Premier d’une série de quatre articles portant sur la crise des universités québécoises.*
« Alors que le capitalisme a cédé la place au système du " management plus bureaucratie ", on monte de toutes pièces un simulacre de puissance pour les propriétaires. C'est de l'escroquerie. Ce mensonge s'accompagne de tout un cérémonial : un conseil d'administration choisi par les directeurs et qui leur est entièrement dévoué, mais que l'on considère comme le porte-parole des actionnaires. Les hommes qui le composent, avec la présence nécessaire d'une ou deux femmes, n'ont besoin que d'une connaissance superficielle de l'entreprise. À de rares exceptions près, on peut compter sur eux pour acquiescer. On donne à ces administrateurs un jeton de présence et un peu à manger, et les directeurs les informent régulièrement des décisions qu'ils ont prises ou de ce que chacun sait déjà. On postule que le conseil d'administration approuvera tout, y compris les rémunérations fixées par eux-mêmes.» J.K.Galbraith, p.44. Les mensonges de l'économie, 2004, Grasset.
Une autre façon de gérer les universités ?
Y a-t-il une autre façon de concevoir l’Université? Les professeurs souhaitent une université savante. Les chercheurs souhaitent une université innovante. Les étudiants souhaitent une université curieuse. La communauté universitaire souhaite une université autonome. Les citoyens souhaitent une université engagée dans le milieu. Tous les éléments de la mission qui incombe aux universités et à leurs professeurs sont là. Si nous souhaitons collectivement une Université dont l’autonomie doit être repensée, en ce sens qu’elle n’est plus sous la toute puissante autorité de ses professeurs et dirigeants, faut-il en faire pour autant une Université affairiste soumise aux lois du marché ? Dans cette perspective, doit-on reconsidérer l’autonomie dont jouissent les universités, augmenter les contrôles publics ou confier à des administrateurs provenant du secteur privé le soin de les administrer ?
En limitant son analyse à la question de la gouvernance et en s’empressant d’amener ses lecteurs sur des pistes de solutions provenant toutes de l’entreprise privée, le rapport Toulouse escamote totalement les questions concernant le financement et les règles de partage des fonds publics entre les universités, alors que ces questions sont cruciales pour le développement de ces établissements. Or, si la crise des universités est d’abord financière, cette situation est momentanément éludée par les remèdes qu’on lui propose. On ne peut tout simplement pas parler d’universités autonomes si celles-ci ne sont pas convenablement financées, les changements cosmétiques proposés dans leur gouvernance n’y changeront strictement rien. Si cette approche risque d’exacerber la crise que vivent présentement les universités, puisqu’elle évite de poser un véritable diagnostic et d’apporter des solutions viables, force nous est de constater que ses effets n’en seront que plus sournois à long terme, favorisant inexorablement une marginalisation de la recherche qui s’effectue dans les universités francophones.
Toutefois, avant même de songer à augmenter le financement des universités et hausser les droits de scolarités de leurs étudiants, il faudra s’enquérir de leurs pratiques. Il faudra demander aux universités de rendre compte de l’accomplissement de la tâche de leurs professeurs. Un sujet méconnu du grand public qui constitue le noyau dur de la mission universitaire et qui, comme nous le verrons, recèle la plupart des solutions à la crise des universités.
Les sources du rapport Toulouse
Ce n’est un secret pour personne, les universités sont en crise depuis qu’on a entrepris de plafonner leur financement au milieu des années 1980. Parallèlement, on a convié de nombreux chantres de l’économie mondiale à venir défiler dans des forums où, sous le haut patronage de consultants branchés, nos recteurs furent également invités à venir apprendre comment gérer nos universités. Jaloux de ces gourous et séduits par le même engouement idéologique, les professeurs des écoles de gestion de nos universités ont alors décidé de mettre la main à la pâte en inventant leurs propres solutions dans le but de transformer tout ce qui est public en privé au nom de l’efficience.
Ainsi, avec l’aide de leurs professeurs, les universités ont elles-mêmes créé les outils de leur propre malheur. Aujourd’hui, elles récoltent tout simplement ce qu’elles ont semé dans leurs écoles de gestion, où il est enseigné depuis des années que le secteur public doit être géré comme le secteur privé afin d’accroître sa productivité et que les problèmes de financement sont subordonnés au choix du type de gouvernance que l’on veut pour nos établissements publics. Comme dans le secteur de la santé, dorénavant, les solutions proposées pour les universités passeraient moins par l’augmentation du financement public que par l’émergence d’une nouvelle gouvernance calquée sur celle de la grande entreprise privée.
Selon les savants chercheurs de la nouvelle économie où tout doit être privé pour être performant, on commence par nommer des administrateurs provenant du secteur privé lorsqu’on veut administrer les établissements du domaine public comme ceux du secteur privé, pensant que cela va changer la nature de la bête, l’étape suivante étant de les rémunérer. C’est, entre autres, une des recettes proposées par l’IGOPP pour résoudre le problème des universités.
Dans cette foulée de privatisation tous azimuts du secteur public, l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) a mis sur pied un groupe de travail en décembre 2006, lui donnant le mandat de proposer des principes de saine gouvernance qui soient pertinents au monde universitaire. Le groupe de travail avait pour objectif de proposer des principes généraux pour une gouvernance universitaire efficace.
Étonnamment, dans son «Rapport de recherche sur la gouvernance des institutions universitaires», Jean-Marie Toulouse a réussi l’exploit de traiter de la gouvernance des universités en effleurant à peine l’incontournable sujet de la mission universitaire. Aucune analyse poussée sur le fait que la mission universitaire et la tâche des professeurs sont des vases communicants composés des trois mêmes éléments : enseignement, recherche, service à la collectivité. Jamais dans son rapport il n’aborde de front le fond du sujet, comme si on pouvait réfléchir à propos de l’Université qu’en discutant uniquement des aspects techniques de sa gouvernance, alors que les problèmes de gestion de l’Université résident surtout dans l’inextricable complexité de sa mission et de son financement.
Prochain article: Quelle gouvernance pour l'Université ?
* L’intégrale de cet article a été publiée dans le numéro d'octobre 2008 de L’Action nationale.
Quelle crise des universités ? (1 de 4)
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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