Arriver en tête : tel était l’objectif d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) aux élections régionales de dimanche 1er septembre en Saxe et dans le Brandebourg. C’est raté. Dans ces deux Länder d’ex-Allemagne de l’Est, la formation d’extrême droite n’a jamais enregistré des scores aussi élevés, mais elle a dû se contenter de la deuxième place, derrière l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en Saxe, et le Parti social-démocrate (SPD) dans le Brandebourg.
Cette deuxième place n’en fait pas moins de l’AfD le principal vainqueur de cette journée de vote, marquée par une très forte hausse de la participation (66 % en Saxe, + 17 points par rapport aux régionales de 2014 ; 60,5 % dans le Brandebourg, + 12,6). « Ça peut difficilement aller mieux », s’est félicité Jörg Meuthen, le coprésident du parti. Par rapport à 2014, la progression est spectaculaire. En Saxe, l’AfD recueille 27,5 % des voix (+ 17,7 points) ; dans le Brandebourg, 23,5 % (+ 11,3). Une poussée comparable est attendue en Thuringe. Dans cet autre Land d’ex-Allemagne de l’Est, où des élections auront lieu le 27 octobre, l’AfD est crédité de 20 à 22 % des voix, soit deux fois son résultat de 2014.
Au sein du parti, c’est l’aile la plus radicale qui sort renforcée des scrutins de dimanche. Dans le Brandebourg, l’homme fort de l’AfD s’appelle Andreas Kalbitz, une figure de l’ultra-droite dont la presse a révélé qu’il avait participé à des rassemblements néonazis à la fin des années 2000. En Saxe, le chef de l’AfD est Jörg Urban, qui a œuvré au rapprochement du parti avec le mouvement islamophobe Pegida, contre l’avis des plus modérés.
Tous deux sont membres de « L’Aile » (der Flügel), un courant de l’AfD animé par Björn Höcke, le patron de la fédération de Thuringe, proche des identitaires. Depuis janvier, ce courant a été « mis sous surveillance » par l’Office fédéral de protection de la Constitution, le service chargé du renseignement intérieur en Allemagne.
L’AfD était déjà la deuxième force politique aux parlements de Saxe-Anhalt, depuis 2015, et de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, depuis 2016. Il l’est désormais dans deux autres Länder de l’Est, confirmant son statut de principal parti protestataire dans cette partie du pays. Un rôle que lui disputait jusque-là Die Linke. Ce n’est plus le cas. Dimanche, la formation de gauche radicale, lointaine héritière du SED, le parti au pouvoir de 1949 à 1990 en Allemagne de l’Est, s’est effondrée : 10,4 % en Saxe (– 8,5 %), 10,7 % dans le Brandebourg (– 7,9 %).
Comme les régionales de Bavière et de Hesse, en octobre 2018, et comme les européennes de mai 2019, les élections de dimanche ont confirmé une double tendance. La première est le recul des deux grands partis traditionnels. C’est le cas de la CDU, qui perd 7,3 points en Saxe (32,1 %) et 7,4 points dans le Brandebourg (15,6 %). C’est aussi le cas du SPD, qui perd 5,7 points dans le Brandebourg (26,2 %) et 4,7 points en Saxe (7,7 %). Selon une étude de l’institut Infratest Dimap pour la chaîne ARD, la plupart des électeurs que le parti conservateur a perdus ont voté AfD. Le SPD, lui aussi, a vu nombre de ses anciens électeurs donner leurs voix l’extrême droite, mais beaucoup ont également voté pour les Verts.
La deuxième tendance, justement, est la montée des écologistes. Dans le Brandebourg, ils obtiennent 10,8 % (+ 4,6) ; en Saxe, 8,6 % (+ 2,9), devançant même le SPD, du jamais-vu. Certes, ces chiffres sont beaucoup moins élevés que dans les Länder de l’Ouest. Mais à l’échelle de l’ex-Allemagne de l’Est, où ils étaient habitués à des scores dérisoires, leur progression est notable. En particulier, dans les deux plus grandes villes de Saxe, Dresde et Leipzig, où ils sont arrivés en tête dans trois circonscriptions. Une première.
La poussée de l’AfD et le recul des deux grands partis traditionnels devraient rendre la constitution de majorités nettement plus difficiles que par le passé. Dans le Brandebourg, le SPD et Die Linke, qui gouvernaient ensemble, n’ont pas obtenu assez de sièges pour être majoritaires à eux deux. Trois partenaires seront désormais nécessaires là où deux suffisaient. Une alliance SPD-Verts-Die Linke ou une coalition dite « kényane » (rouge, vert et noir, soit SPD-Verts-CDU) sont envisagées.
En Saxe, la situation est plus confuse. Jusque-là, la CDU était alliée au SPD. A eux deux, ils ne sont plus majoritaires. Dans la mesure où la CDU a exclu de gouverner avec l’AfD et Die Linke, il ne reste plus que les Verts comme force d’appoint à l’actuel tandem CDU-SPD. Un attelage arithmétiquement possible mais politiquement explosif dans ce Land où les conservateurs et les écologistes sont à couteaux tirés, notamment sur la question de la sortie du charbon, qui a occupé une large place dans la campagne.
Le résultat des élections de dimanche peut-il peser sur l’avenir de la « grande coalition » d’Angela Merkel ? Certes, les scores des conservateurs et des sociaux-démocrates ne sont pas brillants, mais ils sont tout de même un peu plus élevés que prévu. Finalement, la CDU continuera de diriger le gouvernement de Saxe, et le SPD celui du Brandebourg, comme ils le font depuis la réunification, en 1990. Les deux partis sauvent la face. La CDU n’est pas humiliée comme aux législatives de 2017, où l’AfD l’avait devancée de 0,1 point en Saxe. Cette fois, elle est 4,6 points derrière.
Pour la « grande coalition » au pouvoir à Berlin, les choses auraient pu être pires. Cela ne veut pas dire que les prochaines semaines seront simples. La loi sur la protection du climat, qui sera à l’ordre du jour d’un conseil des ministres spécial, le 20 septembre, et le projet de retraite minimum, porté par les sociaux-démocrates mais combattu par les conservateurs, donneront sans doute lieu à des tiraillements au sein de la majorité, la menace d’une récession de l’économie compliquant nécessairement les choses.
Quant à la campagne pour la présidence du SPD, qui commence cette semaine et dont le résultat sera connu le 26 octobre, nul ne sait quelle direction elle peut prendre, tant l’humeur dans le parti est morose. De ce point de vue, les élections de dimanche ne devraient pourtant pas bouleverser les choses. Elles confirment des tendances. Mais, pour le SPD, elles n’ont pas la même portée traumatique – et donc pas le même potentiel déstabilisateur – que les européennes du 26 mai, où le parti a été pour la première fois devancé par les Verts à l’échelle nationale.