Ce texte de Michel Onfray est une réponse à celui-ci, publié le 4 juillet dans Libération par quatre philosophes. Le point de départ de la polémique est un article de Michel Onfray dans le Point du 7 juin sur Qui est Dieu ?, un livre de Jean Soler.
Je trouve vraiment très drôle, de la part de ceux qui font de moi un «malade» ( à quoi bon, sinon, le «symptôme»...), un démagogue, un être vulgaire, bas, un imposteur, un personnage inconsistant, une personne avide de revanche, un individu ayant seulement la réputation d’être un philosophe, un amateur de niaiserie philosophique, un signe de l’effondrement de la pensée, un compagnon de route de l’antisémitisme, sinon, un antisémite, de passer pour un homme du ressentiment ! C’est l’hôpital institutionnel qui se moque de la Charité... Je ne descendrai pas, pour ma part, aussi bas que ceux qui parlent au nom de «la communauté philosophique» - une tribu dont je me moque autant que de ma première tétine... L’attaque ad hominem n’honore pas ceux qui la pratiquent à défaut de vouloir (sinon de pouvoir...) débattre vraiment sur les idées.
Le problème est ailleurs. A-t-on le droit, en France, aujourd’hui, de lire les textes, qu’on nous présente comme sacrés, avec l’œil du philosophe ? Peut-on, quand on aborde le Talmud, mais aussi la Bible et le Coran, penser encore debout ? Ou faut-il d’abord se mettre à genoux ? Ceux qui sont obligés de se mettre à quatre pour insulter en croyant qu’ils pensent, défendent l’agenouillement - voilà l’enjeu véritable. Libre à eux. Nous n’avons effectivement pas les mêmes valeurs. On peut faire comme si la philosophie des Lumières n’avait pas eu lieu. Pour ma part, je n’ai pas envie de revenir en deçà du XVIIIe siècle, à la période scolastique où l’Inquisiteur tient toute la place ! La génuflexion devant le papier-bible des légendes monothéistes ou celui des œuvres complètes de Levinas, Derrida, Blanchot transformés en Père, Fils et Saint-Esprit de la philosophie n’y fera rien.
Où est mon crime ? Avoir invité à lire Jean Soler, un auteur qui, depuis un demi-siècle, effectue une lecture des monothéismes en homme debout ! De la même manière qu’avec le chevalier de La Barre à qui le pouvoir a coupé le poing et la langue, qu’on a torturé et décapité, puis brûlé en 1765 avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire parce qu’il n’avait pas ôté son chapeau au passage d’une procession, la communauté philosophique autoproclamée envoie aujourd’hui au bûcher celui qui n’ôte pas son chapeau devant les processions monothéistes (précisons : processions juives, chrétiennes et musulmanes, qu’on lise mon Traité d’athéologie publié en 2005, plutôt que le compte-rendu d’un livre dans un hebdomadaire).
Quel meilleur bûcher, aujourd’hui, que l’insinuation d’antisémitisme ? Je dis bien insinuation, car ces philosophes autoproclamés emblématiques de la communauté écrivent sous la dictée d’avocats pour éviter le procès en diffamation. On laisse entendre que... On suppute... On suppose... On appuie le clin d’œil... De la part de gens qui font carrière dans l’obscurantisme de la pensée et dans la confusion du style, la contorsion rhétorique est une seconde nature. Ce vice ajouté à la plume du procédurier fait merveille dans l’art du corbeau... Voir ou revoir Clouzot !
Faut-il préciser à cette communauté philosophique réduite à quatre, que, toute à sa haine, elle oublie que j’effectue un travail tout simple : celui du philosophe laïc ? Autrement dit : je revendique le droit de lire les textes fondateurs du monothéisme comme je lis l’Edda, la Bhagavad-Gîta ou les Lois de Manou : en philosophe laïc et athée, et non en croyant dévot.
Lire aujourd’hui le Talmud avec un souci herméneutique athée et laïc vaut d’être traité d’antisémite ; aborder la Bible avec les outils exégétiques qui furent ceux de Spinoza (excommunié par les rabbins...), de Richard Simon (persécuté par les jansénistes, les bénédictins, Bossuet, le pouvoir royal), de Jean Meslier (puni par la hiérarchie catholique) ou de Prosper Alfaric (excommunié par le Vatican), déclenche l’insulte «blasphémateur» ; étudier le Coran avec une méthode historique fait du lecteur laïc un «islamophobe»... Sale temps pour la pensée debout !
Je rappelle, pour information, que l’invitation à se relever pour penser debout date, en France, de 1637, date de parution du Discours de la méthode de Descartes. J’ajoute que Heidegger, dans son séminaire de l’été 1933, sous régime nazi donc, faisait de l’enseignement du philosophe français à l’université un signe de décadence intellectuelle... Je précise enfin que la carte de Heidegger au parti nazi avait pour numéro : 312 589.
Qu’on me permette, pour ma part, de me réclamer de Descartes, sinon de Voltaire, et non de Heidegger - mais est-ce encore possible dans ce siècle où le nihilisme n’est pas où l’on croit ? Je crains que non.
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