Québec : Le naufrage d'un parti, mais aussi d'une société

Les libéraux du Québec, accablés de scandales, offrent le spectacle d'un équipage en panique à la veille d'un naufrage.

JJC - chronique d'une chute annoncée


Les libéraux du Québec, accablés de scandales, offrent le spectacle d'un équipage en panique à la veille d'un naufrage. Le capitaine affronte encore froidement l'incendie à bord, mais les officiers, quoi qu'ils fassent, ajoutent à la pagaille. La fin d'un règne, dit-on, ne s'annonce pas autrement. Mais cette fois, à en juger par la réaction des Québécois, les passagers ne pensent pas qu'un autre équipage viendra bientôt à leur secours.
La révélation la plus frappante des récents sondages, en effet, ce n'est pas qu'une forte majorité de citoyens ne croient plus le premier ministre Jean Charest quand il nie toute influence indue dans le choix des juges de nomination provinciale. C'est plutôt qu'aux yeux d'autant de Québécois, nulle autre formation politique n'agirait honnêtement une fois au pouvoir. Bref, l'argent sale, s'il ne contamine pas la justice, achèterait néanmoins n'importe quel gouvernement.
Le réveil est brutal, surtout parmi les citoyens d'après la Révolution tranquille et les militants encore honnêtes des formations partisanes. Le Devoir ne peut plus dire, comme au temps d'André Laurendeau, que le Québec est géré par un cabinet de «rois nègres» soudoyés par des firmes étrangères. Les habitants de la Belle Province, semble-t-il, se sont approprié les moeurs coloniales d'antan. Ils ont même innové en donnant des formes légales à la corruption.
Bien que l'État rembourse, en effet, les dépenses des candidats d'aujourd'hui, les partis n'ont pas tous renoncé aux caisses occultes d'autrefois. Ces fonds sont dissimulés, désormais, sous les déclarations officielles remises au Directeur général des élections. Cet argent en provenance d'entreprises ou de professionnels en quête d'avantages publics, on prétend l'avoir reçu des électeurs. D'où ces millions qui donnent une avance malhonnête aux urnes.
Tous les partis clament, bien sûr, que les juges nommés par Québec le sont pour leur seule compétence. Ils ne sauraient en dire autant des entrepreneurs, ingénieurs et autres techniciens dont les ponts s'écrasent sur la tête des citoyens ou dont les systèmes high tech coûtent une fortune sans qu'on sache s'ils fonctionneront un jour. Des écoles de génie promettent, il est vrai, de meilleurs cours d'éthique. Mais on attend encore des nouvelles de facultés de droit, de comptabilité, d'architecture et d'autres nobles arts, tous censés répondre à des ordres professionnels.
Que des groupes ou des individus doivent verser à un bagman un pourcentage pour le parti, sous peine de ne pas avoir de contrat ou de subvention, ou bien qu'ils prennent l'initiative d'évincer de la sorte leurs concurrents, le résultat sera le même. Des prix sont alors gonflés, des normes inappliquées, des gens intègres défavorisés, et des individus sans scrupule dotés d'un pouvoir occulte sur les lois et les décisions publiques.
Les commandites fédérales, de triste mémoire, saupoudraient des fonds plus ou moins secrets parmi des ministères et des organismes à forte présence publique afin de regagner, après 1995, l'adhésion des Québécois au Canada. Au passage, des agences de publicité et des intermédiaires s'en étaient mis plein les poches. Et le Parti libéral du Canada, aujourd'hui en voie de disparition au Québec, devait toucher en douce un financement qui en ferait le sauveur de la fédération. Les autres partis n'ont pas aimé l'astuce.
Effondrement de l'éthique
À maints égards, plus grave que ce scandale est la corruption mise au jour ces années-ci dans les médias du Québec. Ce n'est pas seulement l'attribution des contrats publics ni le financement des élections qui est en cause. Et probablement pas la sélection des juges non plus. C'est l'effondrement de l'éthique et du sens de l'intérêt public au sein de classes dirigeantes, de milieux d'affaires, d'organisations syndicales et d'institutions vouées à la formation des cadres de la collectivité.
Même une enquête sur le milieu de la construction et ses rapports avec les partis ne suffirait pas à enrayer le cancer qui émerge des officines proches de l'État. Ce mal a un nom qui est pire que l'influence indue: c'est l'enrichissement effréné d'une minorité aux dépens des ressources de la collectivité. Quand même des bureaux d'avocats mesurent la performance de leurs juristes aux «heures» qu'ils facturent, et non aux progrès de la justice, faut-il s'étonner de cette déroute?
Une régression se répand — visible dans ces pompeux châteaux de trafiquants de drogue et de kleptomanes de la finance — à laquelle les réformateurs, qu'ils s'affichent «lucides» ou «solidaires», n'apportent guère de réponse. Et quand le cabinet ne sait plus que faire le jour où l'abcès crève, tel comité bricole un code d'éthique, telle escouade mène des perquisitions, et un Guy Coulombe, spécialiste national des cas désespérés, présente un plan de réforme. Cette fois, son rapport porte sur les contrats municipaux. Or, n'avait-on pas déjà institué un régime central pour l'octroi des contrats du gouvernement, avec les résultats que l'on sait?
Pendant que des fonctionnaires traquent la musulmane qui veut apprendre le français, d'honorables mafieux et d'ambitieux patriotes pillent encore les fonds publics. Si le Parti libéral du Québec est sérieux, en attendant de réformer — encore une fois — l'éducation et la santé, il pourrait au moins remettre aux oeuvres caritatives ces millions qu'il détient sans droit et qui vont, autrement, lui coûter son avenir.
Mais, de toute évidence, le PLQ et les autres partis devront aussi revoir leur programme et leur équipe, voire leur direction, si la démocratie doit bientôt retrouver quelque sens au Québec.
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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