Hausse des droits de scolarité

Quand succès scolaire et gratuité universitaire vont de pair

Chronique de Louis Lapointe

Les statistiques du ministère de l’Éducation indiquent clairement depuis des années que lorsque les taux de réussite augmentent dans un ordre d’enseignement, le taux de passage à l’ordre d’enseignement suivant augmente également si l’accès aux études existe pour les étudiants dans un rayon de 25 km de leur lieu de résidence.

C’est la raison pour laquelle, historiquement, les hauts fonctionnaires du ministère de l’Éducation et les gouverneurs du réseau de l’Université du Québec ont toujours défendu l’idée que les trois moteurs du succès scolaire étaient la réussite, l’accessibilité - la présence de cégeps et d’universités sur l’ensemble du territoire québécois - et des droits de scolarité bas.

En fait, la réussite, l’accessibilité et la gratuité sont des facteurs concomitants du succès scolaire. L’absence d’un seul de ces facteurs peut causer l’échec des deux autres. Lorsqu’on nous propose d’augmenter considérablement les droits de scolarité à l’ordre universitaire, on met donc inévitablement en péril l’accessibilité et la réussite d’une importante proportion de la population. Le combat pour une école publique gratuite est un projet républicain

Aussi paradoxal que cela puise paraître, même s’il défendait le contraire dans une récente chronique, Derrière les slogans, c’est Joseph Facal qui a fourni un des meilleurs arguments pour soutenir les revendications des étudiants universitaires en grève générale illimitée qui réclament la gratuité scolaire à l’ordre universitaire.

Dans son blogue du 15 décembre 2010, L’anguille et l’éléphant, Joseph Facal nous apprenait que les Français qui assistaient à ses cours étaient bien meilleurs que les petits Québécois.

«Je suis obligé de constater que, dans mes classes, quand les Français s’expriment, ils ont, en général, une maîtrise de la langue écrite et parlée indiscutablement supérieure à celle des jeunes d’ici. Je ne parle pas ici d’accent pointu, mais d’un vocabulaire plus étendu, qui leur permet de s’exprimer non plus intelligemment, mais plus subtilement. Leur coffre à outils linguistique est mieux garni et davantage maîtrisé.

Quand j’évoque la Révolution américaine ou la Guerre froide, les Français savent généralement de quoi il est question. Les nôtres ont entendu ces expressions, mais ils n’en connaissent habituellement ni le contenu ni la signification.

Quand il est question d’histoire ou de politique, les faits ne sont pas non plus ordonnés chronologiquement, et l’importance des uns par rapport aux autres ne ressort pas. Dans leur tête, tout est mélangé comme dans une poche de linge plutôt que bien classé sur des étagères.

Régulièrement, les Français me citeront aussi des auteurs classiques, comme Jean-Jacques Rousseau ou Adam Smith. Les nôtres, jamais. Nous devons maintenant les obliger à citer au minimum deux livres dans leurs travaux de session. Sinon, ils n’utiliseraient que l’Internet et ne mettraient jamais les pieds à la bibliothèque.»

Il est pour le moins étonnant qu'il ne soit jamais venu à l’idée de Joseph Facal de demander à ces étudiants français ce qu’ils faisaient de leurs soirées et de leurs vacances d'été alors qu'ils résidaient en France. Ils lui auraient certainement répondu qu’ils ne travaillaient pas. Ils étudiaient. Ils lisaient. Ils voyageaient. Ils s'instruisaient.

Or, dans le Devoir de ce matin, nous apprenions que dans la majorité des pays d’Europe les études universitaires sont quasiment gratuites. La quasi-gratuité reste la norme en Europe

Un argument que j’avais moi-même soulevé dans une critique de la position de Joseph Facal envers les étudiants québécois. Dans cette chronique, j’attirais l’attention de mes lecteurs sur le fait que les jeunes Québécois travaillaient trop et ne consacraient pas suffisamment de temps à leurs études.

Pas plus que les jeunes Belges, les jeunes Français n’ont besoin de travailler pour payer leurs études. Elles sont gratuites. De toute façon, même s’ils le voulaient, ils ne pourraient pas travailler. Il y a peu d’emplois disponibles pour les étudiants dans ces deux pays. Qu’est-ce qu’ils font à la place ? Ils voyagent, ils lisent, ils s’instruisent, ils visitent les musées. Ils manifestent aussi...parce qu’ils n’ont pas d’emploi !

Pendant ce temps, les jeunes Québécois essaient tant bien que mal d’être « productifs » et de joindre les deux bouts tout en étudiant. Ils travaillent, consomment, remplissent leurs cartes de crédit et payent leurs télécoms 2 à 3 fois plus cher qu’en Europe. Même s’ils travaillent de 20 à 30 heures par semaine dans certains cas, ils sont de plus en plus endettés. À ce rythme, quand voulez-vous qu’ils lisent les Misérables ? Les méprisables

Un sujet que les recteurs ont décidé d’occulter une fois de plus en proposant que les étudiants travaillent encore plus pour payer leurs droits de scolarité ou, à tout le moins, qu’ils investissent dans leur avenir, une façon polie et politiquement correcte de leur suggérer de s’endetter davantage. Une position intenable que je n'ai pas manqué de critiquer.

Tout bon parent sait d’expérience que pour devenir un bon étudiant, il faut étudier. De la même façon, pour être un bon nageur, il faut nager. Un musicien qui ne ferait pas chaque jour ses gammes ne sera probablement jamais le bon musicien qu’il voudrait devenir.

Dans cet esprit, un parent intelligent souhaitera toujours que son enfant consacre davantage de temps à ses études qu’à un emploi.

Étonnamment, pas plus que les ministres du Gouvernement, les recteurs n’ont encore compris cela.

Bizarrement, ils ne demandent pas aux étudiants de consacrer plus de temps à leurs études pour qu’ils deviennent de meilleurs étudiants. Ils ne leur demandent pas non plus d’étudier et d’explorer le monde pour devenir des étudiants curieux. Ils ne leur proposent pas de leur donner plus de temps. Ils leur demandent honteusement de l’argent, juste plus d’argent.

Comment a-t-on pu confier nos universités à des gens qui ne sont pas assez intelligents pour comprendre qu’on ne les paie pas pour qu’ils incitent nos enfants à travailler au dépanneur du coin de la rue, mais à étudier ? Sinon, à quoi servent tous ces impôts que nous déboursons chaque année ?

Peut-on sérieusement croire un seul instant qu’un parent fortuné et intelligent pourrait demander à ses enfants de consacrer 20 ou 30 heures par semaine à vendre des chaussures ou des vêtements alors qu’ils pourraient consacrer toutes ces heures à leurs études ?(...)

Lorsqu’on veut que nos enfants lisent, on ne leur demande pas d’aller gagner de l’argent pour s’acheter des livres, on met à leur disposition, à la maison et dans les écoles, les meilleurs livres et on les encourage à les lire.(...)

Quand ils auront enfin terminé leurs études, nos enfants auront tout le loisir de rembourser leur dette à la société en payant les impôts nécessaires pour que d’autres jeunes puissent à leur tour consacrer tout leur temps à leurs études. La meilleure façon de donner au suivant!

À l'occasion d'une allocution tenue devant la Chambre de commerce de Montréal en février 1993 Claude Corbo, recteur de l'UQAM, tenait un tout autre discours: les étudiants doivent consacrer plus de temps à leurs études et moins de temps à leur travail s'ils veulent réussir.

« D’après une recherche réalisée à l’UQAM même, les étudiants qui travaillent consacrent le même nombre d’heures à leurs loisirs, à leurs déplacements et au sommeil que ceux qui ne travaillent pas. C’est donc dans les heures consacrées aux études qu’ils rognent, soit « 8 heures de moins par semaine, 250 heures de moins par année universitaire et 750 pour un baccalauréat ».

Il a aussi relevé un fait étrange : il semble que la proportion des étudiants qui travaillent tend à s’accroître avec le revenu de leurs parents. Selon le recteur Corbo, le travail étudiant n’est pas nécessairement lié à des besoins économiques de base. Beaucoup d’étudiants travaillent pour consommer et pour accroître leur autonomie face à leurs parents, pas seulement pour payer leurs études. Il signale que même au cégep plusieurs jeunes travaillent, alors qu’il n’existe pas réellement de frais de scolarité. À partir de toutes ces constatations, M. Corbo se demande s’il ne faut pas « baliser le travail étudiant à temps partiel ». »« La réussite scolaire des jeunes doit leur être présentée comme étant plus importante que leur capacité de consommer. »*

Une situation qui m’a amené à faire la constatation suivante en marge de la déclaration du recteur Corbo.

Si chaque heure travaillée est une heure de moins dédiée aux études, nous aurons tous compris que l’actuelle hausse des droits de scolarité risque d’avoir pour effet direct de diminuer le nombre d’heures que les étudiants consacreront à leurs études.

Dans une critique portant sur le budget Bachand du 17 mars 2011, La carotte et le bâton, un budget qui a fait très mal aux étudiants, j’avançais ce qui suit:

Si jadis, elles furent élitistes, aujourd’hui, les universités favorisent indûment leur mission de recherche aux dépens de leur mission d’enseignement en finançant leurs activités de recherche sur le dos des étudiants grâce, entre autres, à la dernière hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement du Québec. Un choix risqué qui ne sera pas sans conséquence sur le taux de scolarisation des Québécois.

Le gouvernement veut-il vraiment, comme il le prétend, plus de diplômés universitaires sur le marché du travail avec des salaires plus élevés et, en conséquence, des recettes fiscales plus substantielles ?
Cherchez l’erreur !

Pendant que Raymond Bachand tend la carotte aux universités, il donne du bâton aux étudiants. Une décision étonnante de la part d’un ministre qui souhaitait, il y a un an à peine, un effort de rationalisation plus grand de la part de l’administration publique.

D’autant plus controversée, que les universités nous ont prouvé, au cours des dernières années, qu’elles n’étaient pas les établissements publics les mieux administrés, un euphémisme !

Sans surprise, alors qu’il défend depuis de nombreuses années le principe de l’utilisateur-payeur dans le domaine des services publics, le professeur Claude Montamarquette proposait lui aussi de faire payer l’augmentation des coûts de recherche par les étudiants, alors que ce sont surtout les entreprises qui bénéficient du genre de recherche qui se fait de plus en plus dans les universités, suivant en cela un modèle « affairiste ». Une contradiction que je n'ai pas manqué de souligner.

Même si la recherche profite d’abord aux entreprises et à leurs dirigeants qui payent de moins en moins d’impôts et voient leurs revenus augmenter de façon exponentielle, ce sont les étudiants qui doivent payer pour l’embauche de nouveaux professeurs qui consacreront l’essentiel de leur tâche à la recherche, pas à l’enseignement.

Historiquement, au Québec, la recherche a toujours été financée par les fonds publics, pas par les étudiants.

D’ailleurs, les coûts associés à l’enseignement n’ont presque pas évolué au cours des dix dernières années, alors que, pendant ce temps, ceux associés à la recherche ont littéralement explosé. Les étudiants, les grands perdants ; les dirigeants, les grands gagnants !

En conclusion, si le constat de Joseph Facal à l'endroit des jeunes étudiants universitaires québécois est cruel, le remède qu'il propose l'est encore plus.

Loin de soutenir les étudiants québécois dans l'acquisition d'une culture générale, comme les recteurs, il les incite plutôt à travailler davantage pour payer leurs études alors que, paradoxalement, il vante la curiosité intellectuelle des Français et leur connaissance de l'histoire de la démocratie, sachant pertinemment que toutes les deux s'épanouissent dans un terreau fertile: le temps. Une denrée rare que seuls les plus riches pouvaient se payer il n'y a pas si longtemps encore, un parallèle que je n'ai pas manqué de souligner.

À l’image des romans de Zola et de Dickens, pendant que les riches ergotent au salon au sujet de l’indigence et de l’inculture des misérables, les pauvres besognent au charbon. Mais cette fois-ci, il n’y aura pas de révolution, c’est la consommation qui mène le monde.

Après ça, on se demande pourquoi la démocratie est en danger. La réponse est pourtant évidente. Plus personne n’a le temps de s’en occuper sauf les plus riches qui veillent à leurs intérêts. Les pauvres ont trop d’ouvrage et de comptes à payer !Les méprisables

***

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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3 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    6 mars 2012

    @ Réal Croteau:
    Les radios-poubelles sont un véritable fléau, chez nous, en effet; mais tout le monde ici ne les écoute pas, rassurez-vous!
    J'ai connu assez d'étudiants qui étudiaient à temps plein tout en trouvant moyen de travailler en plus une vingtaine d'heures par semaine, pour comprendre que c'est difficile, très exigeant pour eux.
    «Oui, mais les étudiants, là, ils sont capables de se payer des ordinateurs portables pis des ipods, bon!». Dans le premier cas, c'est un investissement très utile pour leurs études, et dans le second... Que dire? Ils sont de leur temps; il y a trente ans, les étudiants se privaient-ils de posséder un walk-man???
    «C'est au Québec que c'est le moins cher», nous répéterons de tels idiots... Oui, mais c'est ici que nos citoyens voient leurs revenus être les plus lourdement imposés!
    Notons aussi que notre ami à tous, John James McDonald Charest, parle d'augmenter les frais de scolarité, mais sans pour autant ajuster à la hausse, proportionnellement, l'envelopppe budgétaire à être consacrée aux prêts étudiants. On peut comprendre que certains, se sentiront pris à la gorge, financièrement.
    De plus, nous n'avons pas en place une tradition et un système, de généreuses bourses aux étudiants méritants du premier cycle, comme aux États-Unis.
    Ah, autre chose: les gens qui émettent les pires commentaires, au sujet des étudiants et de leurs frais de scolarité, ne sont pas allés à l'université, plus souvent qu'autrement; et n'ont ainsi jamais payés de frais de scolarité, forcémment.
    Est-ce que ces incultes à casquette, seraient seulement satisfaits si tous les étudiants es universités québécoises vivaient comme des miséreux, incapables de s'offrir trois repas par jour? Ne leur en déplaise, nous avons de grands besoins de main d'oeuvre, notamment dans les domaines des cinces pures, de la santé, du génie; ces besoins ne seront point comblés en formant uniquement de futurs «gars de la construction» surpayés.
    Voilà.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 mars 2012


    La gratuité scolaire est à la connaissance
    Ce qu’est l’indépendance est au Québec
    Vive l’Option Nationale, indépendante du parti usurpateur.
    Très bon texte, que je me suis empressé de transmettre à mes filles aux études.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mars 2012

    Merci monsieur Lapointe pour ce billet dont je me suis servi comme une des références pour échanger avec une cousine de Québec qui s'abreuve aux radios-poubelles m'affirmant et je la cite:
    "Moi je crois que les jeunes se plaignent le ventre plein. Ils sont gâtés je crois. C’est au Québec qu’ils paient le moins cher...."
    Pour l'instant, seul Option Nationale (ON) préconise la gratuité au niveau universitaire. C'est une idée qui sent la fraîcheur et qui doit faire son chemin.