S’il veut continuer à vivre sur la terre, l’homme doit changer ses
habitudes. La surconsommation ferme l’horizon et remet en question son
avenir. Mais comment faire, dans un délais relativement court, pour battre
la résistance au changement et vaincre la force d’inertie ? Pour utiliser
une image assez actuelle : comment faire tourner une voiture sur une pièce
de 10 cents ?
Malheureusement, une interprétation erronnée, aussi très intéressée,
cherche à s’imposer dans l’opinion publique. Elle veut que, sondages
récents à l’appui, les citoyens soient désormais sensibles à
l’environnement. Il s’agit d’une erreur parce que cette lecture masque un
problème : les Québécois disent qu’ils comprennent l’enjeu derrière les
changements climatiques, mais ils n’en continuent pas moins de vivre comme
d’habitude. D’un côté, on dit comprendre, de l’autre on consomme encore
davantage. Or certains adeptes de l’écologie profonde, Steven Guilbault et
David Suzuki en tête, profitent de cette « bonne nouvelle » pour récupérer
politiquement le sondage et exiger des mesures contraignantes, en plus de
menacer de poursuites devant les tribunaux les industries polluantes au nom
des générations futures.
Ainsi il convient de corriger l’erreur d’interprétation et de dénoncer la
récupération partisane de certains utilitaristes de la cause
environnementale. D’une part, les sondages ne peuvent évaluer la
compréhension des citoyens – tout le monde se dit
« verts » et consciencieux –, seul le changement du mode de vie l’exprime
concrètement. Car ce n’est pas parce que l’on se dit touché par la
catastrophe annoncée que notre agir en traduit l’intelligence. Il faut au
contraire que la nécessité de changer trouve un sens dans la vie des gens
pour qu’il y ait du progrès. D’autre part, les mesures contraignantes, les
lois, ne seront signifiantes que lorsque les citoyens eux-mêmes verront et
ressentiront ce qu’il en coûte de ne pas les respecter.
Du bon usage de l’approche légaliste
Si la nécessité de voter des lois pour protéger l’environnement est une
évidence, il faut se demander à quel moment intervenir. Cependant, même si
le climat actuel l’exige, il semble peu propice à l’approche légaliste
parce que nos actions - pensons au plan vert du fédéral - sont
contradictoires. Nous détruisons d’une main ce que nous construisons de
l’autre. Certes, les lois s’imposeront mieux dans la cohérence et la
transparence. Si les hommes, on le sait, changent leur comportement sous la
contrainte extérieure, par la force de la loi, l’Histoire nous rappelle
toutefois que l’imposition de changements brusques n’est pas toujours gage
de succès. Les révolutions tournent souvent à l’échec, tandis que les
petits gestes donnent un sens, une direction. L’idéal serait de faire
soi-même en vérité l’expérience des changements climatiques et d’exiger
ensuite, de l’extérieur, des lois. Celles-ci passeront bien lorsque les
citoyens, dans une volonté politique commune, prendront part au jeu, qui
est notre ultime responsabilité. Mais que faire entre-temps ?
Esprit de finesse contre esprit de géométrie ?
Le mieux peut-être, dans le contexte actuel, est d’élaborer un projet
éducatif au cœur duquel on valorisera un affinement progressif de nos goûts
pour les produits de la nature. Basée sur un idéal de raffinement, la
culture se développe par une attention aux goûts et aux manières. Mais qui
désormais parle du « raffinement », sinon les pétrolières ? En ce cas, il
faut redonner un sens à nos mots et raffiner plus d’humains et moins de
prétrole ! Car si nous voulons, à l’instar des pays européens, participer à
l’effort planétaire de sensibilisation à l’égard de la terre, il importe de
défendre l’esprit de finesse contre l’esprit de géométrie, c’est-à-dire
l’esprit de la culture contre l’esprit calculateur des pollueurs. Si
l’esprit de géométrie est droit, expliquait Pascal, il est conquérant et
insensible aux effets de ses calculs. Contre les géomètres bornés, Pascal
préférait l’esprit de finesse, car celui-ci demeure attentif aux principes,
aux détails et aux conséquences. L’esprit de finesse recommande de marcher
plus, baisser le chauffage, refuser le sac de plastique, acheter des
produits locaux, remplacer la vieille ampoule par la fluocompacte, etc.
À l’heure des plus grands problèmes subsiste un paradoxe existentiel :
c’est bien lorsque tout est devenu trop grand pour nous qu’il faut
commencer par le petit geste, la finesse et le refus de la négligence. Si
une rhétorique environnementale – un discours capable de persuader la
multitude – nous fait cruellement défaut, nous devons en revanche porter
attention aux détails. En ce sens d’ailleurs, peu de temps avant sa mort,
le peintre Nicolas Poussin a prononcé pour lui une parole très simple qui
pourrait tout autant s’adresser à nous aujourd’hui. En observant nos vies, demandons-nous en effet qui pourra dire tout haut, comme le peintre Poussin : « Je n’ai rien négligé » ?
Dominic DESROCHES (Ph. D.)
Professeur de philosophie / Collège Ahuntsic
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Aider la planète par l’affinement et le sens du détail
C’est bien lorsque tout est devenu trop grand pour nous qu’il faut commencer par le petit geste, la finesse et le refus de la négligence
Tribune libre - 2007
Dominic Desroches115 articles
Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Eti...
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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.
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