Sarkozy ou l'art de manier l'injure

La presse internationale épingle les propos du président français

Sarko: «communicateur doué aux idées courtes»

Les propos tenus par le président Sarkozy sur la performance de plusieurs leaders du G-20, rapportés dans Libération, ont déclenché une polémique qui a, cette fois, largement dépassé les frontières de la France. L'Élysée n'a pas eu d'autre choix que de nier des paroles pourtant confirmées par plusieurs élus. Une «grosse rechute» du président français qui fait beaucoup de bruit.
Paris -- On savait que Nicolas Sarkozy pouvait avoir un langage ordurier pour dénoncer la «racaille» des banlieues ou de simples opposants dans un salon de l'agriculture. On savait qu'il n'hésitait pas à consulter ses messages sur son téléphone portable même devant le pape. On savait qu'il ratait rarement une occasion d'envoyer promener les journalistes. Depuis deux mois, le président français a même dû envoyer des lettres d'excuse au premier ministre britannique Gordon Brown et aux chefs du Bloc et du Parti québécois afin d'atténuer certaines de ses déclarations.
Depuis quelques jours, ce n'est plus seulement la France qui s'étonne des frasques de son président, mais le monde entier. La polémique provoquée par les propos qu'a tenus Nicolas Sarkozy dans un simple dîner de parlementaires à Paris, la semaine dernière, n'a cessé d'enfler. Elle a défrayé la chronique en Espagne, aux États-Unis et dans la plupart des pays européens. Elle a même provoqué en France une telle avalanche d'excuses, de demandes d'excuses et de répliques cinglantes qu'une chatte n'y retrouverait plus ses petits. Tout cela pour quelques mots blessants soigneusement choisis par le président français.
Le «sauveur du monde»
L'affaire a commencé jeudi dernier alors que Libération rapportait les propos tenus par le président Sarkozy dans un dîner réunissant 24 députés et sénateurs. Comme ils appartenaient à toutes les familles politiques, il fallait s'attendre à ce que son contenu filtre dans la presse.
En recoupant plusieurs témoignages, Libération révéla que le président avait passé en revue la performance de plusieurs leaders du G-20, sans oublier, évidemment, de magnifier son propre rôle. Du premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, il déclara qu'il n'était «peut-être pas très intelligent». Mais c'était pour affirmer aussitôt que certains individus «très intelligents [...] n'ont pas été au second tour de la présidentielle». Une allusion à peine voilée à l'ancien premier ministre Lionel Jospin.
Le président n'allait pas s'arrêter en si bon chemin. Il affirma que si Obama était «subtil», «intelligent» et «charismatique», il n'avait «jamais géré un ministère de sa vie». De la chancelière Angela Merkel, il se contenta de dire qu'elle n'avait eu d'autre choix que de «se rallier» à sa position sur la relance de l'économie. Il n'oublia pas non plus de dire que le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait été «totalement absent du G-20». Et le président de conclure sur un ton plus inspiré: «L'important dans une démocratie, c'est d'être réélu. Regardez Berlusconi, il a été réélu trois fois.»
Nicolas Sarkozy a déjà été plus méchant et plus percutant. C'est probablement parce qu'il tirait dans toutes les directions à la fois que la presse internationale s'est emparée de l'affaire. À quelques jours de la visite de Nicolas Sarkozy à Madrid, le quotidien ABC, de droite, a dénoncé son «complexe de supériorité». Une caricature le représente juché sur des talonnettes géantes. «Aussi impressionnant que soit son bilan, il se pourrait qu'il se soit surpassé», ironisait le quotidien londonien The Guardian, qui juge ces propos «stupides» et «immatures». «Sarkozy est irrité par l'adulation dont jouit un dirigeant américain sans expérience», tranche le New York Times. Selon le quotidien, Sarkozy en veut à Obama d'avoir éclipsé sa réputation de «sauveur du monde».
Une «grosse rechute»
À Paris, il y a longtemps qu'on ne s'étonne plus de ce genre de frasques présidentielles. Mais jamais Nicolas Sarkozy n'avait suscité de réaction aussi internationale. À cause des enjeux diplomatiques, l'Élysée n'a pas eu d'autre choix que de nier tout en bloc, laissant même entendre que Libération avait menti. Ces dénégations ne trompent pourtant personne. Les propos rapportés par le quotidien ont été confirmés par plusieurs élus. «Je peux confirmer que rien de ce qui est dit dans cet article [de Libération] n'est faux», écrit sur son blogue le sénateur vert François de Rugy, qui était présent. Et il ajoute: «Le style de Sarkozy est ce qu'il est, et je m'étonne qu'après deux ans de présidence de la République, certains soient encore surpris.»
La polémique franco-française serait probablement retombée si l'ancienne candidate à la présidence Ségolène Royal n'avait jugé bon de s'excuser auprès de Zapatero pour le comportement de son président. Deux semaines après que, à Dakar, elle se fut excusée d'un discours de Sarkozy sur l'Afrique, les porte-parole de l'UMP n'attendait que cette occasion pour l'accuser à nouveau de «déshonorer la France». «Ça se soigne!» a même déclaré publiquement l'un d'eux, Frédéric Lefebvre. Histoire de jeter un peu d'huile sur le feu, l'ancien ministre socialiste Jack Lang, plutôt proche de Nicolas Sarkozy, a offert lui aussi ses excuses aux Espagnols... pour les excuses de Ségolène Royal! Hier, sur France 2, l'ancienne candidate accusait Nicolas Sarkozy d'être un «récidiviste dans toutes les formes d'agression verbale et de dénigrement».
Au-delà de la polémique exacerbée qui déchire la France, c'est le style provocateur de Nicolas Sarkozy qui est à nouveau en cause. Certains, comme le politologue Alain Duhamel, ne s'en offusquent pas. Nicolas Sarkozy est «un grand atypique, dit-il. C'est le contraire d'un hypocrite, ce qui est assez rare en politique».
Ce n'est pas l'opinion générale, à droite comme à gauche, qu'exprime assez bien un député socialiste modéré comme Pierre Moscovici. Selon lui, le président fait une «grosse rechute». Ces événements, dit-il, confirment les limites et les forces d'un «communicateur doué aux idées courtes».
Face au déni de l'Élysée, le quotidien Libération a lui aussi demandé au président de s'excuser. En vain! «Peut-on critiquer Sarkozy?» titrait en une l'édition d'hier. Le directeur Laurent Joffrin s'y inquiétait du comportement d'une partie des médias français, «rangés à la moindre escarmouche sous la bannière élyséenne».
Pour le journaliste Edwy Plenel, qui anime le site d'information Mediapart, ce qui frappe dans cet épisode, «ce n'est pas que Libé ait recueilli, et publié, des citations meurtrières du déjeuner fatal. C'est que ce type de citations soit si rarement publié dans la presse».
Correspondant du Devoir à Paris


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