PASCAL BACQUÉ - Après que, dans La Règle du Jeu, quelques articles sont parus sur Michel Onfray, Libération a publié une note de quatre philosophes, auxquels le grand homme libre, qui pense debout, répond.
Affligeant.
Monsieur Onfray est un philosophe athée et laïc ; comme il nous explique qu’il lit toujours les œuvres complètes avant de parler d’un philosophe, il a donc lu les œuvres complètes de Voltaire qui avait tout de même, tout infect qu’il fût, autrement de talent pour la satire que notre grand prêtre de la philosophie populaire (lequel, signe majeur, est tout sauf drôle) – mais témoignait, pour l’occasion, d’un antijudaïsme un peu gênant ; et il a constaté qu’il ne pouvait se réclamer de Voltaire ; c’est donc de Descartes, « sinon » (ah ! Sinon !
Monsieur Onfray fait toujours un usage délectable de sinon ; revoyez, dans mon précédent billet, « sinon les néonazis » ; comme il est dommage que la psychanalyse ne soit qu’une vaste fumisterie, aux dires de notre grand prêtre populaire ; nous aurions certainement pu gloser, s’il n’en avait pas été ainsi, sur son usage du signifiant) de Voltaire qu’il se réclame. Ah ! Quel grand homme ! Il nous fournit les dates, de même que, curieusement, le numéro de la carte du parti Nazi de M. Heidegger. Ah ! Je comprends ! Il veut nous dire qu’il est sérieux, et qu’il compulse les sources, lui. Il va sans dire que le numéro de la carte du parti nazi de M. Heidegger est d’une grande utilité pour l’intellection du nazisme de Heidegger ; M. Onfray, philosophe laïc et athée, sait ce que c’est, que l’exactitude et la méthode ; c’est précisément pour cela qu’il est l’ami de l’auteur dudit Discours de la méthode.
Monsieur Onfray trouve drôle, donc, que des philosophes l’aient taxé de ressentiment ; il s’en ébaubit. Et de nous faire le coup : « je pense, moi ; je pense debout ! Comme Descartes ! Lequel a été persécuté par Heidegger ! » ; et donc, après avoir été l’intime de Nietzsche, le voilà investi grand copain de Descartes, et s’amusant de n’être pas franchement traité d’antisémitisme. Heureusement, donc, que les philosophes susmentionnés ont des avocats ; mais si, Madame Michu, je vous assure, ils ont des avocats, et ils veulent nous faire la peau ; mais vous allez voir, Madame Michu, on va se battre, nous, on est d’irréductibles gaulois !
(Parenthèse – il faut tout de même le dire : pourquoi Descartes ? Pour son public. Parce qu’Onfray, qui ne dit jamais que ce qu’on a déjà dit, entend que Descartes, c’est la France. Or le public de M. Onfray, fort heureusement, est français. Si je vous dis par exemple : « Ras-le-bol de ces juifs qui nous font chier avec leurs salades ! On n’aime pas qu’on nous emmerde, nous ! On est libre, nous ! On est en France, ici ! », imaginez-vous un cafetier bien gouailleur, du passage Choiseul par exemple, en train de le dire en 1932 ?
Concevez-vous, par ailleurs, qu’après s’être rhabillée après l’épuration, la gouaille française ait pu prendre des visages beaucoup plus lisses, mais tout aussi répugnants ? Bobos, par exemples ? Ou bobeauf, puisque tout de même notre ami mérite qu’on lui fourbisse des néologismes ? Et que la France, je veux dire la langue – car c’est cela que la France – de Baudelaire, de Mallarmé, de Racine, de Descartes et de Molière – cette France-là, claire de l’hermétisme à la farce, une depuis la farce jusqu’à l’hermétisme, en soit peut-être irrémédiablement assassinée ?)
Il faut donc épiloguer ; oui, certainement pas argumenter ou discuter avec M. Onfray, mais épiloguer ; non pour lui, mais pour ses émules, qui se font benoîtement avoir par notre grand prêtre.
Descartes, dans la troisième méditation métaphysique, et préparant son coup depuis la première, démontre l’existence de Dieu. Oh ! Horreur ! Dieu, vous vous rendez compte, Madame Michu ! Revoilà l’inquisition et les ayatollahs, ceux qui sont en train d’écorcher le pauvre Michel Onfray, martyr de la vérité, Spinoza du 22e siècle !
Dieu, donc. Sentez-vous, éprouvez-vous le malaise, Madame Michu ? Dieu. Derrida, Blanchot, par exemple, (c’est hautement comique, d’ailleurs !), sont d’affreux petits émules de Dieu, dans la réponse de M. Onfray ; Derrida est évangélique ! Mais que dire de Descartes ? Qu’il est athéologue, quand il nous démontre l’existence de Dieu ?
Dieu, c’est cela qui est remarquable avec le langage, a toujours été un homonyme. Dieu signifie la religion, c’est-à-dire la folie, la superstition, la haine et l’imaginaire ; eh bien cette gêne que vous ressentez en parlant de Dieu, c’est exactement, chère Madame Michu, digne élève de M. Onfray, un sentiment religieux. Haine religieuse, irrationnelle, imaginaire, de Dieu ; athéisme religieux.
Quand Dieu, au contraire, dit cette intellection, au cœur de l’intelligence de l’homme, d’un au-delà de son intelligence qui le requiert dans son intelligence ; d’un au-delà de sa raison qui le requiert dans sa raison ; c’est exactement ce que Descartes éprouve, à partir du malin génie, et c’est de cela, strictement de cela, que le Talmud, tout entier, s’édifie. Le Talmud, vertigineusement, déploie le feu d’artifice d’un appel à l’intelligence, à l’infini. Bien sûr, il y a des crétins ; des crétins qui l’étudient, et n’y comprennent rien, et des crétins qui l’ouvrent une fois dans leur existence, et s’ébaudissent. Il faut qu’il y ait des crétins ; insondable mystère ; donnons-le en pâture aux prêtres.
Mais Descartes et le Talmud ont à travailler ensemble. Et je dirais même que c’est une faute des talmudistes, s’ils ne travaillent pas avec Descartes, de même que c’est une faute des cartésiens, s’ils ne travaillent pas avec le Talmud. Oh ! Pas une de ces fautes qui envoient les grands esprits comme M. Onfray dans les griffes des tortionnaires, et lui arrachent ses épouvantables cris de douleur, n’ayez crainte, Madame Michu ; je sais que vous tremblez en entendant « faute », autant qu’en entendant « Dieu ».
Faute de l’esprit. Faute de l’intelligence. Car c’est vrai. Rien n’est plus irréligieux que le Talmud. Au moins Rosenzweig l’avait-il compris, apprenant dans le Talmud que le devoir foncier qu’on requérait du Juif, c’était d’être irréligieux. Maïmonide ne dit pas autre chose. Le Sinaï ne dit pas autre chose. « Vous ne vous ferez pas d’idoles. »
« Le penchant au mal, dit le Talmud, l’ange de la mort et le Satan sont une seule et même chose. » Maïmonide traduit (nécessaire ésotérisme, nécessaire obscurité du Talmud, qui recourt à l’image, à la métaphore, à la métonymie et à l’amphibologie pour protéger son dire ; cela s’appelle, en français, un piège à cons) : l’ignorance. Le non-savoir.
Flaubert aurait dit : la bêtise. On rajoutera : la religion.
Qu’est-ce qu’un religieux ? Tout religieux ? C’est un con. Un con qui, se refusant à penser, se dit pensant. Un con qui se gargarise des approximations de sa cervelle. Un con qui se raconte qu’il est grand, qu’il est quelqu’un, que l’âme d’une pensée le traverse ; qui n’a pas encore rencontré, entre le Réel et la vague bouillie dont l’intersubjectivité fait sa « réalité », une béance ; qui nommé-je ? Un ayatollah ? Un littérateur ?
Certes.
M. Onfray.
Un con.
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