Qui sont les agitateurs d'épouvante!

Par Robert Poirier

17. Actualité archives 2007

Robert Poirier

Saint-Romuald
(À Pierre Simard, Le Soleil, 11 octobre 2006)
Il m'apparaît à la fois déplorable et préoccupant de constater dans votre commentaire «Le principe de précaution, un frein à l'innovation», que le professeur de l'ÉNAP que vous êtes se permette de dénigrer en termes simplistes les concepts du principe de précaution et du développement durable, allant jusqu'à traiter ses adhérents «d'agitateurs d'épouvantes» et leurs préoccupations de «délires et phobies» (sic).
Vous débutez votre article en déclarant que le développement durable est un concept vague dont l'application se révèle dans les faits un véritable frein à l'innovation et au développement économique. Qu'y a-t-il de vague dans la définition du développement durable, à savoir un développement de la société actuelle n'hypothéquant pas celui des générations futures?
Des études forcément plus longues
Ceci dit, autant ce concept est simple, autant il s'avère parfois difficile à intégrer à la conception d'un projet, je le concède. L'étude d'un projet dans un tel cadre est nécessairement plus longue et dans certains cas, peut faire avorter le projet initial, je le reconnais également. Mais de là à affirmer que le développement durable constitue un véritable frein à l'innovation et au développement économique... Et si ironiquement, c'était plutôt précisément le manque d'innovation qui contribuerait à mettre du plomb dans l'aile de certains projets souhaités durables ?
On répète les «bonnes vieilles récettes» au lieu d'innover
Le principal défi à surmonter pour assurer le succès d'un projet déployé dans une perspective de développement durable est la conciliation des intérêts propres aux divers représentants du milieu touché, ces intérêts étant souvent conflictuels. Au-delà du manque d'ouverture d'esprit, parfois présent chez certains intervenants dans ce contexte de négociation, qu'en est-il du caractère innovateur des projets proposés par les promoteurs ? N'existe-il pas ici comme dans grand nombre de pays un automatisme chronique à répéter «les bonnes vieilles recettes» sans soucis d'innover de façon proactive, particulièrement en matière d'environnement, jusqu'à ce que des problèmes appréhendés finissent par se concrétiser ?
Cette attitude négligente, qui consiste à gérer «à la petite semaine» en fermant les yeux sur les problèmes qui s'aggraveront à moyen et long terme, est malheureusement assez répandue, notamment dans le milieu politique au pays. Le manque de volonté des récents gouvernements fédéraux à travailler sur la problématique des changements climatiques en est un exemple percutant. L'histoire est truffée d'autres exemples où la faillite d'une compagnie et même de secteurs industriels entiers résulta de l'incapacité des gestionnaires à adapter leurs façons de faire aux conditions changeantes, en innovant avec vision.
Le piètre exemple de la forêt et des pêches
La situation de l'industrie forestière québécoise et celle de l'industrie de la pêche à la morue dans les maritimes illustrent clairement l'importance des dommages économiques, sociaux et environnementaux qu'une telle attitude négligente peut entraîner. Dans ces deux exemples, les secteurs public et privé n'ont pas su ajuster leurs cadences d'exploitation dans le temps et développer des produits à valeur ajoutée de manière à garantir la pérennité de la ressource, et ce, malgré plusieurs signaux avant-coureurs que la poule aux œufs d'or était surmenée.
Naturellement, comme c'est le cas pour la majorité des problèmes, les causes non entropiques peuvent avoir aggravé ces problèmes, particulièrement dans le cas de la pêche à la morue. Or, voilà justement à quoi sert le principe de précaution : à faire une gestion raisonnable des risques associés aux volets d'un projet entachés d'incertitude. Dépeindre le principe de précaution comme absurde me paraît répréhensible pour quelqu'un formant de futurs administrateurs publics. Cela revient à faire fit de prudence en matière d'investissements publics, ce qui irresponsable envers les contribuables actuels et ceux des générations futures.
À la lumière de ces exemples d'échecs du passé (morue), du présent (forêt québécoise) et du futur (approche fédérale face aux changements climatiques), il s'avère qu'il y a grand place au pays pour un changement d'attitude menant à une réelle valorisation de l'Environnement. Dans ce contexte, la promotion et la défense des principes de précaution et du développement durable par des citoyens engagés devraient à mon avis apparaître comme salutaires pour l'ensemble de la société québécoise. Tant que l'expression de leurs opinions demeurera articulée et reposera sur des bases factuelles, nous devrions être respectueux envers ces gens qui parlent au nom des générations présentes et futures, et qui ont compris que respecter l'environnement, c'est se respecter comme peuple car nous en faisons tous partie intégrante.


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