Qui a peur des Américains et pourquoi en Amérique du nord?
Le retour du portrait de la reine Élizabeth dans les édifices gouvernementaux du gouvernement du Canada et la ré-introduction du préfixe Royal appliqué à l’aviation et la marine militaire peuvent être
interprétés d’une part comme une réaction contre le “séparatisme” québécois, ce dont je doute fort. Il m’apparait davantage comme une régression vers une époque qui a vécu la croissance en force des
États Unis et de ses menaces contre l’Amérique Britannique du nord. Que le Québec soit parvenu au seuil de l’État Nation m’apparaît davantage comme une coïncidence.
Les United Empire Loyalists et les Orangistes du Canada, qui reviennent aux symboles de la Monarchie britannique, me font l’effet d’une autre de leurs manifestations de crainte contre les Américains.
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Au Québec, les relations avec les États Ùnis et les Américains procèdent de facteurs très différents si on les compare avec les conditions qui ont prévalu entre Yankees d’abord, puis Américains et Loyalistes établis
en force dans l’Amérique Britannique du Nord.
En réalité, ces conjectures ont débuté autour de 1760, avec deux coïncidences. D’une part, les Anglais occupaient Québec. De l’autre, les Yankees de la Nouvelle Angleterre étaient en révolte contre la “Mère Patrie”
anglaise, qui leur imposait trop de charges et ne semblait pas vouloir accommoder sa colonie américaine par des concessions légitimes, dont le liberté refusée aux Yankees de partir leurs propres entreprises et de
payer moins de taxes à l’Angleterre.
La colère yankee était évidente et menaçante dès 1760, ce qui explique en partie les “concessions” qui nous ont été accordées par les Anglais, contrairement à leurs habitudes, Ces menaces augmentèrent et
expliquent entre autres la concession majeure que fut l’Acte de Québec de 1774, alors qu’il n’y a pas de concessions en politique, seulement des jeux d’intérêts et de rapports de forces.
Pour les généraux anglais de l’époque qui étaient responsables de préparer la stratégie de défense de l’Angleterre en cas de guerre contre les Yankees, il était évident que la vallée du Saint Laurent , isolée et
protégée par de formidables obstacles naturels, pourra servir de dernière redoute en cas de défaite et de tête de pont pour une reconquête des États Unis après l’indépendance américaine. La politique est affaire
d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité, peu importe les ententes et conventions diplomatiques.
Les évènements qui ont suivi 1760 ont donc confirmé cette situation initiale et nouvelle pour nous. Effectivement, les États Unis sont venus au monde, au grand dam des Anglais qui voulaient maintenir leur
domination sur les Yankees. Ce contexte historique s’est prolongé jusqu’à nos jours.
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La seconde année pivot, tant pour les Loyalistes et les Orangistes que pour nous, est 1860 avec l’ouverture du pont Victoria à Montréal. Il faut se rendre compte que depuis les débuts, la construction des chemins de
fer de l’Amérique Britannique du nord, qui débuta en Nouvelle Écosse, avait pour but de servir la logistique de guerre des Loyalistes contre les Américains. Observez encore de nos jours comment ce chemin de
fer qui longe la vallée du Saint Laurent au Québec est éloigné de la frontière américaine et se prolonge sur la rive nord du Saint Laurent à partir de Montréal, toujours pour renforcer la position stratégique des
Loyalistes en guerre contre les États Unis. Peu de temps après la construction du pont Victoria, les Loyalistes déménagèrent en masse des Maritimes et du Québec vers l’Ontario méridional, toujours pour
bloquer la route aux Américains qui se servaient de la vallée de la Mohawk pour leurs expansions logistiques vers les grands Lacs et l’Ouest.
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Cette situation qui nous a été plus que favorable s’est prolongée jusqu’en 1960, autre année charnière pour nous, caractérisée par l’ouverture de la Voie maritime du Saint Laurent, les débuts de la Révolution
tranquille, l’Aggiornamento dans l’Église catholique et les départs des dernières entreprises loyalistes vers l’Ontario méridional. Les Québécois, devenus plus confiants en eux-mêmes, ont fondé leurs
propres entreprises. L’année 1960 marqua également le départ de la troisième grande vague d’émancipation pour le Québec, après la Guerre patriotique de 1837-39 et les manifestations d’indépendance qui
caractérisèrent le gouvernement Mercier au Québec vers 1884. Dans tous les cas et tout le long de l’histoire du Québec proprement dit qui débuta vers 1760, les guerres entre Américains et Britanniques
ont fait notre jeu.
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Les évènements actuels datent de la première crise du pétrole vers 1970. Cette fois, Loyalistes et Orangistes ont craint et craignent encore une intrusion américaine pour s’emparer du pétrole canadien,
dont celui des sables de l’Athabasca, avant que les Chinois ne le fassent.
Pris entre Américains et Chinois, les Loyalistes et Orangistes ont décidé de revitaliser leurs vieilles associations avec l’Empire Britannique, dont on peut se demander ce qu’ils vont en tirer.
Le retour du portrait de la reine Elizabeth Deux dans les édifices publics et les ambassades du gouvernement canadien me semble tenir de cette situation aux conséquences imprévues pour le Canada.
De même pour l’aviation et la marine militaire qui redeviennent Royal Canadian Ravy et Royal Canadian Air Force.
Il se peut même selon mes perspectives que le Québec n’y soit pour rien.
JRMS
Qui a peur des Américains et pourquoi en Amérique du nord?
Tribune libre 2011
René Marcel Sauvé217 articles
J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en E...
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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].
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7 commentaires
André Serra Répondre
10 avril 2012La seconde possibilité de penser qu’une menace des É-U serait crainte par le gouvernement Harper pourrait être aussi le très récent voyage du Premier ministre en Chine avec une escorte conséquente d’hommes d’affaires.
La justification de ce lourd déplacement par l’économie et les affaires peut surprendre, après de très nombreuses avanies subies par les Chinois de la part de Harper, depuis la réception en grande pompe du Dalaï Lama, jusqu’aux critiques acerbes du régime de Pékin, notamment celui de l’emprisonnement de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix 2010.
D’autres pays, bien plus importants que le Canada, telle la France, ont été mis au purgatoire un certain temps avant que le Président chinois daigne en accueillir les dirigeants.
Il faut donc bien que les deux partenaires aient ensemble des intérêts partagés voisins pour qu’une telle rencontre soit possible. Lesquels ?
Bien sûr, Hu Jintao serait peut-être sensible à l’offre d’acheter le pétrole de l’Athabasca qu’Obama a écarté de la main sans autre forme de procès. Mais cela ne me satisfait pas.
Je préfère supposer que le rôle que pourrait jouer Hu Jintao dans l’opération de l’attribution des droits sur l’Arctique est loin d’être faible, via son compère Poutine, en dépit du fait que la Chine ne possède pas de côtes sur l’Arctique, car Poutine, lui, en possède, et même la plus grosse part. Et les Occidentaux les ont déjà trouvés récemment, ensemble face à eux , Chine et Russie unies, dans le problème syrien.
Au terme de cette analyse, il reste que si cette hypothèse est la bonne, Harper aurait donné là un bon coup de ciseau dans l’entente séculaire canado-américaine. Qu’en penser ?
Mon hypothèse est qu’Harper n’a au contraire plus peur de son voisin du sud, en raison d’une situation économique des É-U beaucoup plus préoccupante qu’il ne le laisse apercevoir, et cela rejoint l’avis d’un nombre croissant d’économistes.
Une distanciation du Canada par rapport aux É-U serait un bon paramètre pour notre indépendance ! Attendons la suite !
André Serra
http://andreserra.blogauteurs.net/blog/sommaire-des-articles-2/
André Serra Répondre
10 avril 2012Ce questionnement me parait très utile et tout à fait pertinent, car les gouvernements ne décident généralement pas d'actions aussi réactionnaires quand tout va bien, mais généralement lorsqu'ils craignent quelque chose d'assez grave et, en tous les cas, de profond. Ils procèdent en effet alors à une revalorisation des valeurs ancestrales du pays, pour inciter le peuple à se serrer davantage autour d'eux.
Quand à la nature de cette menace éventuelle, je suis également persuadé qu'elle n'est pas relative au Québec, car ce dernier est réputé aujourd'hui par Harper, se trouver dans le plus merveilleux des chaos politiques, ce en quoi il se trompe d'ailleurs. Il vaut mieux, pour nous, qu'ils tournent ses regards ailleurs
Par contre, j'écarterai dans l'immédiat l'appétit de l'oncle Sam pour le pétrole de l'Athabasca. D'abord car je ne vois guère comment cet appétit pourrait se satisfaire sans passer par un conflit qui est tout à fait hors de question, et ensuite parce qu'il y a quelques semaines, le président Obama a rejeté pour des raisons écologiques, le projet d'un pipe-line qui aurait amené le pétrole de l'Alberta, de l'Athabasca au Texas.
En revanche, pour expliquer le recours de Harper aux traditions folkloriques britanniques, je vois deux autres possibilités plus précises de la nature de cette menace.
La première est le problème de la répartition des côtes de l'arctique en cas de découvertes de pétrole, de plus en plus attendues des forages en cours, et auxquels nos voisins du sud portent une fort grande attention.
En effet, la base du principe actuel retenu par les institutions concernées pour effectuer cette répartition, soit la triangulation des côtes de chaque État jouxtant l'Arctique ayant le pôle nord pour sommet, et les surfaces ainsi déterminées seraient celles que chaque État concerné recevrait comme portion de recherche et d'exploitation pour toutes les matières qu'il pourrait y découvrir.
Or, il en résulterait que, pour les É-U, seules les côtes de l'Alaska seraient prises en compte dans ce calcul, soit une portion congrue du gâteau de l'Arctique, alors que le Canada en recevrait une part considérable (donc le Québec aussi !).
Et l'on sait que les É-U ont déjà discrètement tenté de faire modifier le principe de répartition de l'Arctique, et de se faire attribuer une partie de la quotepart du Canada.
Ce "détail" me paraît suffisant pour expliquer les efforts de Harper pour calmer les convoitises de l'oncle Sam !
- Voir la seconde raison dans le commentaire suivant...
Gérald McNichols Tétreault Répondre
11 septembre 2011Merci, monsieur Sauvé de cette brillante leçon d'histoire géopolitique qui permet de situer encore mieux le passé, le présent et l'avenir de notre nation des bords du Saint-Laurent qui, à l'instar des Yankee hollandais puis américains, a résisté et continue de résister à l'Empire anglais tout simplement parce que ces nations étaient et sont indissolubles dans l'esprit anglais. Vous nous faites comprendre pourquoi New York et Montréal, à cause de l'ADN de leur origine, possèdent des caractéristiques qui échappent et échapperont toujours à l'entendement des partisans nostalgiques de l'Empire britannique.
Votre texte nous fait aussi comprendre que le ROC n'est pas une masse uniforme d'opinion. Le loyalisme est un courant auquel les Canadiens français puis les Québécois français n'ont jamais adhéré parce qu'il leur a toujours semblé une aberration, une étrangeté, voir une curiosité. Nous le subissons pourtant depuis 240 ans justement parce que nous avons aussi compris que nous n'étions pas des Yankees. Nous n'avons rien contre la Grande-Bretagne et les Anglais à la condition qu'ils restent chez eux, sur leurs propres littoraux, et cessent prétendre nous coloniser. Nos structures mentales sont différentes parce qu'elles sont formées par une grille de mots et de pensé qui nous confère une appréhension différente de la vie.
La volonté d'indépendance n'est pas seulement un sentiment nationaliste mais bien une bataille pour que nous trouvions la liberté de devenir qui nous pouvons devenir en demeurant nous-mêmes dans la période de grands changements planétaire qui est à nos portes. Tout cela n'a rien à voir avec le sang ou la généalogie mais bien avec la culture et l'appartenance au territoire dont la transmission est l'outil essentiel d'intégration. Pour y arriver nous devons être en mesure de nous réapproprier les pouvoirs régaliens d'un état-nation qui sont présentement entre les mains d'une nation autre.
Archives de Vigile Répondre
9 septembre 2011Je dois avouer, encore une fois, que je suis impressionné au plus haut point par l'analyse de monsieur Sauvé. Le tout est présenté avec tellement d'éloquence et de simplicité que la seule question que je me pose après avoir lu le texte c'est : «Pourquoi je n'y avais pas pensé avant ?». La réaction du gouvernement Harper serait finalement beaucoup plus une réaction défensive face aux américains qu'une réaction offensive envers le Québec, contrairement à ce que nous pensions tous !
Je suis d'accord avec monsieur Cloutier qu'il faut foncer droit devant pour faire l'indépendance au plus vite en utilisant tous les moyens disponibles. Par contre, je ne trouve pas superficiel de regarder ce qui se passe autour de nous et d'analyser le tout à travers le filtre de l'histoire. Autrement, à quoi bon faire l'indépendance si par la suite nous tombons sous le joug de l'Oncle Sam ou de tout autre État qui aurait des visées impérialistes ?
Je crois tout particulièrement qu'il nous sera très instructif de regarder attentivement les événements qui se dérouleront en Alberta, au cours des années à venir, par rapport à la convoitise des sables bitumineux. Il faudra analyser le comportement des puissances étrangères (USA, Chine, Russie et autres) et la façon dont les gouvernements canadian actuel et à venir gèreront les crises qui surviendront inévitablement.
Lorsque le bien le plus convoité au monde ne sera plus le pétrole mais plutôt l'eau potable alors nous serons directement impliqués. Ce jour est peut-être plus près de nous que nous le croyons.
Jean-Claude Pomerleau Répondre
8 septembre 2011Depuis le 2 mai le Canada peut maintenant se définir sans le Québec. C'est la meilleur nouvelle depuis 1760.
Cela fait exactement plus de 250 ans que les anglais veulent se définir sans les Habitants. Dans un premier temps ce fut impossible (démographie), ils ont due pour garder une présence britannique en Amérique du Nord (la menace américaine) consentir à l'Acte de Québec de 1774. Par lequel l'État anglais reconnait un peuple dans ses caractéristiques essentiels: Religion, langue et coutumes de Paris (code civil). Les 3 facteurs clés de sa cohésion nationale. Non sans fantasmer sur notre ASSIMILATION (Guy Carleton, Durham etc).
Le 2 mai , le Canada (Britannique) peut enfin se définir sans nous; et pour cela il doit revenir en arrière sur les bases de son ADN historiques. Que signifie cette profonde métamorphose pour notre cause ?
Si j'ai l'occasion je ferai un texte là dessus, qui sera la suite de "La Fin du Canada de Trudeau".
Surprise, la menace américaine fera encore notre jeu.
JCPomerleau
Archives de Vigile Répondre
8 septembre 2011Sincèrement, monsieur Sauvé, on s'en fout et contrefout des Loyalistes, des Orangistes et monarchistes du Canada et d'ailleurs.
On a juste à faire ce qu'on doit faire ici au Québec, c'est-à-dire présenter 125 candidats (es) indépendantistes porteurs d'un projet d'État souverain lors de la prochaine élection et le peuple décidera. Le reste c'est de la poutine provinciale et on perd notre temps. Si on est incapable de faire cela, on oublie cela et on ferme sa gueule à tout jamais.
Pierre Cloutier
Archives de Vigile Répondre
8 septembre 2011Je suis portée à penser comme vous, M. Sauvé.