Les francophones du Québec gagnent-ils plus que les anglophones? La réponse dépend du choix de la mesure de la situation économique des deux groupes. En d'autres termes, c'est une question d'interprétation. Il n'existe pas de vérité absolue.
Le 3 mai dernier, j'ai fait paraître une analyse de données provenant du recensement de 2006 de Statistique Canada qui, sur la base du revenu médian, révélait que les anglophones du Québec gagnaient moins que leurs compatriotes francophones. Cela a incité un analyste à publier, le 3 août suivant dans Le Devoir, une critique véhémente insistant sur le fait que le revenu moyen, plutôt que le revenu médian, représentait la base la plus adéquate pour comparer la situation économique des deux groupes linguistiques en 2006, méthode qui donne un clair avantage aux anglophones et enfin qui confirme l'idée très répandue selon laquelle les anglophones demeures champions des gros salaires.
Pourquoi le revenu moyen est-il la meilleure mesure? Parce que, selon Charles Castonguay, «c'est la statistique la plus courante» (Le Devoir, 3 août 2010). Mais le fait que c'est la statistique la plus souvent utilisée n'en fait pas nécessairement le meilleur indicateur pour la comparaison de revenu. Selon le professeur Peter Graefe, qui a fait paraître un commentaire sur la question le 5 août dernier, «il vaut mieux comparer les salaires médians pour éviter l'effet Bill Gates; en fait si M. Gates entre dans une salle, le revenu moyen des gens dans la salle augmente, sans changement dans la qualité de vie des autres (sauf s'ils sont capables de le taxer!)». Je suis du même avis.
Les résultats présentés par Statistique Canada le 23 septembre 2010 confirment les dires de Graefe, puisqu'on y discute d'écarts de revenus plus importants pour les anglophones que pour les francophones. En effet, Statistique Canada affirme que «4 % des personnes ayant l'anglais comme seule première langue officielle parlée gagnaient un revenu de 100 000 $ ou plus comparativement à 2,3 % de celle ayant le français comme langue officielle parlée... En utilisant le seuil de faible revenu, on constate que 22 % des anglophones ont un revenu qui les situe sous le seuil de faible revenu comparativement à 16 % pour les francophones».
Attention à la généralisation
La question sous-jacente à la comparaison des disparités de revenu entre les groupes est de savoir à quoi on peut attribuer l'écart qu'on y constate. Est-ce qu'un groupe subit la discrimination par un autre? Est-ce qu'un des groupes bénéficie d'un avantage inéquitable? À tort ou à raison, je crois que le revenu moyen ne permet pas de répondre à ces questions puisqu'il masque, plus que la médiane, les caractéristiques qui expliquent les disparités.
Idéalement, la meilleure comparaison possible entre les groupes considérerait les anglophones et les francophones qui vivent dans des conditions économiques similaires. Tel que l'indique Statistique Canada «en poussant l'analyse plus loin [...] on constate que la comparaison des revenus entre les groupes linguistiques appelle à la prudence, notamment en raison de la multitude des facteurs qui influent sur ces écarts».
Statistique Canada constate que «de fait, alors que les résultats portant sur l'ensemble de la population révèlent que les revenus moyens des anglophones sont supérieurs à ceux des francophones [...], l'analyse des données portant sur les revenus moyens d'emploi des hommes faisant partie de la population active révèlent que les francophones affichent un revenu moyen supérieur à celui des anglophones lorsqu'on maintient constant l'influence de l'âge, de la scolarité, de la région de résidence, du secteur d'industrie et du statut d'immigrant [...]. L'écart entre les revenus est plus important si l'on utilise le critère de la langue maternelle (2700 $) que celui de la première langue officielle parlée (1900 $)».
Ces faits ont l'air d'être bien têtus pour ceux qui veulent nous faire croire que les anglophones possèdent un net avantage économique par rapport aux francophones. Un sondage d'opinion mené par la firme Léger Marketing révèle que moins de 1 % des francophones du Québec croient qu'ils gagnent plus, en moyenne, que les anglophones du Québec. Cela laisse entendre que l'idée même que les francophones gagnent plus est inconcevable.
Chez certaines personnes, cette idée est ancrée dans une généralisation qui mérite d'être révisée sur la base des données présentées par Statistique Canada. En effet, celles-ci témoignent d'une normalisation de la situation économique des anglophones et des francophones relativement à la réalité antérieure.
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Jack Jedwab - Directeur général de l'Association d'études canadiennes
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