Trente ans après la Loi constitutionnelle de 1982, M. Benoît Pelletier, ancien ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes, relance l'idée d'une renégociation entre le Québec et le reste du Canada. Ce qui a retenu mon attention touche au fait «que les francophones en général, et les Québécois en particulier, sont en proie à une minorisation constante au sein du Canada».
J'apporte ici une modeste contribution, limitée à la dimension démographique, au thème du colloque de l'Association internationale des études québécoises : «30 ans après le rapatriement : l'état des lieux. Quel bilan? Quelles perspectives?» (Montréal, 12-14 avril 2012).
Comme les données linguistiques du recensement de 2011 ne seront diffusées par Statistique Canada qu'en octobre prochain, force est de faire appel aux dernières projections démolinguistiques.
À partir des données du recensement de 2006 (données majorées pour tenir compte du sous-dénombrement net de la population), Marc Termote a estimé, dans ses dernières Perspectives démolinguistiques, à 7,04 millions, le nombre de francophones dans l'ensemble du Canada au printemps 2011. (En procédant de la même façon que l'ONU pour la population mondiale (7 milliards à l'été 2011), et l'Institut de la statistique du Québec pour la population du Québec (8 millions à l'automne 2011), j'estime que le Canada a atteint 7 millions de francophones au tournant de 2010).
Une progression qui s'essouffle
Sur la base des tendances lourdes récemment observées, Termote a calculé que la population francophone du Canada pourrait atteindre 7,52 millions de personnes en 2031 (d'après le «scénario de référence»). Ainsi, au cours des 20 prochaines années, le nombre de francophones au Canada pourraient augmenter de près d'un demi million de personnes.
Toutefois, le rythme de croissance des francophones devrait s'affaiblir graduellement, passant de 2,6% pour la période 2011-2016, à 0,9% pour celle de 2026-2031. Par la suite, «les implications à long terme» des tendances lourdes montrent une régression des effectifs jusqu'à moins de 7,4 millions en 2056.
Léger recul, dira-t-on. Oui, mais encore faut-il noter que le scénario suppose une immigration internationale et une intégration en français de 50 000 personnes par année à destination du Québec. Envisager une fécondité maintenue à 1,7 enfant est très plausible, mais une immigration supérieure à un taux annuel de 0,6% pendant une aussi longue période, est intenable pour toute société.
Force est donc d'examiner les résultats du «scénario faible», lequel prévoit 40 000 immigrants par année. Jumelée à une fécondité reculant à 1,5 enfant à partir de 2016, ce scénario donnerait 7,3 millions de francophones en 2031, suivi d'une importante perte en deçà de 6,9 millions en 2056.
Bref, un retour de la population francophone du Canada sous les 7 millions de personnes, demeure plausible à long terme selon les calculs de Marc Termote.
Trois tendances lourdes confirmées
Ces projections démolinguistiques confirment aussi trois tendances lourdes observées depuis longtemps à travers les recensements canadiens : l'affaiblissement du poids des francophones au Canada, leur concentration de plus en plus marquée au Québec et l'affaiblissement de l'importance relative du Québec dans la population canadienne. Au recensement de 2006, les francophones comptaient pour 21,1% de la population canadienne ; 90,8% d'entre eux ont été recensés au Québec ; 23,4% des personnes recensées au Canada, toutes langues confondues, demeuraient au Québec.
Selon le scénario de référence de M. Termote, le poids des francophones dans le Canada glisserait à 18,4% en 2031, et jusqu'à 16,0% en 2056. Leur concentration au Québec augmenterait, passant de 92,6% en 2031 à 93,6% en 2056. Enfin, l'importance relative du Québec chuterait à 21,9% en 2031, voire à 20,3% en 2056.
Devant le «profond malaise» qu'il ressent «face au coup de force de 1981-1982», M. Benoît Pelletier, qui ne manque pas d'épithètes (affront, illégitimité, blessure, exclusion, loup dans la bergerie), considère absolument nécessaire de rouvrir la constitution, même si à ses yeux la question «est devenue un sujet tabou».
Hélas, à la lumière de la démographie, on serait en droit de se demander comment faire entendre la voix d'un Québec qui compte de moins en moins, alors que la minorité francophone de l'ensemble du pays se retrouve de plus en plus concentrée dans la seule province où la constitution ne la protège pas ? En effet, du fait que les francophones sont majoritaires au Québec - majorité qui s'érode par ailleurs -, la constitution protège plutôt sa minorité de langue officielle : les anglophones.
***
* Francophone : personne dont la «langue parlée le plus souvent à la maison» est le français. L'importance de cette variable vient d'une simple observation, très riche pour les projections démolinguistiques : la langue parlée par les parents devient la langue maternelle des enfants. Au Canada, en 2006, neuf personnes recensées sur dix parlaient leur langue maternelle.
Les francophones du Canada, 30 ans après la constitution de 1982
30e du rapatriement de 1982
Michel Paillé20 articles
Démographe, Michel Paillé a fait carrière dans des organismes de la loi 101. Contractuel pour la commission Bouchard-Taylor (2007...
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Démographe, Michel Paillé a fait carrière dans des organismes de la loi 101. Contractuel pour la commission Bouchard-Taylor (2007-2008), il été blogueur au Huffpost Québec (2012-2017). Il a participé à plusieurs ouvrages collectifs dont celui des Intellectuels pour la souveraineté : Le pays de tous les Québécois. Diversité culturelle et souveraineté, 1998.
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