Le tragique de la cause autochtone refait surface de manière périodique dans l’actualité. Que ce soit avec l’affaire des pensionnats, la mort de Joyce Echaquan, le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation qui a insisté sur le thème du « génocide culturel » ou encore les multiples reportages sur l’accès difficile à l’eau potable dans certaines communautés, la question autochtone ne cesse de se rappeler douloureusement à nous.
Suis-je dans l’erreur si j’affirme que la cause autochtone a besoin de tragédies pour attirer notre attention ?
Le grand angle mort de la cause autochtone est que sans rapport de force politique suffisant, les Premières Nations demeurent toujours dépendantes de la bonne volonté des Canadiens pour se faire entendre.
Poids démographique
Or, en politique, ce qui donne un rapport de force à un groupe ethnique, culturel ou religieux, c’est souvent son poids démographique ; bref, la loi du nombre. Dans bien des cas, lorsqu’un politicien évoque la cause autochtone lors d’une campagne électorale, c’est probablement plus pour marquer des points auprès d’une frange de la population sensible à cette cause que pour obtenir le vote de ceux qu’on appelle, en vertu de la Loi sur les Indiens du Canada, les « Indiens inscrits », lesquels ne représentent que 2,2% de la population canadienne selon le recensement de 2016.
La vraie tragédie des peuples autochtones est que leur poids démographique est trop faible pour avoir une influence politique notable.
Néanmoins, il y a du positif concernant la démographie. Entre 2011 et 2036, la population des « Indiens inscrits » verra son poids démographique passer de 2,2 à 2,7% de la population canadienne selon les travaux de l’équipe Demosim de Statistique Canada publiés en 2015. Dit autrement, le rapport de force démographique des « Indiens inscrit » augmentera de 20% en 25 ans.
La revanche des berceaux...
Cependant, quand on poursuit l’analyse, on constate qu’une véritable « revanche des berceaux » est en train d’avorter. En effet, considérant que l’indice synthétique de fécondité des Canadiens est de 1,5 enfant par femme et que celui des « Indiens inscrits » est de 2,7, on s’attendrait à une croissance beaucoup plus rapide de leur rapport de force démographique.
Voici un petit exemple pour illustrer mon propos. Supposons une population canadienne de 1000 individus, avec en proportion autant d’«Indiens inscrits» qu’au recensement de 2016, soit 2,2% ou 22 individus. Examinons maintenant leur descendance en projetant leur taux de natalité dans l’avenir. Chez les 22 Autochtones, on trouverait 128 descendants pour la septième génération1. Les 978 Canadiens non autochtones, quant à eux, n’auraient que 93 descendants (leur poids diminuant de 28.6% à chaque génération)2. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela signifie que dans la septième génération, les autochtones représenteraient 58% du poids démographique total ! Évidemment, dans cet exemple fictif, je suppose que les autres paramètres démographiques de ces deux populations demeureraient identiques.
1. 22 X (2.7/2.1) ^7 = 128
2. 978 X (1.5/2.1) ^7 = 93
Immigration
La raison pour laquelle il n’y a pas de revanche des berceaux autochtone actuellement, c’est parce que nos seuils migratoires sont suffisamment élevés pour rendre celle-ci inopérante. En supposant que l’immigration serait utilisée pour stabiliser la population canadienne au lieu de favoriser sa croissance, je calcule que le poids démographique des « Indiens inscrits » serait de 3,2% en 2036 au lieu du 2,7% prévu selon les projections officielles.
Dit autrement, le rapport de force des Premières Nations augmenterait de 43% en 25 ans, au lieu de 20% selon les scénarios actuels. Évidemment, sans immigration, leur rapport de force augmenterait à un rythme encore plus impressionnant.
Ceci n’est pas surprenant. Parmi les nombreux effets de l’immigration, on constate la baisse de représentativité des groupes ethniques locaux, un phénomène que j’ai déjà présenté dans mes travaux de démographie. Les Autochtones, bien que féconds, ne sont pas insensibles à ce phénomène.
Mon opinion, quoique subjective, est qu’il est dans l’intérêt des Premières Nations d’augmenter leur rapport de force politique et que pour y arriver, un accroissement de leur poids démographique ne peut qu’aider. Or, sous cet angle, la politique canadienne d’immigration a forcément l’effet inverse. Posons la question autrement : si l’on prive les autochtones d’un retour en force démographique, que leur donne-t-on en échange?
La démographie procure un rapport de force qui, passé un certain seuil, apporte à un peuple le pouvoir politique et économique. Tout le monde s’intéresse à l’affaire des pensionnats, mais qui s’intéresse au véritable pouvoir autochtone ?