La débat actuel entourant l’offensive francophobe du premier ministre Doug Ford contre les communautés franco-ontariennes est plus que nécessaire. Il est essentiel.
Contester fortement les compressions en services qu’il impose aux Franco-Ontariens l’est encore plus.
En même temps, des voix s’élèvent dans ce qui ressemble étrangement à une tentative, volontaire ou pas, d’instrumentaliser cette situation à de bien drôles de fins.
Exemple : les Québécois se montrant solidaires du combat des Franco-Ontariens, le temps ne serait-il pas venu, demandent certains, de renouer avec l’identité et le vocable de «Canadiens français»? Question de souligner concrètement la dite solidarité? Et ce faisant, d’insister sur l’unité nationale canadienne dont les «parlants français» seraient relégués au rang de locuteurs de la seconde langue officielle du pays. Ouf...
Pas si vite, messieurs dames.
Comme je l’explique ici, appuyer la lutte des Franco-Ontariens participe avant tout d’un constat lucide à l’effet que cette politique de Doug Ford est de nature crûment francophobe. La solidarité, elle vient de là.
Inutile donc d’essayer d’en faire un outil de propagande politique du même coup.
Quant au vocable lui-même – Canadien français -, il réfère essentiellement aux Québécois et aux Canadiens de descendance française. C’est donc un référent tout à fait légitime et objectif, mais néanmoins de nature ethnique ou ethno-culturelle.
Comprenons-le bien.
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Nationalisme moderne
Or, au fil des siècles, plusieurs Canadiens français d’origine se sont également métissés. Des immigrants sont aussi devenus citoyens et une partie d’entre eux ont adopté le français comme langue d’usage.
Puis, dans la deuxième moitié du XXe siècle, est apparu le nationalisme québécois moderne. Un nationalisme ouvert sur le monde. Un nationalisme politique, culturel, linguistique, économique et territorial.
Les «Québécois» - tous les habitants du Québec et non plus seulement les Canadiens français d'origine -, ont ainsi fait leur grande entrée dans le monde.
De ce nationalisme est aussi né le mouvement souverainiste pour la création d’un pays indépendant et diversifié nommé le Québec. De même que la loi 101, dont l'objectif premier était d'intégrer les nouveaux arrivants en les francisant ( avant la loi 101, 85% des enfants immigrants fréquentaient l'école anglaise).
On l'oublie souvent, mais la loi 101 visait ainsi à établir le français comme la véritable langue nationale du Québec.
Ce faisant -, et en visant à intégrer les immigrants à la société d'accueil francophone -, la vraie finalité de la loi 101, hormis pour la minorité historique anglophone, était de dé-ethniciser le français pour en faire la langue commune des Québécois de toutes origines. Et non plus uniquement la langue des «Canadiens français» vivant au Québec.
En même temps, les Franco-Canadiens – ou francophones hors Québec -, ont également défini ou redéfini en conséquence leur propre identité politique, culturelle et territoriale.
Les Franco-Ontariens, Franco-Manitobains, Acadiens, Fransaskois, Franco-Albertains, etc. – eux aussi, formant des communautés de langue française, métissées et diversifiées sur le plan ethnique -, sont nos voisins d’esprit, de cœur, de langue et de culture. Nul besoin d’être fédéralistes pour le ressentir.
Tout au long de la montée du mouvement souverainiste, les rapports entre Québécois et Franco-Canadiens sont cependant devenus tendus. Le phénomène était inévitable.
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Tensions inévitables
La vraie raison était politique, mais pas nécessairement celle que l’on croit.
Car on accuse encore souvent les Québécois d’avoir «laissé tomber» les Franco-Canadiens ou encore, de s'être montrés hautains envers eux.
La vérité est nettement plus complexe.
Pendant toutes ces années de montée du mouvement souverainiste, les gouvernements fédéraux instrumentalisaient eux-mêmes la crainte parfaitement légitime des Franco-Canadiens face à la possibilité d’un Québec indépendant.
Résultat: ils en ont fait d'excellents défenseurs de l'unité canadienne. Ce qui, inévitablement, provoquerait des frictions importantes avec le mouvement souverainiste.
Leur crainte était en effet légitime parce que sans le Québec, la francophobie risquait fort de ressurgir d’autant plus dans les provinces anglophones. Les Franco-Canadiens en étaient parfaitement conscients.
Ce qui en disait déjà long sur le respect tout relatif de la classe politique anglo-canadienne pour les droits des communautés franco-canadiennes.
Maintenant que la «menace séparatiste», comme disent les anglophones, n'en est plus vraiment une, le Québec fait toujours partie de la fédération, mais son rapport politique de forces est gravement affaibli.
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La perte du rapport de forces et ses conséquences
D’où l’offensive de Doug Ford - et celle qui s’en vient aussi au Nouveau-Brunswick. De fait, Doug Ford ne craint aucunement la colère du Québec.
Pour les Franco-Ontariens, les conséquences sont graves.
D’une certaine manière, sur le plan purement politique, c’est un peu comme si le Québec n’était plus dans la fédération. Son influence fondant à vue d'oeil.
Alors, dans un tel contexte – et après des décennies de construction identitaire moderne et distincte - autant chez les Québécois que chez les Franco-Canadiens -, voulez-vous bien me dire pourquoi devrions-nous retourner au vocable «Canadien français»?
Sauf, bien sûr, lorsqu’on fait clairement référence à une ascendance ethno-culturelle bien spécifique, mais qui, considérant aussi des siècles de métissage, a considérablement changé au fil du temps.
La seule raison que l’on peut deviner est celle de vouloir convaincre les Québécois, quel que soit leurs convictions politiques, de se revoir à nouveau comme un gros groupe ethnique parmi d’autres.