« Région wallonne » devient simplement « Wallonie »

Chronique de José Fontaine


En 2010, la Wallonie va devenir encore un peu plus une nation. Albert Henry (1910-2002), grand médiéviste et philologue wallon, a remanié tout au long de sa vie, une étude extrêmement documentée intitulée Histoire des mots Wallon et Wallonie.
Deux mots étranges en apparence
Ces mots de « wallon » et « Wallonie » avec leurs W germaniques, apparemment étranges, sont liés à la conquête romaine de la Gaule, les Germains appelant « wallons » (Walhah en haut allemand), les Celtes romanisés proches. « Wallonie » ne vient pas de la langue régionale (le wallon), parlé dans une grande partie de la Wallonie actuelle. C’est d’abord un adjectif (provinces wallonnes, pays wallon), désignant dès le XVIe siècle les régions romanes hors du Royaume de France, au nord de celui-ci. Ce Royaume a d’ailleurs annexé en partie ce pays wallon comme on peut le voir sur cette vieille carte, au XVIIe siècle, de la Province des franciscains (que l’on peut comparer avec une carte de la Wallonie actuelle). Ces franciscains comme les jésuites, n’avaient, au départ, qu’une seule province dans les Pays-Bas du sud, préfiguration de la Belgique actuelle (par rapport aux Pays-Bas du nord séparés du sud depuis le soulèvement calviniste du XVIe siècle et qui forment l’actuelle Hollande). La Contre-réforme catholique (en lutte avec le protestantisme et donc la Hollande calviniste voisine), battait son plein : les religieux formaient au XVIIe siècle, 3% de la population totale (imaginons 30.000 religieux à Québec ou à Bruxelles !) . Comme religieux, à une époque où l’Eglise structurait toute la vie collective, ils avaient un rôle énorme. Etendu aux hôpitaux, aux écoles, à une foule de choses jusqu’aux services d’incendie. Toute la vie sociale.
La première mention de Wallonie
Or, rapidement, ces ordres religieux scindèrent la Belgique d’alors en deux. En fonction de la langue, instrument essentiel de l’interaction sociale, il y eut une province de Wallonia et une province de Flandria. La division actuelle a des racines profondes, point de vue également souligné par des Belges attachés à l’unité du pays qui considèrent en ceci une dualité Wallons/Flamands inscrite au coeur de l’identité belge (1).
Malgré cette évidente dualité belge, malgré le fédéralisme très récent en Belgique qui l’a consacrée étatiquement depuis trois décennies et de plus en plus fortement, l’identité wallonne continue à poser problème. Pour en sortir, le Président wallon Rudy Demotte a lancé le lundi 1er mars un débat à ce sujet. Le jeudi suivant et le samedi suivant le journal francophone le plus lu, Le Soir, réagissait cependant de manière extrêmement négative voire agressive. Pascal Lorent pouvait écrire (4 mars) : « Cette improbable identité wallonne, dont les contours varient selon qu’on longe la Sambre, la Meuse, la Semois ou l’Escaut. Si elle existe, c’est à l’état de fantasme, né dans les sphères du pouvoir, où l’altitude provoque parfois de drôles d’hallucinations. » Ou son confrère Pierre Bouillon le surlendemain : « Quand un Bruxellois, un Flamand ou un étranger songe à la Wallonie, on peut raisonnablement deviner que les mots qui lui viennent spontanément à l’esprit (à part Grottes de Han ou circuit de Spa), c’est Charleroi, déclin industriel, chômage colossal, Michel Daerden, pratiques politiques douteuses.» Bref, le déni habituel. Que ne partagea absolument pas l’autre grand journal francophone La Libre Belgique.
Comment l’expliquer ? La montée en puissance de l’identité wallonne met en cause la Belgique et par conséquent le rôle de la capitale où Le Soir est édité. Il est possible aussi qu’en devenant peu à peu un acteur étatique important, la Wallonie attire irrésistiblement le populisme antipolitique (dont des journalistes ne sont pas exempts). Pour René Girard le bouc émissaire par excellence, mondialement, c’est, dans tous les pays à la surface du globe, la classe politique. Elle est accusée de tous les maux selon la logique implacable de la boucémissarisation si bien mise en évidence par ce grand anthropologue. Et haïe.
Une majorité – étroite - de Wallons favorables
Un sondage de l’important hebdomadaire Télémoustique (par internet) a révélé que 51% des Wallons appréciaient cependant que ce débat soit mené (une majorité très étroite comme on le voit). Le débat peut porter étrangement sur la question de savoir comment il faut appeler la Wallonie. Car « Wallonie » n’est pas dans la Constitution belge. Albert Henry, en 1990, faisait remarquer, non sans perspicacité, que le mot « Wallonie » n’a pas été « officiellement institutionnalisé ». Et se demandait si le choix des termes « Région wallonne » n’était pas « le produit de la nostalgie unitariste [belge] », dans la mesure où Région wallonne , « expression affectivement neutre » évoque « beaucoup moins la notion d’entité vivante que le terme Wallonie, bien plus chargé de rancoeurs, de désirs, de passions et d’histoire… » (Histoire des mots WALLON et WALLONIE, IJD, Charleroi, 1990, p. 17 ). Henry a raison. Il n’est pas indifférent que tel ou tel mot soit utilisé ou non. Le Président wallon, a annoncé le 11 mars que son gouvernement « procèdera à la reconnaissance officielle du mot Wallonie ». Et cela de concert avec le Parlement. On ne dira donc plus « Région wallonne » mais tout simplement « Wallonie ».
Des acharnements obsessionnels sur Wikipédia (et ailleurs)
C’est en invoquant les termes officiels (« Région wallonne ») que, par exemple, la Wikipédia de langue française se déchire depuis de longues années sur la façon de parler du sujet, aboutissant ainsi à des pages discutables, où l’intention de réduire la Wallonie à une moitié de Belgique et à une « invention » militante se lit entre toutes les lignes. Le mot (une « entité vivante »), est éliminé le plus possible par certains.
Le Président wallon veut aussi créer un Ordre de la Wallonie, consacrer Namur comme capitale du pays, inciter les enseignants à faire connaître la Wallonie. Le fait de dire « Wallonie » permettra de distinguer le pays de son expression politique, la vie d’une patrie du pouvoir qui s’y exerce. On va ainsi dans la direction de la légitimité que le mot « Québec » possède aux yeux des Québécois, au-delà des majorités politiques changeantes. « Une personne qui n’a pas de nom n’est personne » dit France Truffaut. Quand une Région s’exprime seulement dans les mots du vocabulaire politico-administratif, elle ne relève que de l’abstrait, non de la Vie.
Un pas immense vient d’être franchi. La France n’a jamais daigné signer de traité international qu’avec la « Région wallonne de Belgique ». Elle sera bien obligée un jour d’en signer avec la Wallonie. Car le poujadisme antipolitique de maints Wallons (souvent pourtant francophobes), est largement déterminé par la vision du Monde que Paris impose sans s’en rendre compte à un pays voisin qui partage sa langue (sans relever de son pouvoir politique). Le monde anglo-saxon connaît et reconnaît la Wallonie. Le monde français l’ignore. La revue L’année francophone internationale (p.9), reproduit une carte d’Europe où figurent le Val d’Aoste et Monaco, mais la Wallonie (aucun article ne lui est consacré en particulier au contraire de la Flandre, ce qui est tout de même un comble !), en est rayée. La Conférence des peuples de langue française, après des années de discussions qui ont empoisonné tout le monde, a, par contre, admis ce 12 mars que la Wallonie y ait à nouveau une délégation à part entière. La Francophonie internationale ferait bien de suivre cet exemple et de ne plus exclure les millions de Wallons qui, avec leurs grands voisins du sud, forment le plus ancien peuple français du monde.
(1) Jean-Marie-Lacrosse, La Belgique telle qu'elle s'ignore, in Le Débat, numéro 94, mars-avril 1997, pp. 12-40, p. 17.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    21 mars 2010

    Peut-être n'êtes-vous pas le seul à qui cet article a parlé. Il ne serait pas impossible que ce soit à cause du fait qu'il s'agit d'un mot. Pour les pays qui ont un Etat, cela ne pose pas de problèmes. Pour le Québec et la Wallonie, cela en pose. Ce serait certainement quelque chose à quoi on devrait réfléchir. Je prends un exemple. L'Assemblée nationale et la Chambre des Communes d'Ottawa ont reconnu que le Québec était une nation. Ce qui veut dire que sans ingérence, le Parlement d'un autre pays pourrait le faire aussi. Les deux derniers présidents du Parlement wallon (ce qui est pour nous une fonction importante, plus qu'au Québec ou dans les pays de droit anglais), avaient un petit (mais bien évidence) drapeau du Québec sur la table de leur bureau. De là à penser que le Parlement wallon se préoccuperait de voter une motion en faveur du Québec...
    Il n'empêche que le Québec a bien réellement des amis en Wallonie. Nouons des rapports, profitons de toutes les occasions. Nous n'avons pas des myriades d'amis dans le monde. Mais sachez que je suis un ami de votre pays et qu'il y en a d'autres en Wallonie. Parlons-nous, comme ici, sur VIGILE. C'est important, peut-être même plus que nous ne le pensons. Bien sûr, j'aime écrire des articles qui font connaître la Wallonie, mais comme dans tout échange, les deux partenaires y gagnent et j'y songe sincèrement tout le temps.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 mars 2010

    Merci monsieur Fontaine pour cet article qui m'aura fait comprendre, plus que plusieurs de vos articles précédents, cette réalité de la Wallonie.

    Oui, si Monsieur Rudy Demotte, comme il le promet « procède à la reconnaissance officielle du mot Wallonie », son nom, me semble-t-il méritera de passer à l'histoire
    Non (comme vous savez souvent le faire ressortir) le choix des mots n'est jamais anodin. Parler du Québec n'est pas la même chose que de parler de la Province de Québec ! parler de séparatisme n'est pas parler d'indépendance !...
    Si ce président arrive rapidement à faire reconnaître officiellement ce mot, vous n'avez définitivement pas chez vous le même type de politiciens que nous avons ici.