«On a banalisé un métier en le rendant accessible à tous, sans formation
ni compétences particulières. Une des premières raisons expliquant ce
manque d'intérêt pour une profession pourtant respectable est peut-être le
désir de gagner de l'argent facilement». Ces deux phrases et ce titre sont
tirés d’un article de Philippe Mollé paru dans le Devoir de la fin de
semaine portant sur le métier de serveur. Force est de reconnaître la
grande sagesse de ces réflexions et leur pertinence dans de nombreuses
autres situations, notamment en politique.
C’est justement le cas de Benoît Corbeil. Alors qu’on ne connaît toujours
pas les noms des principaux acteurs du scandale des commandites, ce sombre
plombier a été arrêté vendredi dernier pour complot, fraude et exercice
d'influence. Benoît Corbeil a eu le malheur de se faire prendre la main
dans le sac pour des infractions commises alors qu’il était directeur
général de la section québécoise du Parti libéral du Canada entre 1997 et
2001. Comble d’ironie, après avoir quitté le PLC, grâce à son réseau de
contacts et en raison de son aptitude à ramasser facilement de l’argent,
Benoît Corbeil s’est trouvé un emploi à la Fondation de l’UQAM où il est
devenu directeur exécutif et directeur du développement. Son rôle
consistait à solliciter des entreprises privées afin qu'elles apportent un
soutien financier à l'UQAM. Poste qu'il a quitté en 2005.
***
Jeudi soir dernier, en revoyant le «Peuple invisible» de Robert Monderie
et Richard Desjardins, j’ai été fasciné par le rôle qu’avait pu jouer le
ministre Guy Chevrette dans la tentative des Algonquins de Winneway de
devenir propriétaire de la centrale électrique avoisinant leur village. Le
ministre a préféré favoriser une firme ontarienne. On n’est pas étonné que
cet ancien ministre des richesses naturelles préside aujourd’hui
l’important lobby québécois des compagnies forestières. La politique et les
affaires exigent souvent les mêmes habiletés.
***
Alors que j’étais directeur de l’École du Barreau du Québec, le président
du conseil de l’École, un associé de Yves Fortier et de Brian Mulroney,
aimait me répéter que ce qui distinguait Brian Mulroney de la plupart des
autres avocats de son cabinet c'était le «Qui», la majorité des avocats
préférant poser la question «Quoi» à leurs clients.
Lorsqu’est survenue la vente d’Alcan à Rio Tinto l’été dernier, je n’ai pu
m’empêcher de penser à ses deux célèbres associés, Yves Fortier, président
du conseil d’Alcan et d’Ogilvy Renault et à Brian Mulroney, un ancien
premier ministre conservateur canadien et un ancien président d’Iron Ore
(IOC), une filiale de Rio Tinto. La même entreprise qui proposait alors
d’acheter Alcan, dont le conseil d’administration était présidé par Yves
Fortier, également ami et associé de Brian Mulroney au sein du cabinet
d’avocats Ogilvy Renault, la firme d’avocats retenue par Alcan pour
conclure la vente à Rio Tinto.
Ogilvy Renault pouvait compter sur toutes les ressources nécessaires pour
que la vente d’Alcan à Rio Tinto se réalise rapidement et avec
professionnalisme. Rien ne sortirait du cabinet, une discrétion absolue des
échanges entre les principaux acteurs étant garantie par le secret
professionnel. Nul doute que le «Qui» a eu une grande valeur stratégique
dans cette transaction à l’occasion de laquelle d’importantes richesses
naturelles du Québec ont été cédées à des étrangers sans que personne, ni à
Québec et à Ottawa, ne s’en inquiète ou ne s’y oppose. Quelqu’un a bien dû
trouver les bonnes paroles pour rassurer Jean Charest et Steven Harper,
deux conservateurs tout comme Brian Mulroney.
***
S’il y a beaucoup de serveurs et de porteurs d’assiettes qui veulent
gagner de l’argent facilement au Québec, cette situation ne se limite pas à
la restauration, la politique n’y échappe pas non plus. Malheureusement
pour nous, c’est souvent les réseaux de contacts qui permettent à de
nombreux décideurs de se hisser aux fonctions les plus stratégiques au
sommet de la hiérarchie de nos organisations où à défaut de compétences
particulières, ils pourront toujours compter sur les membres de leurs
influents réseaux à l’occasion de la prise d’importantes décisions dont les
conséquences financières seront sans communes mesures avec les minimes
pourboires que peuvent recevoir les serveurs et porteurs d’assiettes.
Louis Lapointe
Brossard
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Serveurs ou porteurs d'assiettes?
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
20 avril 2008Ah! C'est bien plus grave que cela. Pensez-vous qu'il ne s'agit que du Québec. La mondialisation rend tout ce que nous faisons à l'échelle canadienne, même pas québécoise, insignifiante. La classe moyenne un peu partout à travers le monde est en train de disparaître, comme la plupart des pays "supposément" indépendants.
Pensez-vous que le travailleur de Détroit a quelque chose à dire même aux USA ? Serveurs ou porteurs d'assiettes sont légions. Nous ne sommes pas les seuls à vivre ce drame. Il n'y a jamais eu autant de dépression, j'en suis un en ce moment. On s'aperçoit que l'on ne contrôle plus sa vie, plus son destin, plus ses émotions.
C'est vrai pour le Britannique moyen, pour le Canadien moyen, pour le Québécois moyen. Nous avons des problèmes particuliers au Québec, mais croyez-moi celui-là il est mondial.
Je ne fais plus d'illusions sur rien. Le "maître chez nous" même aux USA, ou en Suisse!, ou en Russie, est très relatif. Espérer malgré le désespoir. Si vous pensez que les serveurs ou les porteurs d'assiettes sont une caractéristique uniquement québécoise, je vous recommande d'aller faire un tour aux USA ou au Mexique. Nous n'avons pas le monopole, loin de là.
Archives de Vigile Répondre
20 avril 2008Du Rapport Gray sur la maîtrise économique au désamortissement frauduleux(1) afin de néocoloniser l’économie québécoise (1971-2008...)
Rappelons-nous ce passage du document Le Rapport Gray qui avait d’abord été publié le 12 novembre 1971, par le Canadian Forum de Toronto. Document résumé dans un bouquin de 213 pages, lequel est un abrégé du mémoire hautement confidentiel que le ministre fédéral du Revenu, M. Herbert Gray, avait soumis à l’examen du cabinet Trudeau :
Ceux qui auront cru, pour des motifs plus instinctifs que raisonnables, au beau slogan « Maître chez nous » lancé au début des années soixante par des hommes politiques du Québec, y verrront confirmée en froide logique et prose bureaucratique leur intuition fondamentale; et ils seront surpris de constater que ce ballon, si souvent dégonflé chez nous, fascine désormais des milieux influents de la fonction publique fédérale(2).
Vive le Québec libre de caciques, de tricheurs de la politique, de traîtres et de pilleurs des ressources fiscales et naturelles
_________________________
1. Pour analyser un cas-type de ce désamortissement frauduleux fait au détriment des Québécois, consulter : http://www.vigile.net/Quebec-du-piege-constitutionnel-au
2. Passage extrait du livre Le Rapport Gray. Ce que nous coûtent les investissements étrangers. Leméac/Le Devoir, 1971. Page, 11.