Réécrire l'histoire

Chrétien vs Gomery

La Cour fédérale a blâmé jeudi le juge John Gomery pour avoir fait preuve de partialité à l'endroit de l'ancien premier ministre Jean Chrétien et de son chef de cabinet, Jean Pelletier, dans la conduite de son enquête sur le scandale des commandites. Les conclusions de son rapport à leur endroit sont par conséquent infirmées... ce qui ne signifie pas qu'ils soient absous de tout reproche dans la gestion de ce programme. Tout au contraire!
Ce jugement rendu par Max Teitelbaum est pour John Gomery, lui-même un juge jouissant d'une longue expérience, une dure rebuffade. Le juge de la Cour fédérale a estimé que les commentaires de M. Gomery à l'endroit de MM. Chrétien et Pelletier, faits à plusieurs médias dans le cours même de son enquête, justifiaient cette «crainte raisonnable de partialité» que ceux-ci ont pu entretenir pour la suite des choses, a estimé le juge de la Cour fédérale. Comme la jurisprudence l'a établi, il se devait d'exiger le retrait du rapport de la commission d'enquête des paragraphes ayant trait à la responsabilité de ces deux hommes.
Ses commentaires -- on se souviendra du «small town politician» dont M. Gomery avait qualifié M. Chrétien -- ont de fait créé une apparence de partialité. Selon le juge Teitelbaum, les excuses offertes par la suite et les assurances d'impartialité données aux deux hommes ne pouvaient effacer le doute soulevé. Il a rappelé à son confrère que le devoir de tout juge ou de tout président de commission est d'entendre la totalité de la preuve avant de se former une opinion. Et de ne pas se mêler d'intervenir dans les débats publics. Le reproche est mérité. M. Gomery avait fait preuve d'imprudence et ouvert la porte à la contestation de son rapport.
Le juge Teitelbaum, il faut le souligner, n'a toutefois examiné cette affaire que sous l'angle de l'équité procédurale. D'aucune façon il n'a cherché à apprécier le bien-fondé des conclusions de John Gomery sur le rôle joué par l'ancien premier ministre et son chef de cabinet dans la gestion du programme des commandites. Affirmer que son jugement les blanchit de toute responsabilité dans les dérapages survenus, comme l'ont fait certains de leurs proches, relève d'une interprétation éminemment politique et partisane de la décision de la Cour fédérale pour tenter d'imposer une interprétation des faits qui glorifie le rôle du premier ministre dans cette affaire.
Ce n'est pas parce que le rapport Gomery est désormais amputé de ses références à la responsabilité de MM. Chrétien et Pelletier que l'on croira que les seuls fautifs sont quelques menus fretins du Parti libéral. La conclusion tirée par John Gomery tient toujours. Le premier ministre et son chef de cabinet, s'ils n'ont commis aucune malversation, ont failli à leurs responsabilités en mettant en place un programme secret échappant aux règles de l'administration publique. Leur responsabilité était de nature politique. L'absence de contrôles a conduit à la dilapidation de fonds publics au profit d'amis du régime libéral.
Par ce jugement de la Cour fédérale, Jean Chrétien obtient la revanche qu'il souhaitait avoir sur John Gomery. Celui-ci l'avait humilié. C'est à son tour de l'être. Mais il ne doit pas compter effacer la marque laissée par ce scandale dans la mémoire des Canadiens. Au-delà des interprétations politiques et partisanes, il y a les faits. Or les faits sont têtus et ils résisteront à toute tentative de réécrire l'histoire de ce scandale.
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bdescoteaux@ledevoir.com


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