Des dizaines de pétitions sur la Belgique circulent actuellement et s’écrivent dans un esprit soi-disant multiculturel qui me laisse complètement froid parce que la multiculturalité ne se confond nullement avec la Belgique ni avec son maintien comme Etat et n’est même pas le respect de l’entente entre les peuples. Qui est de l’ordre du tragique comme l’a bien vu Taguieff (ou Jean-Marc Ferry), non de la guimauve patriotarde. Ou de cette multiculturalité qui prétend implicitement que la Fraternité des peuples serait au bout de cette indifférenciation sur le mode fusionnel, ce qui, précisément, l’empêche.
Tarte à la crème de la multiculturalité et réalité des conflits
D’accord avec l'objectif des trois Régions et sur l'autonomie de Bruxelles (que soulignent ces pétitions) qui doit se diriger elle-même, indépendamment de la Flandre et de la Wallonie, je ne peux pas être d'accord avec l'idée que la Belgique de papa fonctionnait mieux que l'actuelle, car elle a vu le détournement des fonds publics en faveur de la Flandre tel que décrit par Michel Quévit, un détournement dont certains effets seront encore mesurables jusqu'en 2014 (les fonds structurels européens) et qui a plus d'un siècle d'exploits à son actif. D’un autre côté, je peux comprendre ce qu’a fait la Flandre après avoir été grugée par la bourgeoisie francophone, mais elle aurait pu penser à nous…
La Belgique de papa n'a en nulle façon protesté contre le maintien des prisonniers de guerre wallons en Allemagne (et mon papa en était... tant qu'on parle de papa ...). Ce n'est pas elle qui a dressé le barrage et le veto sanglant du peuple wallon au retour du roi fascisant et pro-hitlérien Léopold III en juillet 1950. Elle a laissé se déstructurer l'industrie wallonne, elle a longuement combattu le fédéralisme wallon, défendu une logique de centralisation absurde dont la principale victime est le pays wallon où les relations Nord-Sud ont pris le pas sur les relations Est-Ouest fractionnant de cette manière son territoire (tout qui se rend compte du réseau des lignes de chemin de fer ou des autoroutes en Flandre peut constater que la centralisation belge n'y a pas le même effet, car les grandes villes flamandes sont liées les unes aux autres), elle a mobilisé 18.000 gendarmes et 18.000 militaires pour venir à bout de la grève de 60-61 réprimée avec une brutalité sans précédent (2000 arrestations de membres de piquets de grèves dont le séjour en prison a duré bien plus que le temps d'une arrestation administrative, certains en furent marqués à vie...), autant de morts qu'en 1950. Le Cardinal Van Roey avait jeté les bases morales d'une répression violente puisqu'il avait condamné la grève comme immorale.
La Belgique de papa a vu la ruine complète de ma région natale, le Borinage, où en deux ou trois ans 50 % (entre 1957 et 1960), des emplois ont disparu en raison de la fermeture de ses mines, les seules qui aient diffusé leurs richesses dans le pays tout entier (cette formule est utilisée ad nauseam par certains Bruxellois depuis 2000] qui, de plus, affirment contre toute logique économique que les navetteurs à Bruxelles ne rapportent rien à Bruxelles - alors qu'ils viennent à Mons, Liège, Charleroi en Ardenne et Namur avec les entreprises où il sont occupés non de Dieu!!!). Personne n'a jamais songé dans le « pays tout entier » à reconnaître la dette que celui-ci avait à l'égard des mineurs borains, ni d'autres bassins charbonniers wallons. On les a laissés crever, c’est tout. Ils ne dérangeront plus personne, ils sont à des centaines de pieds sous terre. Aucun « refinancement » n'a jamais été exigé par eux. Ils ne coûtent plus rien du tout. Seuls les pauvres ne coûtent rien. Ils rapportent même considérablement. La Belgique de papa a accompagné sans réagir et sans la mettre en cause la politique de développement à sens unique de la Flandre orchestrée depuis les lois d'expansion de 59 de G. Eyskens. Elle a poursuivi et approfondi la tenue en minorité de la Wallonie contre laquelle le leader socialiste bruxellois [Vandervelde s'insurgeait déjà avant 1914.
La Belgique «multiculturelle» détruit la Wallonie qui ne l'est pas moins
Il est opportun de défendre le point de vue régionaliste bruxellois mais pas d'une façon qui est autiste. Notamment en glorifiant une Belgique de papa dont Martin Conway a bien montré (dans sa remarquable synthèse précédant son Degrelle et la collaboration en Belgique), qu'elle avait pu organiser sur le sillon Sambre-Meuse l'une des plus féroces exploitations de la classe ouvrière en Europe. Voyez à cet égard le film Misère au Borinage (dont l'intégralité est sur la toile).
La Belgique de papa c'est la lente destruction du tissu social, culturel et économique de la Wallonie. Une Belgique dont les soi-disant humoristes de la RTBF continuent à chanter les louanges après que cette institution - qui n'est pas fédérale pourtant - aient supprimé toutes ses racines wallonnes (suppression des centres régionaux wallons et de Fréquence Wallonie). La Belgique de papa continue sous les espèces de la Communauté française à ridiculiser la Wallonie, également sur la scène internationale, en particulier en niant le caractère wallon d'un patrimoine dit « belge » à l'occasion de la présidence belge de l'Europe. C'est dans un cadre qui hérite de cette Belgique de papa que le chômage est en Wallonie plus du double de celui de la Flandre.
Phénomène qui est imputé, dans un discours semi-raciste, à des traits propres aux Wallons que la presse bruxelloise ne met que très rarement en cause et, le plus souvent, encourage ne serait-ce qu'implicitement (voir l'édito scandaleux d'E.Deffet lors de la catastrophe de Liège en février 2010 soulignant que cette fois il n'y avait rien à reprocher aux Wallons... ce cette fois vaut son pesant d'or - d'or noir de mépris).
Beaucoup de journaux édités à Bruxelles (sauf un peu moins "La Libre" et rarement la RTBF), ne font que reproduire mezzo voce les deux ou trois décennies de mépris organisé dans le Nord du pays à notre encontre (les transferts), par le Vlaams Blok. Ils ne se sont jamais vraiment distanciés de ce discours. Ils l'ont même (de fait) reproduit et amplifié (comme certains rattachistes!), en présentant à temps et à contretemps une image misérabiliste de la Wallonie qui est la seule qui vaille dans les salons bruxellois, proches des studios et des salles de rédaction médiatiques belges (francophones). Les négociations actuelles avec BDW ont en tout cas l'immense mérite de montrer et même de démontrer l'absurdité de l'incroyable remarque de Serge Govaert dans Le Monde Diplomatique de juin dernier: « la Wallonie vit sous perfusion de l'Etat belge » . Quand BDW l’a dit au Spiegel tout le monde s’est indigné. Je me demande pourquoi puisque c’est la vulgate belgo-belge implicite et tacite : en passant quelle tristesse pour ceux qui ont le coeur à gauche de lire ce journal pour d'autres raisons, mais d'y lire aussi pliplocquement des analyses et des reportages concernant la Belgique - ne parlons même pas de la Wallonie... - d'un manque d'intérêt, d'originalité et de pertinence de plus en plus désolants. Avec le zeste de négation de la Wallonie qui se doit d'accompagner souvent ce gâchis. Mais cependant une exception tout à fait récente:.
Je reste partisan d'une Région bruxelloise autonome et demeure conscient que Bruxelles est en face de défis démographiques et sociaux dramatiques. Mais cela n'excuse pas son autisme. Je ne signerai plus de pétition pro-belge. Même parlant de liens de solidarité entre les peuples qui composent ce pays, car cette solidarité nous est toujours présentée dans les formes d'une nostalgie belgicaine d'une Belgique qui a failli faire crever la Wallonie. On veut nous faire croire que, soustraite du cadre belge, la Wallonie ne serait plus que monoculturelle. C'est vraiment mal connaître la Wallonie! Il suffit de s'y promener un peu pour voir que toutes les origines, toutes les races, toutes les couleurs, toutes les langues s'y rencontrent et s'y mélangent. Comme c'est le cas d'à peu près tous les pays contemporains développés. Il faut que nous refusions cette astuce qui identifie Belgique et multiculturalité pour mieux stigmatiser ensuite ceux qui refusent la Belgique en leur imputant l'accusation de racisme. Taguieff a bien fait de montrer que celui gagne dans les discussions aujourd'hui, c'est celui qui parvient à traiter le premier son interlocuteur de raciste. (1)
(1) Voir un résumé de sa pensée dans le paragraphe Typologie des racismes .
Multiculturalité et Belgique de papa
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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