Salaires des anglophones et des francophones: un jeu dépassé?

Langue et rémunération

Peter Graefe - Dans son texte «Les Anglos demeurent les champions des gros salaries» publié dans Le Devoir de mardi, M. Charles Castonguay démontre bien comment l'étude Léger Marketing, menée pour le compte notamment de l'Association d'études canadiennes dirigée par Jack Jedwab et qui porte sur l'écart entre les salaires des anglophones et des francophones est mal foutue: elle mise seulement sur le revenu médian, ignorant un écart favorable aux anglophones de plus de 10 % en ce qui concerne le salaire moyen, ainsi qu'un léger avantage pour les anglophones si on ne compare que le revenu médian des personnes qui travaillent toute l'année.
C'est une analyse intéressante, mais elle ne débouche malheureusement pas sur des pistes de solution, peut-être parce qu'on manque de la capacité d'imposer et de redistribuer directement sur la base du critère linguistique.
Mais attention, M. Castonguay! À l'encontre de votre argument, il vaut mieux comparer les salaries médians pour éviter l'effet Bill Gates: si M. Gates entre dans une salle, le revenu moyen des gens dans la salle augmente, sans changement dans la qualité de vie des autres (sauf s'ils sont capables de le taxer!).
Le fait que l'écart est large pour le salaire moyen mais disparaît au médian ne démontre que la présence d'une partie de la communauté anglophone qui tire d'importants salaires. Mais l'anglophone moyen gagne plus ou moins le même salaire que le francophone moyen.
Le fait que le salaire médian pour ceux qui travaillent toute l'année soit toujours plus élevé indique une certaine inégalité qui perdure, quoique l'avantage pour les francophones en matière de revenu médian indique aussi qu'il y a un groupe d'anglophones très désavantagé au bas de l'échelle.
Bref, on a un portrait d'une communauté francophone plus concentrée à la médiane, et une communauté anglophone avec des inégalités très larges. Et dans ce cas, on peut se demander si le vocable «communauté» s'applique, vu les différences qui séparent les anglophones les mieux nantis et ceux qui ne le sont pas.
On a beau jouer sur la division anglophone/francophone à la manière de M. Castonguay, les écarts qu'il souligne sont moins choquants que le portrait des inégalités croissantes entre les plus riches et les plus pauvres que l'IRIS (Institut de recherche et d'informations socio-économiques) a présenté récemment. Il y a quand même des politiques publiques qui pourraient faire face à la fois à l'inégalité linguistique et à l'inégalité des revenus.
Si on imposait davantage ceux qui gagnent les plus gros salaires et si on dépensait ces sommes pour des services publics, on réduirait l'écart en ce qui concerne le salaire moyen, tout en réduisant l'inégalité des salaires au sens large. Et si on investissait plus dans l'apprentissage de la langue française pour les anglophones et dans des cours de français pour les nouveaux venus anglophones, ça pourrait aider à rehausser le statut économique des anglophones pauvres.
Il reste bien sûr l'enjeu de la langue au Québec dont il faut s'occuper avec des politiques publiques efficaces. La leçon du débat entre M. Castonguay et Léger Marketing est claire: la diversité au sein des communautés anglophone et francophone (pour ne rien dire des allophones) fait en sorte qu'il faut aller au-delà de la simple division francophone/anglophone si notre but est de réduire des inégalités. Mais si l'idée n'est que d'alimenter des jalousies communautaires, continuez, messieurs Castonguay et Jedwab!
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Peter Graefe - Professeur agrégé au Département de science politique de l'Université McMaster


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