notre peuple et seule l'indépendance du Québec pourra nous sauver.
    Rien d'autres
    Fernand Lachaine