Quelle gouvernance pour l'Université? (2 de 4)

Chronique de Louis Lapointe

*Deuxième d’une série de quatre articles portant sur la crise des universités québécoises. Suite de Quelle crise des universités? (1 de 4)
Comme nous le propose le rapport Toulouse, doit-on revoir la gouvernance des universités ? Doit-on remettre en question l’autonomie dont elles jouissent en y introduisant davantage d’éléments provenant du modèle privé ? Doit-on nommer plus d’administrateurs indépendants et doit-on les rémunérer ou doit-on d’abord exiger plus de compétence de la part des gestionnaires et administrateurs ?
Le récent fiasco de l’UQAM à gérer ses projets immobiliers a mis en lumière la difficulté des conseils d’administration d’obtenir l’information pertinente sur la gestion interne des universités nécessaire à leur bonne administration. Il a fait ressortir la complaisance des membres externes à s’enquérir auprès des dirigeants de la situation financière de l’université et le conflit éthique potentiel de nombreux administrateurs qui participaient au conseil à titre de gestionnaires ou de professeurs. À cause de toutes ces distorsions, aucun de ces administrateurs n’a réussi à pleinement accomplir ses fonctions de fiduciaire.
À cet égard, le monde universitaire n’est pas très différent de celui qui l’entoure. L’indépendance et la compétence des administrateurs, pas plus que la rémunération de ceux-ci, ne sont des garanties absolues contre des fiascos comme ceux de Nortel ou de l’UQAM. La comptabilité créative des dirigeants de Nortel est comparable à la double comptabilité des gestionnaires de l’UQAM qui a privé les administrateurs de l’information pertinente pour prendre les bonnes décisions.
Les administrateurs ont pensé que l’UQAM pouvait espérer engranger des revenus provenant d’activités immobilières de nature commerciale parce que leurs dirigeants les ont convaincus que des établissements du secteur public pouvaient performer suivant les mêmes critères et paramètres que ceux du secteur privé, alors que le personnel de cette université n’avait aucune compétence et connaissance dans le domaine des services privés.
Les universités, comme toutes organisations, ont leurs coutumes et leurs secrets qui sont difficilement accessibles à des gens qui n’ont jamais baigné dans cette culture. Si les administrateurs de l’UQAM, comme ceux de Nortel, avaient eu cette connaissance intime de l’organisation, ils auraient probablement pu freiner les rêves de grandeurs de leurs dirigeants.
C’est donc moins l’indépendance et la rémunération des administrateurs que la connaissance de l’organisation qui serait la solution au problème que nous tentons de résoudre. Nous devrions donc demander à des personnes compétentes qui connaissent bien l’Université de les administrer et de les gérer. Essentiellement des professeurs, des chargés de cours, des professionnels et des gestionnaires qui y travaillent ou qui y ont déjà travaillé. Toutefois, le fait que les professeurs soient les principaux acteurs de l’Université et que l’un d’entre eux risque de devenir un jour ou l’autre un de ses principaux dirigeants n’encourage guère les non-professeurs à critiquer ouvertement leurs pratiques.
Parce que la plupart des membres qui siègent aux comités les plus stratégiques sont des professeurs, le sort de l’Université réside essentiellement dans la capacité des plus intéressés à influencer les dirigeants lors des plus importantes décisions. Ainsi, l’autonomie des établissements universitaires et le principe de la liberté universitaire qui y est rattaché sont devenus dans bien des cas des prétextes pour protéger la mainmise de quelques professeurs sur nos institutions savantes et écarter tous ceux qui ne partagent pas leur vision. C’est donc moins l’autonomie qui la caractérise que le corporatisme qui la menace qui doit être remis en question. Un corporatisme qui risque de nuire à long terme à l’Université puisqu’il incite au silence.
Dans le cadre de son long rapport de recherche, Jean-Marie Toulouse aurait certainement pu rappeler à ses lecteurs que l’autonomie dont jouissent les universités est le fruit d’une longue tradition et pourquoi elles sont soumises au pouvoir de surveillance de la Cour Supérieure plutôt qu’à celui du gouvernement. Les liens qu’entretient l’institution universitaire avec le gouvernement sont, à l’origine, de nature purement contractuelle et excluent tout pouvoir de surveillance du gouvernement en raison de son ancestrale autonomie. Pour l’essentiel, ce contrat stipule que le versement des subventions aux universités est subordonné à la prérogative du gouvernement de déterminer le montant des droits de scolarité à être versé par les étudiants. Il existe bien une loi sur les universités qui reconnaît le pouvoir exclusif du gouvernement du Québec de créer de nouvelles universités et une loi de l’Université du Québec qui définit les structures et les modes de nominations des administrateurs et dirigeants, mais ces lois n’affectent en rien l’autonomie de l’institution universitaire qui découle de la tradition.
Donc, avant de redéfinir la gouvernance de nos universités, il aurait fallu non seulement expliquer les mécanismes qui régissent actuellement les universités, mais également raconter l’histoire des universités. Si les dirigeants sont élus par leurs pairs, c’est justement pour éviter les influences extérieures. Si des observateurs sont nommés en sus des administrateurs pour assister aux réunions du conseil d’administration, c’est pour préserver le caractère privé de ces réunions, car contrairement aux réunions des conseils d’administration du secteur de la santé et des services sociaux qui sont publiques, celles des universités sont privées. On comprendra que par ce stratagème les conseils d’administration des universités ont voulu tenir loin de leurs cénacles la foule étudiante qui aurait pu s’y masser. C’est le compromis qu’elles ont inventé pour tenir informé tous les groupes internes de l’université sans que cela affecte la bonne tenue des réunions. À cause de ces traditions, les journalistes ne peuvent pas rapporter au public ce qui se passe derrière les portes closes. Pour ce faire, ils doivent avoir recours aux informateurs, ce qui est totalement inapproprié dans les circonstances, puisque les universités sont financées par des fonds publics provenant de nos impôts et des droits de scolarité de leurs étudiants. Voilà l’état des lieux.
En contrepartie de l’abolition des postes d’observateurs qui est suggérée dans le rapport des membres du Groupe de travail sur la gouvernance des universités du Québec intitulé, «Redéfinir la gouvernance de nos universités», il aurait donc fallu proposer que la tenue des réunions des conseils d’administration soit publique malgré toutes les difficultés que cela pourrait comporter.
Par ailleurs, en complément de ce que propose le rapport du groupe de travail de l’IGOPP, ce n’est pas seulement le mode de nomination des recteurs qu’il faudrait revoir, mais également celui de tous les cadres supérieurs. La consultation des pairs lors de la nomination des cadres a prouvé ses limites. Seuls les plus compétents devraient atteindre les sommets de nos plus prestigieux établissements. Pour cette raison, il faut de nouvelles règles pour définir la composition, les rôles et les pouvoirs des comités de sélection et des collèges électoraux.
Bien que l’idée de confier à plus de membres indépendants l’administration des conseils est fondée sur de bonnes intentions, cela ne doit pas nous faire oublier que le secret cultivé dans nos universités empêche bien souvent les administrateurs de connaître les tenants et aboutissants de nombreuses propositions qui leur sont soumises. Voilà pourquoi davantage d’«outsiders» qui connaissent l’Université devraient être invités sur les conseils d’administration des universités. Des personnes qui y ont déjà travaillé et qui ont une autre vision de l’Université. Justement, ceux qui jouissent de la connaissance, de l’indépendance et de la compétence nécessaire et qui peuvent jeter un regard critique sur la gestion universitaire.
De plus, contrairement à ce que propose le rapport du groupe de travail, il est moins important d'avoir des comités sur l’éthique et la gouvernance que d'avoir des comités qui s'intéressent directement au cœur de la mission universitaire. En sus du comité de vérification et de la commission des études, il serait certainement plus opportun de créer des comités portant sur les principales composantes de la mission universitaire afin que les membres du conseil d’administration soient mieux informés de ce qui se passe à l’intérieur de l’université. Cette tâche pourrait être partagée entre différents comités portant sur les trois éléments de la mission universitaire et de la tâche des professeurs : l’enseignement, la recherche et les services à la collectivité. Y seraient largement abordés, entre autres, la question du partage des cours entre professeurs et chargés de cours, les libérations de tâche d’enseignement, la recherche subventionnée et la proportion de professeurs s’y consacrant, le double emploi, la tâche des jeunes professeurs et celles des plus anciens et la nature et l’importance des tâches administratives confiées aux professeurs.
Ces informations permettraient aux administrateurs de mieux connaître ce qui se passe à l’intérieur de l’université, de questionner les pratiques, de les remettre en question et d’en exiger de nouvelles. Il faut que les administrateurs reviennent aux fondements de l’Université et s’intéressent avant tout au cœur de la mission universitaire afin de mieux la connaître, l’administrer et y apporter les changements appropriés. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, les plus importantes transformations dans la façon de faire de nos universités nécessiteront probablement l’adoption d’un nouveau cadre juridique.
Prochain article: Quelle mission pour l'Université?
*L’intégrale de cet article a été publiée dans le numéro d’octobre 2008 de L’Action nationale.

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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