La Légion d'honneur à Céline Dion? Pourquoi pas? La rumeur circule à Paris que le président français profiterait de l'animation qui entoure le 400e anniversaire de la ville de Québec pour remettre bientôt à la diva québécoise la décoration qui lui avait été attribuée en 2005. La révélation ne surprend pas. Elle apparaît même dans l'ordre des choses pour un président qui a toujours montré plus d'intérêt à l'endroit des vedettes du showbiz que pour la littérature, la musique et les arts en général.
Il y a longtemps que les présidents américains n'hésitent pas à exploiter à leur avantage la popularité des vedettes du petit écran. En France toutefois, les responsables de l'État avaient toujours fait preuve d'une certaine pudeur à cet égard. Bien sûr, cela ne les a jamais empêchés de faire la une de Paris-Match. Mais ils le faisaient en soignant leur profil culturel. Cette image était parfois surfaite, mais elle reflétait aussi une certaine réalité: en France, un président se devait de participer à la grande tradition culturelle française. Il pouvait même parfois y contribuer directement.
Ce fut le cas du plus prestigieux d'entre eux, Charles de Gaulle, qui, en plus d'être un chef militaire et politique, fut un écrivain dont les Mémoires ont révélé le talent. N'avait-il pas confié le ministère de la Culture à André Malraux? Sans jamais égaler le maître, ses successeurs tentèrent tant bien que mal de préserver une haute idée de la culture française. Pensons à Georges Pompidou, qui ne faisait pas semblant et qui laissa derrière lui le Centre Georges-Pompidou ainsi qu'une anthologie de la poésie française toujours rééditée. Pensons à Valéry Giscard d'Estaing, qui créa le Musée d'Orsay et l'Institut du monde arabe et qui vient d'accéder à l'Académie française. Pensons surtout à François Mitterrand, qui aimait s'entourer d'écrivains et qui était l'ami de Marguerite Duras. Il chargea son puissant ministre de la Culture, Jack Lang, de mener une politique de prestige à laquelle on doit le Grand Louvre, l'Opéra Bastille et la Très Grande Bibliothèque. Même si Jacques Chirac fut plus discret à cet égard, on le disait passionné d'art oriental. Il a d'ailleurs laissé derrière lui le nouveau Musée des arts premiers au quai Branly.
Rien de tout cela chez Nicolas Sarkozy, qui est le premier à rompre avec cette longue tradition. Le nouveau snobisme de l'ère Sarkozy ne consiste plus à s'afficher avec un écrivain mais avec Johnny Hallyday. Il consiste à faire des assemblées électorales où on chante en anglais de vieux tubes américains décrépits. Pourquoi aller voir le pape avec Philippe Sollers quand on peut le faire avec le comique troupier Jean-Marie Bigart, comme vient de le faire Nicolas Sarkozy? Pour sa première apparition publique avec Carla Bruni, le président n'avait pas choisi la pyramide du Louvre mais Disneyland.
Un an ou deux avant son élection, le candidat avait bien essayé de redorer son blason. On le voyait alors frayer avec l'historien Max Gallo, qui vient d'ailleurs d'être récompensé en entrant à l'Académie française. Mais ça n'a pas duré. Le naturel est revenu au galop. Sa ministre de la Culture, Christine Albanel, est aujourd'hui une des personnalités les moins influentes du gouvernement. Comme l'écrivait le Herald Tribune cette semaine, «la culture n'est tout simplement pas l'affaire de Sarkozy».
Sa récente réforme de l'éducation illustre ce propos. En campagne électorale, Nicolas Sarkozy s'était fait fort de combattre ce qu'il nommait l'héritage de Mai 68 qui, disait-il, aurait saccagé l'autorité scolaire. Mais il oubliait que la France s'était engagée à partir de 2000 dans une réforme de ses programmes qui, loin des utopies pédagogiques qui sévissent au Québec, visait à les recentrer sur l'apprentissage des matières de base. L'opération commandée par le ministre socialiste Jack Lang était placée sous la direction du philosophe Luc Ferry, que personne ne peut accuser de céder aux utopies soixante-huitardes puisqu'il est l'auteur, avec le philosophe Alain Renaut, d'un ouvrage très critique sur cette époque, intitulé La Pensée 68 (Gallimard).
Lang et Ferry écriront des programmes lisibles, rétabliront un enseignement de l'histoire chronologique, accorderont la priorité à l'étude des grands textes littéraires et redonneront la primauté à la lecture et à l'écriture dans toutes les matières. Mais Nicolas Sarkozy préfère attiser le «populisme scolaire». Résultat: en réécrivant inutilement les programmes, en augmentant les heures d'éducation physique et en introduisant de fastidieux cours de morale - il fallait bien proposer quelque chose -, le temps consacré au français et à l'histoire diminuera au primaire. Par son ignorance des dossiers et son empressement à pratiquer la «rupture» à tout prix, le président vient de semer la pagaille dans un secteur où les choses allaient relativement bien. Un peu comme il vient de le faire dans l'audiovisuel avec TV5.
C'est à croire que Nicolas Sarkozy a consacré plus de temps aux magazines people relatant sa dernière visite au château de Windsor qu'à lire les ennuyeux programmes scolaires ou la charte de TV5. C'est peut-être en feuilletant un de ces magazines qu'il est tombé sur le nom de Céline Dion. S'il avait plutôt consulté l'avant-dernier numéro du magazine hebdomadaire du Monde, il serait tombé sur une belle entrevue de Gilles Vigneault, qui viendra bientôt fêter ses 80 ans à Paris. Le poète y exprime des choses simples. Il y dit justement que le Québec d'aujourd'hui ne saurait se résumer à Céline Dion. Que celle-ci représente plutôt Las Vegas. Qu'il ne l'a jamais entendue s'exprimer sur le Québec et son avenir. Que cette chanson commerciale qui se décline souvent en anglais n'a rien à voir avec les Sylvain Lelièvre, Claude Gauthier et autres Richard Desjardins.
Et le poète de conclure que lorsque le mot wine sera écrit sur les bouteilles de vin, celui-ci n'aura plus le même goût. Mais Vigneault, lui, ne sera pas décoré. D'ailleurs, il n'en a pas vraiment besoin.
crioux@ledevoir.com
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