Johan Vande Lanotte, sénateur socialiste flamand, chargé depuis deux mois par le roi de remettre autour de la table les 7 partis qui discutent depuis juin 2010 pour former un gouvernement fédéral belge lui a remis sa démission mercredi. Les visions des uns et des autres sont encore plus opposées qu'il y a six mois. D'ailleurs, les partis wallons et francophones, d’une part, flamands de l’autre, engagés dans cette négociation depuis fin juin, ne se voient en fait plus directement depuis le 3 septembre. C’est dire l’impasse.
Impasse à dédramatiser
Le danger pour la Belgique de ne plus pouvoir emprunter à des taux raisonnables les sommes nécessaires pour rembourser sa dette doit être relativisé, car si l’Etat est endetté, les Belges ne le sont pas et sont les plus importants créanciers de leur Etat. S’il n’y a pas de gouvernement belge, il y a des gouvernements régionaux. Or ils exercent leurs compétences à un même niveau de pouvoir que l’Etat belge lui-même, pratiquement comme des Etats indépendants. Et cela pour plus de la moitié des compétences étatiques. La perspective d’une sécession belge n’est pas aussi dramatique qu’on ne le pense. Toutes les personnalités autour de la table admettent que l’accord actuel est difficile à réaliser. Mais il aurait comme conséquence que les trois-quarts des compétences étatiques seraient exercées maintenant par les Etats régionaux. Si on ne s'entend pas il faudra aller plus loin, à une séparation plus radicale, que personne n'envisage autrement que négociée. On va donc de toute façon vers une sécession, le fédéralisme belge étant un fédéralisme de dissolution. Or tous, y compris les Flamands radicaux, savent qu’une sécession négociée (et personne n’a intérêt à une autre formule), prendrait encore plus de temps. Autant y aller donc progressivement .
La situation de la Wallonie
Les institutions wallonnes (Parlement et gouvernement), sont muettes devant la crise. Les délégués wallons et francophones aux négociations adoptent une attitude dommageable.
Ils défendent leurs positions en considérant que l’intérêt de leurs mandants c’est le maintien d’un Etat belge protecteur, dont la partie francophone doit être antiflamande. La presse francophone (nationaliste belge), voit toute extension des compétences de la Wallonie comme une « concession » à la Flandre. Considère (par attachement à la Belgique), que la pire chose qui puisse arriver à la Wallonie ce serait d’être plus autonome. Comme moi, une minorité d’observateurs wallons donnent d’ailleurs raison aux Flamands à certains égards. Parce que la position wallonne consiste à refuser la liberté d’un peuple. Mais pas seulement.
Les précédents autonomistes wallons
On fête ces jours-ci, le cinquantième anniversaire de la grande grève de 1960-1961. Menée par André Renard, syndicaliste socialiste wallon exceptionnel, elle démarra sur un programme d’austérité d’un Gouvernement de droite à prépondérance flamande. Mais la grève prit rapidement un tour insurrectionnel. La violence de l’engagement ouvrier allait bien plus loin que le facteur déclenchant de la grève. En outre elle était surtout importante en Wallonie. En proposant l’autonomie de celle-ci comme finalité de la grève, Renard lui donnait un contenu à la hauteur de sa radicalité. La Wallonie n’allait plus très bien dans un Etat belge qui la détruisait. Pour réussir la grève, faire tomber le gouvernement, Renard demanda aux socialistes wallons de démissionner de leur siège au Parlement belge et de rejoindre les syndicalistes wallons qui, eux, avaient déjà rompu avec leur direction belge. Plus engagés dans le système belge que les syndicalistes, les parlementaires wallons refusèrent.
La Wallonie et le syndrome de Stockholm
Réunis à Saint-Servais, près de Namur (la future capitale de la Wallonie), ils adoptèrent des résolutions verbalement très autonomistes qui stupéfient. Ils se disaient les représentants légitimes du peuple wallon, considéraient que la Wallonie avait le droit de disposer d’elle-même. Mais ils ne démissionnèrent pas de leur siège au parlement belge. Ils lâchèrent Renard et les grévistes. Après, ils s’allièrent avec les démocrates-chrétiens dans un gouvernement de centre-gauche peu satisfaisant pour la gauche wallonne. A l’intérieur des syndicats et du parti socialistes, fut créé le Mouvement populaire wallon (MPW) clairement autonomiste. La direction nationale du parti socialiste, regroupant alors aussi les Bruxellois et les Flamands firent tout pour réduire cette dissidence rampante, interdisant d’appartenir au MPW et au parti. En 1965, logiquement, les socialistes wallons perdirent le tiers de leurs voix. Mais le parti socialiste belge était sauvé (mais pas pour longtemps, il se disloqua en 1978). Après 1965, les socialistes wallons tentèrent de se rattraper en adoptant un programme autonomiste qui ne fut appliqué que bien tard. La Belgique ne devint un Etat fédéral qu’en 1993-1999. En 99, le Parlement flamand vota des résolutions fort radicale pour plus d’autonomie. Côté wallon et francophone, notamment le Président socialiste Di Rupo répondit par la négative, présenta le plan de sauvetage de l’économie wallonne en disant qu’il fallait « sauver la Wallonie pour sauver la Belgique », une insulte de plus au renardisme de 1961. Très fiers d’eux, les partis wallons et francophones allaient pendant près de dix ans déclarer qu’ils n’étaient « demandeurs de rien » (au contraire des Flamands). Et en considérant que cette position « stratégique » les rendaient « forts » pour négocier. En réalité, refusant les propositions flamandes, ils exacerbaient le nationalisme flamand. C’est eux qui sont responsables du blocage actuel. Ils ont en outre réussi à persuader le peuple wallon que la pire chose qui puisse lui arriver serait de se gouverner lui-même. En voulant sauver la Wallonie pour sauver la Belgique, ils ont perdu la Belgique et ils n'ont pas sauvé la Wallonie. Depuis 1961, ils ne voient pas que ce n’est pas la fin de la Belgique qu’il faut craindre, mais la progressive destruction de la Wallonie dans un système qu’elle révère, illustration saisissante de ce que l’on appelle le syndrome de Stockholm.
Ces dirigeants de tous les partis wallons doivent donc démissionner après une décennie d'erreurs de jugement, d'aveuglements, d'impérities très graves pour le pays wallon dans lesquels ils ont entraîné une majorité de Wallons pour qui il est plus facile de taper sur les Flamands que de s'assumer.
Scission belge de plus en plus certaine
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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2 commentaires
José Fontaine Répondre
9 janvier 2011Effectivement, l'hébergeur avait raison: le site de la revue est à nouveau accessible.
Un petit article, rapidement rédigé au moment d'un nouveau pic de la crise belge, donne quelques pistes vers des articles anciens ou nouveaux qui l'éclairent: bonne situation économique de la Wallonie, problèmes internationaux en cas de de sécession, comment la Wallonie s'est profondément affaiblie dans le système belge (une étude du Professeur Quévit) : http://www.larevuetoudi.org/fr/story/pour-mieux-situer-la-crise-présente-612011.
La grande grève de 60-61 a été une occasion manquée.
Je comprends les Québécois qui se "souviennent" des patriotes et de la crise d'octobre 70.
José Fontaine Répondre
8 janvier 2011Pour le moment le site de TOUDI est difficilement accessible pour des raisons indépendantes de notre volonté. L'hébergeur pense que tout sera rétabli lundi.
Cordialement,
J.Fontaine