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Le 17 avril prochain, cela fera trente ans que Sa Majesté Élisabeth II a promulgué la Loi constitutionnelle de 1982. Cette loi constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, par laquelle le rapatriement de la Constitution canadienne fut accompli.
Le rapatriement était lui-même le fruit d'un compromis politique intervenu entre le fédéral et neuf des dix provinces en novembre 1981. Le gouvernement du Québec n'y a jamais souscrit. Tant le Parti libéral du Québec que le Parti québécois — partis qui se sont succédé au pouvoir depuis 1981 tout en ayant une vision différente de l'avenir des rapports entre le Québec et le reste du Canada — ont réitéré leur opposition à ce rapatriement. Pourtant, le Québec est l'une des provinces fondatrices du pays, le foyer principal de la francophonie en Amérique du Nord et la province de plus de 23 % de la population canadienne. On ne peut être démocrate dans l'âme ni fédéraliste de coeur sans éprouver un profond malaise face au coup de force de 1981-1982 et à la non-adhésion du Québec.
La Constitution est le pacte fondamental d'un pays, une espèce de contrat solennel entre des partenaires travaillant à la construction d'un État. La modification substantielle de ce pacte ou contrat sans le consentement de l'une des parties constitue un affront et entache l'acte constitutionnel d'une certaine illégitimité, pour ne pas dire d'une illégitimité certaine.
Les aspirations du Québec
La Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, a indéniablement affaibli la spécificité québécoise. De fait, en matière de langue, toutes les décisions de la Cour suprême du Canada rendues dans le cadre d'attaques contre la loi 101 ont annulé ou dilué des dispositions de cette loi. En matière de droit civil cette fois, le loup est dans la bergerie, ainsi que le démontre notamment la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Éric c. Lola, dans laquelle l'article 585 du Code civil du Québec a été invalidé pour cause d'incompatibilité avec le paragraphe 15(1) de la Charte de 1982.
Certes, beaucoup peut être accompli pour faire progresser le Québec à l'intérieur du Canada, et le Canada lui-même, par des voies non constitutionnelles. Mais le Québec ne doit pas pour autant abandonner ses aspirations constitutionnelles. Après tout, la blessure, c'est-à-dire le rapatriement, étant d'ordre constitutionnel, il est normal que la réparation le soit aussi. Renoncer à la réforme constitutionnelle, c'est donner raison aux artisans du rapatriement et condamner le Québec à une exclusion permanente du giron constitutionnel canadien. En 2017, le Canada célébrera le 150e anniversaire de la fondation du pays et de l'adoption de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Il serait hautement souhaitable que, d'ici là, le Québec ait pleinement adhéré à la Constitution canadienne.
Sujet tabou
Je ne suis toutefois pas sans savoir que la réforme constitutionnelle est devenue un sujet tabou. Dans le reste du Canada, on parle du «c word» comme si le mot constitution était honni. Au Québec même, le sujet ne peut être abordé qu'avec beaucoup de prudence. Le milieu fédéraliste y est généralement réfractaire et quand le milieu souverainiste en parle, cela est éminemment suspect. «Cachez cette constitution que je ne saurais voir!», voilà ce que nous disent à l'unisson un grand nombre de Canadiens, parmi lesquels se trouvent maints Québécois.
Je suis conscient par ailleurs que la procédure de modification constitutionnelle prévue dans la Loi constitutionnelle de 1982 ne peut être mise en oeuvre que très difficilement. Sans compter qu'elle est alourdie par un certain nombre d'exigences de nature paraconstitutionnelle, comme des référendums obligatoires, des audiences publiques et des veto régionaux.
Il n'en reste pas moins qu'un groupe minoritaire, comme le sont les francophones à l'intérieur du Canada, a besoin de protections. Or, qui dit protection dit «enchâssement» constitutionnel. En effet, il n'y a que la Constitution qui offre de réelles protections contre les faits et gestes de la majorité. Ce type de protections me semble d'ailleurs être d'autant plus important que les francophones en général, et les Québécois en particulier, sont en proie à une minorisation constante au sein du Canada. Pour beaucoup trop de Canadiens, ils forment une ethnie parmi d'autres, plutôt qu'une nation en bonne et due forme.
Nécessaire discussion
L'appétit vient en mangeant. Si l'on ne parle jamais de la réforme constitutionnelle, elle ne viendra pas. Pour justifier leur absence de volonté politique d'entreprendre une réforme de la Constitution, les gouvernements prennent prétexte du fait que les citoyens, même s'ils jugent qu'une telle réforme est importante, ne la réclament pas à hauts cris parce qu'ils estiment qu'il vaut mieux la mettre de côté pour s'attaquer à des problèmes plus immédiats et concrets.
Les gouvernements ne font rien pour encourager le débat ni le dialogue sur cette question. Cela est regrettable. Pour pallier quelque peu cette lacune, un colloque sera tenu à Montréal du 12 au 14 avril 2012 par l'Association internationale des études québécoises, sur le thème 30 ans après le rapatriement: l'état des lieux. Quel bilan? Quelles perspectives? Des chercheurs, des politiciens, des journalistes et autres observateurs de la scène publique s'y donneront rendez-vous et examineront le rapatriement et la Charte et leurs conséquences encore actuelles.
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Benoît Pelletier - Professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa et ancien ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes
30 ans du rapatriement de la Constitution
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