Que signifie la reproduction des manifestes au Québec ?

Penser le Québec - Dominic Desroches

La mode est aux manifestes. Personne au Québec ne semble échapper à la
nécessité de manifester quelque chose, avec ou sans raison. Cette mode,
dont tentait de profiter l’été dernier l’Institut du Nouveau Monde en
invitant les jeunes à écrire de courts textes, concerne tous les citoyens.
Aujourd’hui par exemple, si nous ne savons pas à quel moment sera publié le
Manifeste pour un nouveau Parti québécois, en revanche nous savons que
François Legault et Joseph Facal travaillent fort à sa rédaction. Est-ce
que le couronnement de Pauline Marois à la tête du Parti québécois
retardera sa sortie ? Personne ne le sait. Cependant, nous savons que, pour
certains, la rénovation complète du Parti québécois repose sur la
production d’un nouveau manifeste. Avant de s’intérroger sur la mode bien
québécoise des manifestes, prenons un instant pour rappeler l’historique de
cette nouvelle tendance.
Les manifestes québécois : petit rappel historique
En novembre 2005, quelques personnalités publiaient un manifeste sombre
mais « lucide » sur l’avenir du Québec. Quelques jours plus tard, un
regroupement de « solidaires » répliquaient en publiant un contre-manifeste
afin de rassurer la population et justifier la gauche. Il y a quelques mois
à peine, on lisait dans le Devoir des extraits du Manifeste pour une
approche réaliste de la souveraineté
. Nous apprenions d’ailleurs par le
même journal qu’Alain Juppé, impressionné par Lucien Bouchard (celui que de
nombreux Québécois voient comme un père…) et le manifeste des « lucides »,
pensait écrire un manifeste… pour la France ! Et maintenant, en mai 2007,
c’est au tour des amis et des membres du Parti québécois d’insister pour
ajouter un nouveau texte dans la marre des manifestes québécois. Celui-ci,
semble-t-il, portera sur les changements à apporter au futur programme du
parti.
Conclusion provisoire : les manifestes se reproduisent vite au Québec.
Questions provoires : que se passe-t-il précisément au Québec pour générer
autant d’insatisfaction ? Pourquoi vouloir produire autant de
manifestations textuelles en si peu de temps ? Car il ne faut pas jouer à
l’autruche, la véritable question qui occupe tous les intellectuels dans
les salons de jeu est la suivante : quel sera le titre du prochain
manifeste ? Le Manifeste pour le respect des ponts de Montréal ? Le
Manifeste des enfants contre la guerre en Afghanistan ? Le Manifeste pour
la sauvegarde des chefs ? Qui sait ? Les paris sont ouverts... Mais pendant
que l’on mise, nous semblons oublier ce qu’est un manifeste, sa fonction et
sa signification.
Pourquoi écrit-on un manifeste ?
Généralement, on écrit un manifeste pour critiquer une société. L’écrit
est court, virulent, programmatique. Souvent, presque illégial, on se le
passe sous le manteau car il vise à renverser un ordre établi. Témoignant
d’une crise sans précédent, il conduit à la formation d’une nouvelle école
ou d’un nouveau parti politique. Pour illustrer la chose, pensons ici au
Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels (1848), au Manifeste du surréalisme de Breton (1924) ou au Manifeste du Refus Global (1948). On
remarquera que la situation de crise ou la nécessité d’un changement
radical justifie la rédaction d’un manifeste. Dans l’ordre normal des
choses, nous lisons un manifeste par génération ou par siècle. Engagé au
possible, ce court texte rédigé au moyen d’une puissante rhétorique veut
rendre « manifestes » les injustice sociales afin de forcer l’engagement,
c’est-à-dire la manifestation des membres tranquilles de la société. Mais
au Québec, comment interpréter la multiplication de ce genre d’écrit ?
Comment interpréter la reproduction des Manifestes québécois ?
Nous devons admettre que si nos manifestes québécois respectent les
conditions habituelles de ce genre de publication, alors le temps n’est
plus à la rédaction de textes, mais à l’action. SI cela est vrai, la crise
n’a jamais été aussi urgente... Trois ou quatre, peut-être cinq manifestes
rédigés en une année et demi, deux années au maximum, peut-être sommes-nous
entrés en guerre ? Si oui, avec qui ? L’Afghanistan ? Ottawa ? La jeune
génération ?
Or, tout le paradoxe de notre situation se trouve dans le fait que nous ne
pouvons pas agir, car nous ne savons pas ce que nous voulons. En effet, si
la multiplication des pamphlets traduit une insatisfaction croissante, tous
ces écrits proposent des directions opposées, voire irréconcialiables. La
sortie des deux premiers manifestes est claire à cet égard : le Québec se
cherche une voie entre une droite et une gauche, et apparaît plus divisé
que jamais. Le solidaires trouveront toujours des lucides sur leur chemin
et inversement.
Si la publication du Manifeste pour un Québec solidaire a conduit à la
formation rapide d’un nouveau parti politique, ce parti n’est pas encore
prêt à résoudre l’énigme du Québec. Actuellement, le Québec, gouverné ici
par les libéraux de Charest et d’Ottawa par les conservateurs de Harper, ne
donnera pas le pouvoir à un parti aussi jeune, fût-il pur, vierge,
féministe et écologique. Gouverner exige une crédibilité, laquelle demande
du temps.
Le premier manifeste, ceux des « lucides », demeure pour
l’instant dans une impasse. Ses signataires n’ont pas continué leurs
efforts, certains ont même quitté le navire avant d’arriver au port. En
ajoutant les propositions du manifeste numéro 3, la souveraineté n’est plus
la voie que nous pensions qu’elle était. Après la guerre des concepts de
lucidité et de solidarité, les derniers signataires nous invitaient à
emprunter le chemin de la réalité afin de réaliser une souveraineté légale.
Mais que dire de ce chemin depuis les élections du 26 mars 2007 ?
Évidemment, on s’en rappelle, emprunter ce chemin en a choqué plus d’un,
comme en témoigne la réponse désabusée d’Andrée Ferretti dans le Devoir du
15 mai 2006.
Les manifestes : tirer une leçon
La publication des manifestes révèle la critique du modèle québécois,
celui qui nous a si bien servis depuis 40 ans. Les sorties récentes du
docteur Castonguay, que l’on aime surnommer « le père du réseau universel
des soins de santé québécois », ne font qu’illustrer l’ampleur de la crise
que nous vivons. Et ce n’est pas le dernier manifeste en lice, celui
rédigé par François Legault et Joseph Facal au nom d’un nouveau Parti
québécois, qui demeurent des amis des « lucides », qui changera quelque
chose au problème de fond. Si nous critiquons à tous les jours les acquis
du modèle québécois, Pauline Marois, dès qu'elle prend la direction du
Parti québécois, reprendra le flambeau de la souveraineté et défendra
l'idéal social-démocrate. Décidément, il convient de tirer une leçon de la
publication des manifestes.
Une conclusion s’impose ici : nous, qui sommes désormais sans père, devons
accepter la nécessité de changer quelque chose, même si nous ne savons pas
encore quoi. Ce que la reproduction des manifestes traduit avec précision,
c’est l’absence d’une direction nette à l’intérieur d’un horizon de
changement. Nous sommes, notamment depuis la montée fulgurante des demandes
d’accommodements raisonnables et déraisonnables, à la recherche de notre
propre identité. Un peuple qui se permet trois, quatre ou cinq manifestes
en si peu de temps se cherche manifestement lui-même. L’heure n’est donc
plus à la publication de pamphlets, mais à la réflexion aussi bien
individuelle que collective sur l’avenir du Québec, une réflexion qui devra
conduire à des engagements collectifs forts. Sinon, c’est Andrée Ferretti
qui aura paradoxalement raison, elle qui disait chercher un sens en
écrivant ces mots : « Le peuple québécois ira dans le bon sens, de défaite
en défaite, jusqu’à la mort »…
Dominic Desroches (Ph. D.)

Département de philosophie / Collège Ahuntsic
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    16 mai 2007

    Qui ont rédigés et endossés tous ces manifestes?
    Des manifestes québécois? Vraiment?
    Est-ce que l'association des juifs sépharades du Québec les ont endossés? Et le Conseil Juif (Ashkénazes)du Québec? Les Juifs Hassidims d'Outremont? Le Conseil des musulmans du Québec? La Communauté Héllénique de Montréal (Grecs)? La ligue des noirs? Le Conseil haitien? Toutes les chambres de commerce de toutes les communautés ethniques? Le conseils de bandes des 11 peuples Amérindiens? Les Innuits du Nunavik? Les Anglais de Westmount?
    Etc...etc...
    Des manifestes québécois? Vraiment?
    Pourquoi donc tous ces conseils, congrès, associations, représentatifs de groupes distincts de Québécois n'endossent aucun de ces manifestes "québécois"?
    Simplement parce que leurs associations produisent leurs propres manifestes spécifiques à leurs intérêts respectifs. Ce sont leurs outils identitaires. Des lobbies identitaires. Ils n'ont besoin que d'une seule signature, la leur, car ils sont bien regroupés et identifiés. Aucune ambiguité de qui en fait partie.
    Tandisque ces manifestes "québécois", terme ambigue s'il en est, surtout dans son sens civique, doivent toujours se refondre une nouvelle identité et signature dont personne ne reconnaît vraiment: les lucides, les solidaires, les réalistes, etc...
    Des signatures et identités abstraites et philosophiques dont personne ne se voit faire partie.
    Que ce sont les seuls manifestes qu'on qualifie de "québécois" en dit long sur le vide identitaire dans lequel on nous a plongé.
    Biensûr, l'insuccès de ces manifestes est assuré, car personne ne s'identifie personnellement à une vertu, à part les gros égos qui les rédigent et dont ce sont donc les intérêts spécifiques qu'ils défendent.
    Le manifeste de Legault-Facal tombe dans la même catégorie. Un manifeste "péquiste" dont la signature du parti lui-même s'accapare l'identitaire ambigue "québécois" et qui a érrigé le souverainisme en vertu qui fait de celui qui s'en réclâme un "véritable Québécois". Un manifeste lucide, solidaire, réaliste, souverainiste, francophone, inclusif, rassemblant toutes les vertus du meilleur des mondes.
    Biensûr aucune des communautés québécoises ne vont endosser çà. Ce n'est pas un manifeste d'un groupe réel mais d'un parti politique aux visées bien limitées.
    Ce que les Canadiens français du Québec ont besoin, c'est d'un lobby comme en ont les autres identités québécoises. Un Conseil, Congrès, Association, bien identifié au groupe et dévoué à servir les intérêts spécifiques à ce groupe. Proposant à ces membres de voter en bloc, à l'instar des autres lobbies, pour les partis qui serviront leurs intérêts. Et puisque les Canadiens français sont majoritaire, ils seront une force majoritaire.
    C'est ce pouvoir que la nation civique nous a retiré, dans la folie de croire à une possible unification identitaire de tous les groupes ethniques du Québec. Folie de croire que des identitées millénaires s'abandonneraient pour en adopter une nouvelle qui n'a de spécifique que sa langue. C'est cette force que le PQ s'est accaparrer en s'en présentant comme le plus sécure dépositaire et fructificateur. Il s'en servit plutôt comme un Vincent Lacroix. Dilapidant toute l'énergie du peuple.
    C'est la perte de ce pouvoir, ce pouvoir que représentait jadis la Société St-Jean Baptiste qui fut forcée à remettre notre fête du peuple Canadien français à une Fête Nationale civique dénuée d'identité. On aurait pu choisir une date ailleurs dans le calandrier, mais on décida pour tous et contre tous de littéralement déloger l'identitaire de 300 ans d'un peuple de sa fête. On décida pour tous et contre tous de fusionner et détruire les symboles que portaient des noms de villes chargées de l'histoire de ce peuple.
    Désolé, mais la charge émotive et identitaire d'un peuple de 400 ans ne se détruit pas aussi facilement. Il est bien imprégné dans toutes les atomes de ceux qui le portent.
    Les accomodements raisonnables est un avertissement de l'inconscient collectif de ce peuple. Le cris d'Hérouxville, celui des Métis (Canadiens-français/Amérindiens) du Saguenay, et de toutes les régions ne doivent pas rester sans réponse.
    Il nous faut notre lobby.
    Nous aussi on veux notre musée rappellant la discrimination que nous avons subis par le fédéral canadian. Pourquoi les juifs en ont un et pas nous? On veux des fêtes, des musées, des programmes scolaires, et toutes sortes de manifestations et créations qui rappelleront notre histoire d'un peuple extraordinaire qui a résisté à toutes les tentatives d'extermination. On veux des monuments à notre persévérence en exemple à tous les autres peuples et que nos enfants en soient fières. Seulement par la fin du reniement et le retour à notre reconnaissance de qui nous sommes vraiement pourrons nous alors retrouver la confiance de l'affirmation complète d'un peuple et d'une nation.
    À nous maintenant de mettre de la pression.