L'annonce par le président américain du retrait de ses troupes de Syrie n'a pas tardé à provoquer de vives réactions. Au-delà des inquiétudes des chancelleries occidentales, l'irritation des partisans de l'ingérence est palpable.
Se félicitant d'avoir vaincu Daesh, Donald Trump annonçait le 19 décembre le retrait des troupes américaines de Syrie. Quelques jours plus tard, ce 24 décembre, le décret a été signé et l'actuel locataire de la Maison blanche a désigné son allié de l'OTAN, Recep Tayyip Erdogan, comme celui qui devait désormais «éradiquer» Daesh.
La décision américaine n'a pas tardé à faire réagir, tant sur le plan interne, avec la démission du secrétaire à la Défense Jim Mattis (alias «Mad dog»), que sur la scène internationale. Les alliés occidentaux des Etats-Unis n'ont ainsi pas tardé à faire entendre leur déception, comme la France, qui a exprimé le 20 décembre son intention de maintenir sa présence en Syrie.
Si Donald Trump avait, dès sa campagne présidentielle de 2016, prôné un désengagement de Washington du conflit syrien, le «retrait total» de l'armée américaine qui se dessine désormais a le don d'irriter les chantres habituels de l'interventionnisme des Etats-Unis à travers le monde.
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L'isolationnisme, «une faiblesse» selon Hillary Clinton
Ainsi, sur la scène américaine, son ancienne rivale lors de la présidentielle de 2016 s'est par exemple empressée de fustiger l'annonce de Donald Trump, affirmant que «l'isolationnisme [était] une faiblesse» et qu'il participait, selon elle, à renforcer Daesh. «Les actions ont des conséquences, que nous soyons en Syrie ou pas, les gens qui veulent nous nuire sont là et ils sont en guerre», a ajouté Hillary Clinton avant de déclarer : «Jouer le jeu de la Russie et de l'Iran est stupide [...] le président américain fait courir un risque grave à la sécurité nationale des Etats-Unis.»
Candidate malheureuse à l'élection présidentielle américaine de 2016, Hillary Clinton s'était positionnée, contrairement à son rival républicain, en faveur d'un interventionnisme américain fort, notamment en Syrie. Fervente adepte du slogan «Assad doit partir», la démocrate appelait à «détruire les bases aériennes [syriennes]» en avril 2017, lors de sa première interview depuis sa défaite à l’élection présidentielle.
En 2002, alors sénatrice de l’Etat de New York, Hillary Clinton avait voté en faveur de l'intervention américaine en Irak. Devenue par la suite secrétaire d’Etat des Etats-Unis (de 2009 à 2013), la démocrate avait également défendu l'intervention américaine en Libye. Elle s'était soldée par la mort dans des circonstances floues du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi en 2011. Apprenant la nouvelle au cours d'une interview sur la chaîne CBS, Hillary Clinton avait eu du mal à contenir sa joie, lançant hilare : «Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort !»
Depuis lors, la Libye a sombré dans le chaos et l'instabilité politique.
Auteur: CBS
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La guerre en Syrie remportée par Poutine, déplore Kouchner
De l'autre côté de l'Atlantique, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, théoricien du concept de «devoir d'ingérence» (à défaut d'un droit d'ingérence, que ne permet pas le droit international), a lui aussi vivement réagi au retrait américain de Syrie. Il estime que c'est une trahison des Kurdes.
Le Moyen-Orient, à feu et à sang, va se compliquer plus encore.
«Quelques milliers de Kurdes supplémentaires vont mourir», a-t-il déploré, d'emblée, dans une tribune parue le 22 décembre sur le site du Journal du dimanche (JDD) «Le Moyen Orient, à feu et à sang, va se compliquer plus encore», a estimé le cofondateur de Médecins sans frontières, qui a par ailleurs livré son point de vue sur l'issue du conflit : «Cette guerre en Syrie fut aussi une confrontation russo-américaine dont, pour l’heure, Vladimir Poutine demeure le vainqueur.»
Bernard Kouchner s'est souvent illustré en tant que défenseur de l'interventionnisme atlantiste à travers le monde. Alors haut représentant de l'ONU au Kosovo en 1999, il se félicitait, dans le cadre de la guerre du Kosovo, des bombardements de l'OTAN sur Belgrade, en ces termes : «Cette intervention dans l'ancienne Yougoslavie, nous l'avons réclamée dès 1991 […] et pour le Kosovo, depuis huit ans.»
Près de 11 ans plus tard, en novembre 2010, WikiLeaks révélait des documents montrant l'enthousiasme de l'administration américaine au sujet de Bernard Kouchner, alors que celui-ci était devenu ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy. «[Bernard Kouchner est] l'un des rares politiques [français] à avoir soutenu ouvertement l'invasion américaine de l'Irak [...] La nomination de Kouchner pour diriger le Quai d'Orsay représente l'accomplissement du rêve d'une vie», estimait alors l'ambassade américaine.
«Une trahison», selon BHL
Une position sur les Kurdes que partage une autre figure bien connue de l'ingérence, le philosophe Bernard-Henri Levy (BHL). Dans la foulée de l'annonce de Donald Trump, l'intellectuel proche des cercles de pouvoir a retweeté plusieurs messages, dont l'un affirmait sans détours : «Les Kurdes sont nos alliés et le retrait des troupes de Syrie est une trahison.»
Le médiatique philosophe a en outre relayé une publication du sénateur républicain américain Lindsey Graham qui écrivait : «Le pire cauchemar de l'Amérique est d'abandonner et de détruire des alliés à qui l'on peut faire confiance, comme les Kurdes qui ont combattu si courageusement contre Daesh.»
Parmi de multiples engagements et appels à l'intervention militaire dans des pays lointains, on a pu voir BHL dépenser son énergie pour pousser le président Sarkozy à intervenir en Libye contre Mouammar Kadhafi, comme il le rappelle dans un documentaire, Le serment de Tobrouk, dont il est à la fois réalisateur, scénariste et héros.
Il a également harangué la foule sur Maïdan à Kiev le 2 mars 2014, apportant son soutien au coup d'Etat qui avait renversé quelques jours plus tôt l’ancien président Viktor Ianoukovitch. Plus jeune, en 1999, il avait apporté son soutien à une campagne de bombardements de l'OTAN en Yougoslavie, contre des cibles serbes.
Les Européens laissés sans défense, selon Verhofstadt
Il est mauvais que nous n'ayons pas une force de défense capable d'aider à stabiliser notre voisinage immédiat
Son de cloche similaire à Bruxelles avec le commentaire amer de l'eurodéputé Guy Verhofstadt qui déplore lui aussi la décision de Donald Trump. «Une victoire pour la Russie, l'Iran, la Turquie et ses forces par procuration, et le régime syrien», commente-t-il dans un tweet, saisissant ainsi l'occasion de remettre sur le devant de la scène l'idée d'une Défense européenne : «Sans surprise, [Donald Trump] laisse les Européens plus vulnérables et montre à quel point il est mauvais que nous n'ayons pas une force de défense capable d'aider à stabiliser notre voisinage immédiat.»
Fervent défenseur d'une intervention militaire de l'Union européenne en Libye, Guy Verhofstadt s'irritait, lors d'une intervention devant le Parlement européen, le 16 mars 2011, de la passivité de l'UE face à Mouammar Kadhafi. «Nous refusons d'aider le peuple libyen à faire sa révolution démocratique [...] L'attitude de l'Union européenne me dégoûte et me rend malade», avait alors déclaré l'ancien Premier ministre belge et président du groupe libéral.
La décision de Trump, «une opportunité pour avancer dans la bonne direction» ?
Malgré la levée de boucliers (tant aux Etats-Unis qu'à l'échelle mondiale) suscitée par le retrait américain du conflit syrien annoncé par Donald Trump, ce dernier a tout de même trouvé du soutien auprès de personnalités traditionnellement opposées à une politique étrangère américaine interventionniste. C'est le cas de Ron Paul, ancien membre républicain de la Chambre des Représentants (1976 - 2013) connu pour ses positions anti-ingérence.
Lors d'un entretien accordé le 20 décembre à RT, l'ancien élu, membre du courant de pensée libertarien, s'est félicité d'«une opportunité pour avancer dans la bonne direction».
«Je ne pense pas que nous ayons une quelconque morale ou justification constitutionnelle qui nous permette d'affirmer que notre sécurité nationale est assurée par la présence de nos troupes [en Syrie] et par le fait d'interférer dans la résolution des problèmes en Syrie», a-t-il déclaré avant d'évoquer la nécessité de retirer en plus de l'armée américaine, «toutes les forces spéciales» et d'«arrêter les politiques de sanctions». Et Ron Paul d'évoquer le rôle de l'aide étrangère américaine dans les conflits aux quatre coins du monde : «Notre problème est que si l'on domine et militarise un pays, alors nous finançons tout ça.»
Fabien Rives, Louis Maréchal