Par Luc Guay
Plusieurs intervenants se sont fait entendre ces derniers mois à propos de ce qu'on peut maintenant appeler le débat sur le nouveau programme d'histoire et d'éducation à la citoyenneté, tant la version antérieure du 15 juin 2006 que celle-ci. Savez-vous quoi? Je m'en suis réjoui, et voici pourquoi.
La dernière fois qu'un tel débat sur cette question a suscité quelque intérêt dans les pages de nos journaux remonte à 1974, alors que le gouvernement libéral de l'époque, fort d'une motion péquiste, obligea la réussite du cours d'histoire nationale de quatrième secondaire pour l'obtention du diplôme de fin d'études secondaire. Il y avait les pour et les contre en nombre quasi égal, et les profs d'histoire jubilaient : leurs élèves prendraient dorénavant plus au sérieux l'apprentissage de l'histoire !
Il y a donc 32 ans de cela. J'en étais à ma quatrième année d'enseignement de l'histoire au secondaire.
Et savez-vous quoi encore ? Le programme enseigné à cette époque datait de 1967 et le manuel de Vaugeois-Lacoursière (comme on l'appelait familièrement à l'époque) constituait en quelque sorte le programme à suivre. Je dis bien «en quelque sorte» car il existait un programme officiel, que peu d'enseignants connaissaient d'ailleurs... mais personne ne s'en formalisait outre mesure !
Cette réalité perdura jusqu'en 1982 avec l'arrivée des «nouveaux» programmes axés sur des objectifs de connaissance et de formation à atteindre, répartis en sept modules dont le temps d'enseignement était précisé en fonction de l'importance à accorder à tel ou tel phénomène historique (l'expression utilisée alors). Sans compter l'arrivée d'une demi-douzaine de manuels d'histoire, bien différents de notre Vaugeois-Lacoursière : toute une révolution dans nos façons de faire ! Mais qui s'en préoccupait cette fois-ci, à part les enseignants ? À peu près personne...
Une annonce qui fit plus que faire sourciller
Survient ensuite, à la fin des années 90, l'annonce d'une réforme sur l'enseignement et, par conséquent, sur l'apprentissage, tant au primaire qu'au secondaire : une place beaucoup plus grande est accordée à l'histoire, à laquelle on a ajouté une dimension, l'éducation à la citoyenneté. Au lieu de se limiter à 200 heures, l'apprentissage de l'histoire voit plus que doubler le temps qui lui est alloué, sans compter qu'on rend obligatoire l'apprentissage de l'histoire au primaire à partir de la troisième année. Autre victoire pour les profs d'histoire qui se faisaient accorder plus de temps pour aider leurs élèves à mieux saisir le présent en puisant aux racines du passé.
Mais l'euphorie s'est vite transformée en inquiétude chez certains : que va-t-on enseigner ? Les opposants aux programmes proposés ont déchiré leur chemise sur la place publique : les programmes ne traitent pas de tel fait ni de tel autre ! C'est une catastrophe nationale pour les uns tandis que, pour d'autres, ces faits sont implicitement reliés aux réalités sociales à exploiter. Qui a raison ? Regardons cela de plus près.
Une méconnaissance de ce qu'est l'histoire
Certains des intervenants qui ont pris part au débat sur le nouveau programme d'histoire et d'éducation à la citoyenneté ont à mon avis une méconnaissance de la nature et des finalités de l'histoire et de son enseignement au secondaire. Par conséquent, ils n'ont pas pu «lire» professionnellement ce nouveau programme d'histoire. Je m'explique.
Comme plusieurs de mes collègues didacticiens, j'ai aussi été consulté à trois occasions sur les différentes versions de ce programme et, dans tous les cas, même si nous avions proposé des ajouts qui ont été retenus, j'étais à l'aise tant avec les contenus qu'avec les démarches d'apprentissage proposées. Pourquoi ? Parce que, d'une part, j'ai appris à ne pas m'enfarger dans les fleurs du tapis, parce qu'étant reconnu par le ministère de l'Éducation comme «spécialiste» de l'enseignement de l'histoire, je me fais confiance, et que, d'autre part, j'ai appris qu'un programme n'est pas un manuel mais un guide qui nous donne des balises, tant temporelles que spatiales.
Ainsi, j'ai pu constater que les balises temporelles de ce nouveau programme me permettaient d'enseigner l'histoire du Québec des origines à nos jours et qu'on élargissait les balises spatiales en proposant de brèves incursions chez des sociétés étrangères ayant vécu des expériences semblables à la nôtre à peu près au même moment. (Bon, je reconnais avec Denis Vaugeois, dans Le Devoir du 2 mai 2006, que certains repères culturels proposés ressemblent «à un buffet destiné à épater avec quelques petits hors-d'oeuvre exotiques»... )
En fait, rien dans ce programme ne m'interdit de traiter de la Conquête, de la rébellion des Patriotes, de la Crise d'octobre, du rapatriement unilatéral de la Constitution, de l'affirmation nationale des Québécois : les réalités sociales proposées sont tellement larges qu'aucun pan de notre histoire ne peut être occulté, à moins d'avoir un esprit obtus... ce qui est contraire à une formation historienne.
Ne pas charrier
Que des journalistes et des écrivains n'aient pas su «lire» les nouveaux programmes avec les lunettes des professionnels de l'enseignement de l'histoire, je le comprends : ils ont toutefois eu le mérite de favoriser un débat qui devrait contribuer à mieux faire comprendre le programme d'histoire parce qu'il sera dorénavant lu de façon plus intéressée. Mais que des professionnels de l'enseignement de l'histoire déchirent leur chemise sur la place publique et réclament le rejet pur et simple de ce nouveau programme, même celui de la dernière version du 15 juin 2006, là, je trouve qu'on charrie beaucoup ! Il faudrait qu'ils revoient certains fondements historiques.
- L'histoire ne doit pas être une entreprise d'enfermement idéologique. Bien au contraire, elle permet le développement d'habiletés intellectuelles (de compétences) comme la pensée critique.
Ainsi, pour comprendre le Québec d'aujourd'hui, il faut être en mesure de connaître les différentes phases de son développement, et ce, à tous les chapitres : politique, économique, social et culturel. Et cela comprend les conflits qu'a connus notre peuple. Et pour qui sait «lire» les programmes d'histoire, on ne peut occulter aucun des événements qui ont façonné notre nation... qui continue de se développer.
Il s'agit maintenant de les illustrer avec les documents les plus pertinents, et ce sera le lot des auteurs de manuels de procéder à leur repérage et aux enseignants d'histoire d'aider leurs élèves à les décoder et d'établir des liens avec aujourd'hui. Il s'agit donc de faire de l'histoire et non de la «consommer» à partir d'idéologies pro ou antinationalistes...
- L'histoire tente de reconstituer le passé avec les traces dont on dispose. Bien sûr, l'histoire doit être «intégrale», comme le rappelle Bruno Roy (Le Devoir, 15 juin 2006), mais c'est justement le propre de l'histoire que de tenter de reconstituer le plus justement le passé avec les traces qui nous restent, sachant bien que ces traces qu'il nous faut interpréter ne sont que partielles et partiales.
Rappelons-nous que l'histoire est une discipline d'interprétation et que les nouveaux programmes d'histoire invitent nos élèves à la pratiquer au lieu de l'ingurgiter en vue de la passation de l'examen de fin d'études.
- L'histoire et l'éducation à la citoyenneté sont intimement liées. On n'apprend pas l'histoire pour contempler le passé mais bien pour s'en servir afin de mieux saisir le présent et de tenter de peaufiner l'avenir.
Cette connaissance du passé rappelle les innovations, les conflits, les revendications, les humiliations et les heures de gloire vécus par nos ancêtres qui ont construit notre société : ce rapport entre les humains à vouloir vivre ensemble sur un territoire déterminé et à chercher à établir des liens avec les sociétés frontalières et outre-frontalières est une constante de l'histoire, et son étude convient parfaitement à celle-ci.
C'est pourquoi cette nouvelle dimension qu'est l'éducation à la citoyenneté a été associée à l'apprentissage de l'histoire et qu'il incombe aux enseignants de concevoir des activités susceptibles d'aider les élèves à mieux comprendre que nous sommes les héritiers de six millions d'années d'expériences vécues par nos ancêtres, peu importe leur provenance.
Les épouvantails à moineaux qui ont été brandis ont semé des germes de méfiance chez certains enseignants ainsi que chez certains étudiants en enseignement de l'histoire et de l'éducation à la citoyenneté : il nous faudra redoubler d'ardeur pour leur montrer la nécessité de lire les programmes d'études avec les lunettes de professionnels qu'ils sont ou qu'ils seront. Quelle histoire !
Luc Guay
_ Professeur de didactique de l'histoire à l'Université de Sherbrooke et ex-enseignant d'histoire au secondaire pendant 24 ans
Le débat sur les nouveaux programmes d'histoire
Quelle histoire!
Il n'est jamais facile de reconstituer le plus justement le passé avec des traces partielles et partiales
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