Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Le 24 juillet, le tribunal local de Leipzig a désigné un liquidateur judiciaire pour l’entreprise locale de construction métallique IMO. Existant depuis 120 ans, cette entreprise employant 320 personnes est spécialisée dans les constructions en acier et réalisait, jusqu’à récemment, des affaires avec la Russie. Maintenant elle est ruinée. Les sanctions contre la Russie avaient entraîné pour l’entreprise des pertes de revenus et de profits ne pouvant plus être compensées. Si les nouvelles sanctions contre la Russie – adoptées le 25 juillet par la Chambre des représentants des Etats-Unis avec seulement 3 voix d’opposition et le 27 juillet par le Sénat avec seulement 2 voix d’opposition – entraient effectivement en vigueur est étaient appliquées, de nombreuses entreprises européennes pourraient tomber en faillite à l’instar d’IMO à Leipzig. Car, cette fois-ci, un projet important à bien des égards pour la Russie et les autres pays européens – le gazoduc Nord Stream II menant directement de la Russie à travers la mer Baltique à l’Allemagne – serait affecté. La décision de la Chambre des représentants et du Sénat (= Congrès) permettra au président des Etats-Unis d’imposer de sanctions contre toutes les entreprises participant à des projets énergétiques russes, dont Nord Stream II, explicitement mentionné.
La politique américaine a agi unilatéralement et sans consulter ses partenaires européens. Les critiques européennes concernant la nouvelle décision du Congrès sont massives. Même le gouvernement allemand a déjà déclaré en juin – à cette époque, les plans pour de nouvelles sanctions étaient connus – que ces nouvelles sanctions seraient «contraires au droit international». Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires étrangères, avait ajouté: «Il n’est pas acceptable d’abuser des sanctions pour évincer du marché le gaz russe afin de mieux pouvoir vendre le gaz américain.» En fait, les Américains veulent imposer aux Européens le gaz liquéfié venant des Etats-Unis plutôt que celui venant de Russie. Le 18 juillet, Gabriel avait plaidé, contrairement au Congrès américain, dans une interview accordée au magazine Focus en faveur de la levée progressive des sanctions contre la Russie.
Les entreprises européennes concernées ont aussi pris la parole. Dans une tribune pour le «Frankfurter Allgemeine Zeitung» (24/07/17), Rainer Seele, directeur général du groupe énergétique autrichien OMV participant au projet de gazoduc, a écrit: «Le gaz liquéfié américain (LNG) est naturellement en concurrence avec le gaz russe – rien à objecter à cela. Mais il doit être clair, et le ministre allemand des Affaires étrangères Gabriel le dit clairement: l’approvisionnement énergétique de l’Europe est toujours et encore une affaire européenne et non pas l’affaire des Etats-Unis […]. L’Amérique ainsi que la Pologne et les pays Baltes n’ont aucun droit de veto et de blocus contre les relations russo-européennes dans le domaine du gaz, y compris les gazoducs.» Non seulement pour l’OMV, mais également pour d’autres entreprises participant à ce projet de pipelines telles que BASF, E.ON, Wintershall et Shell, la mise en œuvre des sanctions du Congrès américain signifierait des pertes de plusieurs milliards. Matthias Warnig, directeur de la Société de développement du gazoduc Nord Stream II, a ajouté dans le «Handelsblatt» allemand (19/07/17): «Si les sanctions sont effectivement mises en œuvre, les effets sur l’approvisionnement en pétrole et en gaz seraient considérables. A ce stade, tous les pipelines exportant du pétrole ou du gaz de Russie y sont soumis.»
Willy Wimmer, ancien secrétaire d’Etat allemand au ministère de la Défense, s’exprime clairement. Selon lui, les nouvelles sanctions du Congrès américain représentent aussi une guerre économique contre l’Europe. Dans une interview accordée à l’agence de presse russe Spoutnik (26/07/17), il a déclaré: «Aux Etats-Unis, ces sanctions se dirigent visiblement contre leur propre président qu’on veut emmuré. Mais elles se dirigent également contre l’Europe qu’on veut étouffer sur le plan économique.» Il observe depuis longtemps «que les Etats-Unis étendent leur propre législation sur les territoires étrangers. C’est un comportement typiquement colonialiste.» Et à l’adresse des responsables de l’UE: «Si l’UE ne peut pas se décider maintenant, parce qu’elle ne l’ose pas ou pour quelque autre raison, elle va perdre toute confiance aux yeux du public européen et de ses électeurs. Il ne s’agit pas seulement de la survie économique de l’UE, mais aussi de l’honneur politique. Il n’est pas acceptable que nous soyons gouvernés par des mesures arbitraires de Washington. […] Nous voyons sur toute la largeur des relations avec Washington que nous sommes soumis à des éléments faisant apparaître au minimum une guerre économique. […] Si l’Union européenne fait maintenant des génuflexions devant ces sanctions, elle risque de perdre tout son avenir économique.»
Finalement, il faut souligner que cette nouvelle décision de sanctions est une déclaration de guerre des Etats-Unis envers la Russie (cf. interview de Willy Wimmer ci-contre). Les débats au Congrès sont un mauvais exemple démontrant la démagogie et l’agressivité avec laquelle la Russie est «diabolisée» aux Etats-Unis. Les réactions officielles prudemment formulées par la Russie montrent que cela est perçu ainsi. Leonid Sluzki, chef de la Commission des Affaires étrangères de la Douma, a déclaré le 26 juillet: «L’extension des restrictions sape la possibilité de reconstruire les relations russo-américaines et les rend plus difficiles, pour un certain temps au moins […]. Les possibilités de dénouer le nœud gordien dans le dialogue entre les Etats-Unis et la Russie sont extrêmement limitées.»
Horizons et Débats | 7 août 2017
Source: Zeit-fragen.ch
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