Pour les ménages, le sacrifice est immédiat : les salaires sont de facto réduits de 30% à 40% à cause de l'euro.
Personne n'ose y croire, mais tous s'y préparent. L'éclatement de la zone euro "façon puzzle", sa scission en deux parties, l'une au Nord, l'autre au Sud ou l'exclusion d'une poignée de ses membres font partie des scénarios d'économie-fiction que les experts n'hésitent plus à modéliser. Un exercice particulièrement délicat sans toutefois être inconcevable.
Les économistes d'UBS à Londres convoquent ainsi l'histoire, rappelant que"quatre unions monétaires (comparables à la zone euro) de taille et de sophistication diverses ont été brisées au cours du siècle passé. Précisément à la suite de terribles conséquences économiques, sociales et politiques". Et ces derniers de mentionner l'abandon de la couronne de l'empire austro-hongrois en 1919, la fermeture de l'union monétaire aux Etats-Unis en 1932-1933, après que la Réserve fédérale de Chicago eut refusé de prêter de l'argent à celle de New York ou encore l'éclatement de l'ex-Union soviétique en 1992-1993 et la scission entre la République tchèque et la Slovaquie en 1993. L'on peut encore ajouter à la liste la suppression de l'ancrage du peso argentin au dollar en janvier 2002, après la cessation de paiement du pays.
Mais quelle que soit la pertinence de la référence, les experts sont unanimes : une désagrégation de la zone euro serait synonyme de chaos. "Un désastre absolu", résument les équipes d'UBS.
Du plus sombre au moins noir, les scénarios évoquent les faillites en chaîne, les scènes de panique d'épargnants courant au guichet de leur banque à l'image desbank run américains de la crise de 1929, suivie de la banqueroute desdits établissements. Le tout dans un contexte d'appauvrissement général et de récession plus ou moins profonde selon la robustesse des pays. Bref, une catastrophe que l'on ne peut toutefois pas "balayer d'un revers de la main", reconnaît Jean Pisani-Ferry, du cercle de réflexion bruxellois Bruegel.
Comment en arriver là ? Il faudrait un faisceau d'éléments négatifs. Que les dirigeants politiques en Europe tergiversent trop longtemps à résoudre la crise, que la Banque centrale européenne, lassée d'aider les pays financièrement indisciplinés cesse de les soutenir, et que la dette de l'Italie fasse l'objet de violentes attaques spéculatives, par exemple, estime Sylvain Broyer, économiste chez Natixis. A ses yeux, si les taux à dix ans des emprunts italiens se maintiennent à 9 %, la situation serait vite intenable pour le pays, incapable d'éponger davantage que les intérêts de sa dette de 1 900 milliards d'euros.
Ensuite ? C'est le saut dans l'inconnu. Mais l'on peut imaginer que chaque pays retrouve sa devise antérieure, lire, deutsche mark, franc... En théorie, cela signifierait que les grands pays d'Europe du Sud dévaluent leur monnaie de 30 % à 40 % pour redevenir compétitifs face aux pays du Nord, calcule Sylvain Broyer. L'idée étant de réduire le prix des biens exportés et de renchérir celui des importations.
Mais pour les ménages, le sacrifice est immédiat. Leur pouvoir d'achat est amputé : les salaires étant de facto réduits de 30 % à 40 % tandis que les biens importés continuent de circuler. Les épargnants d'Europe du Sud et d'ailleurs voient, de leur côté, leur patrimoine fondre. Pour donner une idée de l'ampleur du cataclysme, Jean Pisani-Ferry rappelle dans son ouvrage Le Réveil des démons. La Crise de l'euro et comment nous en sortir (Fayard, 228 p., 15 euros) qu'à fin 2010, les résidents français (ménages, entreprises et banques) avaient au total 2 000 milliards d'euros placés dans le reste de la zone euro...
Les débiteurs peuvent mieux s'en dépêtrer à condition que leur dette ne soit libellée dans une monnaie plus forte que celle de leur revenu. Auquel cas, ils se retrouvent pris en ciseaux avec, à la clé, de possibles faillites personnelles, industrielles et financières.
L'Allemagne sera peut-être moins pénalisée que d'autres mais verrait disparaître en un clin d'oeil les efforts de compétitivité menés ces dix dernières années. Et l'Etat devra renflouer les banques ruinées par la dépréciation de leurs avoirs investis hors du territoire.
Pour Sylvain Broyer, toute l'Europe traverserait ainsi une récession marquée (de l'ordre de - 3 % du PIB) pendant au moins trois ans, qui affectera aussi les Etats-Unis et le Royaume-Uni deux années durant.
Mais il ne s'agit que de théorie. Comment mesurer la panique qui s'ensuivrait ? Comment endiguer l'inévitable fuite des capitaux de ces pays ? Or un tel phénomène assécherait les économies et accentuerait les désordres monétaires amplifiant les effets d'appauvrissement.
Jean Pisani-Ferry rappelle ainsi que l'Argentine avait fixé la parité de son taux de change à 1,4 peso pour 1 dollar en janvier 2002. Six mois plus tard, la monnaie avait perdu les trois quarts de sa valeur...
Claire Gatinois
Prédire la fin de l'euro n'est plus inconcevable
Pour les ménages, le sacrifice est immédiat : les salaires sont de facto réduits de 30% à 40% à cause de l'euro.
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