La victoire du PQ, les conditions dramatiques dans lesquelles elle a été annoncée, m'obligent à reprendre la méditation sur les destins parallèles du Québec et de la Wallonie. Parallèles, ce qui veut dire qu'ils ne sont pas semblables : aucun phénomène humain n'est jamais identique à un autre.
Notons aussi qu'il y a des journaux qui ont trop vit dit que le tueur du Métropolis agissait comme un déséquilibré ou un isolé. Des journaux chez nous n'ont pas pris la fusillade au sérieux, d'autres si.
La question du référendum à nouveau
J'en reviens à la question référendaire après avoir relu l'ouvrage de Claude Bariteau Pour sortir de l'impasse, Les intouchables, Montréal-Québec, 2005. Ce que me semble assez bien démontrer C.Bariteau à cette époque, c'est que la plupart des pays ne reposent pas sur un tel référendum initiateur. Cela dans la mesure où, même dans des pays de vieille tradition démocratique, s'il y a bien eu référendum, c'était après tout un processus de construction nationale si avancé que le résultat du référendum ne faisait plus aucun doute et n'avait qu'une valeur de ratification. L'exemple le meilleur de ce que je viens de dire, c'est le référendum de 1895 en Norvège qui permit à la Norvège de se séparer de la Suède avec laquelle elle formait une vraie confédération qui implique non seulement juridiquement, mais aussi pratiquement, la possibilité de quitter la confédération (somme toute les deux Etats dans ce cas vivent d'une vie propre s'étendant à des domaines importants et bien plus importants que ceux d'un Etat fédéré, évidemment). N'empêche que le résultat norvégien a quelque chose de stalinien : 99 % des suffrages pour l'indépendance. Mais difficilement contestable à mon sens. Je ne reviens pas sur la procédure que C.Bariteau propose pour aller à l'indépendance qui suppose l'alliance de divers partis sur la question de l'indépendance avant même une élection dont sortirait un gouvernement qui, du moins sur cette question de l'indépendance aurait l'appui d'une majorité absolue de la population (et pas seulement à l'Assemblée national), ET un accord solide.
Le reférendum de 1995 et la violence légitime de l'Etat
Bien que différent de la proposition de C.Bariteau, le référendum de 1995 avait réussi à créer un consensus majoritaire dont on voit mieux avec le recul qu'il a été faussé par diverses fraudes que je ne dirais pas directement électorales, mais au moins péri-électorales, avec des chiffres stupéfiants que je ne vais pas reprendre ici : les dépenses de propagande du Canada se conduisant au Québec comme en territoire conquis, le nombre d'électeurs ayant participé indûment au vote comme dans la région de Montréal, les naturalisations accélérées d'immigrants au Canada. Pour quelqu'un qui ne sait rien du Québec, ces arguments peuvent sembler insuffisants. Cela vaudrait la peine que dans la Francophonie mondiale, on soit mieux au courant des raisons qui font indubitablement de ce vote un vote faussé. Il arrive chez nous qu'en cas de résultat tangent de ce type (avec preuves d'irrégularités à l'appui, même non voulues, comme le vote de bateliers dans certains villes de la Meuse), on annule l'élection. Ce fut le cas à Dinant, ma ville quasi natale en 1970 (on revota en 1971).
Ce qui m'étonne dans le cas de 1995, au-delà même du charisme de Parizeau et de son audace politique (les contacts pris avec certains généraux, les mesures financières prises), c'est le fait que le Québec avec tous ses énormes atouts politiques, moraux, juridiques, culturels, économiques, scientifiques, sa visibilité mondiale, son ancienneté historique, le consensus de type national (minimal, certes), qui existe malgré tout en son sein, ne soit pas encore indépendant, alors qu'une forte majorité de nations indépendantes dans le monde sont très loin de disposer des mêmes atouts. Peut-être peut-on risquer une hypothèse. L'Etat de droit dispose de la violence légitime qu'il n'utilise pas seulement que pour les délinquants mais aussi pour sa sécurité propre. Les initiatives canadiennes en 1995, même si elles ne relèvent pas directement de la violence légitime en relèvement indirectement comme la manifestation des 300.000 personnes de l'ensemble du Canada à Montréal à la veille du 30 octobre 1995. Dans de très nombreux pays du monde, une telle manifestation que ce soit par initiative locale (un bourgmestre peut interdire une manifestation), nationale ou d'un Etat fédéré, aurait été interdite. Même l'Etat belge, menacé par une référendum sécessionniste, ne prendrait pas le risque de pareille démonstration en raison des menaces évidentes de troubles graves et sanglants. Le Canada, à mon sens, a accepté ce risque.
Le référendum «wallon»
Le seul référendum qui ait jamais été tenu chez nous où la Constitution ne permet pas ce type de procédure, c'est le référendum purement consultatif organisé en mars 1950 sur le retour du roi et qui donna des résultats contradictoires en Flandre (70 % pour le roi) et en Wallonie (60% contre), le total des votes belges étant une majorité pour le roi (vu que la Flandre est plus peuplée), malgré l'opposition aussi de la région bruxelloise (51% contre le roi). Il était entendu que les résultats devaient être comptés et proclamés selon les régions. A travers de nombreuses péripéties, le gouvernement belge d'Etienne Duvieusart (un Wallon pas si convaincu que cela de l'opportunité du retour du roi), passa outre et se retrouva devant l'insurrection de la Wallonie et céda très vite, le bain de sang étant probable. L'insurrection de la Wallonie en 1950 participait de l'usage légitime de la violence. Depuis lors aucun référendum n'a plus été possible en Belgique, car ses dirigeants sont persuadés que les résultats de pareil vote seraient inutilisables, les réponses étant plus que possiblement différentes dans les deux parties du pays comme la quasi totalité des sondages sur n'importe quelle question le montre.
Le juriste Hugues Dumont, pourtant partisan du référendum a écrit que refuser tout référendum signifierait que : «La Belgique ne pourrait survivre s'il était permis de connaître sans contestation possible la teneur de son opinion publique sur des questions sensibles.» in Belgitude et crise d l'Etat belge, Facultés Saint Louis, Bruxelles, 1989, p.107. Or, ce constat demeure. Le vote de mars 1950 équivaut à une façon d'instituer de fait un droit de veto d'un des membres de la confédération (ici la Wallonie), mais qui l'a imposé dans la violence et une violence légitime. (1) Pourtant cela ne règle pas encore la question. Et j'aimerais bien revenir au Québec.
Au-delà du politique et du juridique
Ce qui frappe aussi - et c'est une constatation désagréable à faire - c'est que l'indépendance politique ne règle pas tout. Je ne sais pas dans quelle mesure le Québec pourrait faire ce qu'il veut dans le domaine de la langue s'il était totalement indépendant. Et je prie le lecteur québécois de m'excuser de le dire. Il faut bien que l'on soit vrai malgré toutes nos espérances.
En Wallonie, l'indépendance politique ne règlerait en rien les problèmes liés chez elle à une série de fragilités. Il y a la fragilité économique et financière. Mais ce n'est peut-être pas la plus grave.
La Wallonie a beau avoir été de fait la première puissance économique au monde en termes relatifs, le développement qu'on aurait pu espérer en lien avec cette puissance, ne s'est pas produit : c'est une industrialisation sans développement dit Jan Pirotte qui constate que le peuple wallon est un peuple privé de ses repères. (Sur ce dernier lien on lira les constats lucides d'un historien et d'un économiste sous le titre Vision de la Wallonie et du monde.)
Si la Wallonie demeura bien à ce niveau de puissance industrielle pendant un siècle, rapidement, Liège qui était la ville la plus importante du pays et les entrepreneurs wallons en général se virent en quelque sorte phagocytés par la puissance financière installée à Bruxelles dont le développement comme métropole est lié à cela en même temps qu'à son rôle de capitale politique, comme l'a montré Pierre Lebrun dont les constats sont devenus classiques sur ce point et indiscutés.
C'est très visible en Wallonie, surtout dans le Hainaut dont la plus grande ville a été jugée la plus laide d'Europe selon les lecteurs d'un journal hollandais ce qui est compréhensible, car elle est largement un ancien chantier industriel avec tout ce que cela comporte comme faiblesses et chancres (le Charleroi moderne est concentré autour de son aéroport qui est important, mais qui affiche sa dépendance à Bruxelles et à l'anglais à travers son nom). L'autre grande ville de Wallonie, Liège, est aussi dans ce cas mais dispose de plus d'atouts (une université, un port, un aéroport).
L' «impérialisme» bruxellois, l'anglais dominant
En outre, forte du développement que la Wallonie lui a permis de conduire, Bruxelles est une ville qui du point de vue urbanistique s'étend bien au-delà de ses murs et polarise une partie importante de la Wallonie et de la Flandre. Elle monopolise en tout cas côté francophone, les visions de la Belgique qui lui conviennent et qu'elle ne peut que défendre (il est très difficile de mettre en cause cela ou alors il faudrait que la Wallonie conquièrent ses propres médias). Beaucoup de Bruxellois estiment que l'entité fédérée qu'est Bruxelles devrait en quelque sorte annexer des parties de la Wallonie et de la Flandre, voire une province wallonne et un province flamande sinon même plus. Le mouvement wallon a longtemps posé la question de l'hyper-développement de la capitale belge. Curieusement, il ne le fait plus. Certes, l'Etat fédéral se vide de sa substance et on pourrait espérer revenir à l'intérieur du pays à une convivialité de régions plus respectueuse les unes des autres. Mais le développement de Bruxelles semble n'être plus lié à son rôle de capitale belge. La Flandre et Bruxelles semblent seuls avoir profité de l'extraordinaire développement de la Belgique comme l'a montré de manière tout aussi indiscutée le professeur Quévit.
Ce que Wallons et Québécois ont peut-être le plus en commun, c'est cela. Les débordements du Canada sur le Québec ou de Bruxelles et de la Flandre sur la Wallonie peuvent se jutifier en quelque sorte «objectivement», cela non pas seulement via le politique, mais à travers des processus qui semblent plus spontanés et donc, derechef,« légitimes». Comme la préséance «naturelle» de l'anglais, comme l'expansion «naturelle» d'un métropole (Bruxelles) et d'une région qui possède plusieurs ports de mer.
Raison(s) de plus pour conquérir l'indépendance politique dont nos interlocuteurs ont beau jeu de dire qu'il ne sera pas à même de nous rendre plus forts face à leurs expansions «naturelles», alors qu'eux-mêmes ne se priveront jamais de ce pouvoir politique qui renforce évidemment ces expansions et dont le but ou du moins l'effet - car ce n'est pas nécessairement voulu ou intentionnel - sera de nous détruire.
(1) On peut estimer que le fait de l'insurrection wallonne de 1950 anticipait sur le caractère en fait largement confédéral du fédéralisme belge.
Pourquoi Wallons et Québécois échouent jusqu'ici (II)
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
9 septembre 2012Je lis régulièrement vos chroniques sur Vigile.net et je voudrais en profiter pour vous renercier de nous faire connaître ainsi votre pays Wallon.
Peut-être, du fait de suivre ainsi à la trace votre pensée influe-t-il sur ma perception de votre présent billet mais je puis dire que je le trouve vraiment très éclairant sur l'évolution de notre situation au Québec. Je trouve en fait qu'il mériterait d'être lu par toute personne le moindrement politisée de notre coin de pays.
Merci Monsieur Fontaine de nous faire participer semaine après semaine de ces analyses politiques et d'historique comparées entre chez vous et chez nous.
PS1 : Si votre expérience (reflet d'un fait de civilisation à la fois si différent et si proche du nôtre) pouvait ici faire réaliser à un nombre suffisant de personnes d'inflence que la formule "référendum québécois" n'est peut-être pas le seule solution viable et recommandable, peut-être aurions-nous fait alors un pas important vers la vraie solution.
PS2 : Votre aparté concernant la langue m'amène d'ailleurs (en tant que vieux de la vieille) à remettre en cause plus que jamais une perception à l'effet que la vraie raison de notre besoin d'indépendance soit peut-être bien moins une question d'identité, de langue et de culture qu'une question d'émancipation et d'affranchissement comme sait si bien le présenter un gars de chez nous, Jean-Martin Aussant : Un peuple c’est comme une personne. Et personne ne laisserait indéfiniment une autre personne lui dire quoi faire de son argent, lui dire quels règlements appliquer dans sa propre maison, ou lui dicter comment mener ses relations avec ses voisins.
Archives de Vigile Répondre
9 septembre 2012Oui, "le débordement" comme point commun entre wallon et québecois explique les échecs successifs pour la cause souverainiste. Je retiens également "une politique indépendante", c'est à dire les actions stratégiques à maîtriser,coûte que coûte, pour conduire le Québec vers sa Souveraineté. Mais je souhaite ajouter un point commun parallèle au "débordement" : -la "non ingérence" de la France au sujet des souverainetés québecoise et wallonne. La France ne peut, d'un point de vue diplomatique, et ne peut plus, en terme de poids politique sur la scène internationale, s'immiscer dans des affaires intérieures de pays amis (Canada, Belgique). Pourtant la position de la France, n'est pas celle des français et tout particulièrement des régions de l'Ouest français, c'est une donnée cruciale pour un "débordement de français" que le Québec doit alimenter à travers son "indépendance politique". Il faut un "double jeu français" : 1-un Etat français avec une position internationale et officielle de non ingérence. 2- une population française activement en faveur d'un Québec Souverain, à travers un processus citoyen et démocratique. Donc, Selon moi la souveraineté du Québec passe par un "débordement du français", et plus exactement pour des raisons historiques "un débordement de l'Ouest français" (Anjou, Aunis, Bretagne,Maine, Normandie et Poitou). Donc selon moi, la souveraineté du Québec passe par une politique migratoire plus ciblée , dont on a la certitude que le flux migratoire sera en mesure d'alimenter la cause de la Souveraineté du Québec tout en stimulant sa démographie et son économie. Le Québec peut et doit réussir à obtenir un "statut migratoire spécifique aux populations de l'Ouest français" pour des raisons historiques. J'irai jusqu'à proposer le statut de "résident permanent" systématique pour toutes personnes originaires de l'Ouest français et de nationalité française depuis X années... après tout, les irlandais n'ont-ils pas le droit à un statut migratoire spécifique aux Etats Unis, ou bien les britanniques à travers le Commonwealth ? En lisant votre article, nous constatons le poids décisifs du "débordement" et tout particulièrement ces dernières décennies. Pour la Souveraineté du Québec, il sera tout autant décisif d'alimenter un "débordement de français".
Raymond Poulin Répondre
8 septembre 2012Vous touchez un problème de fond en mentionnant qu’il faudrait que la Wallonie conquière ses propres médias. C’est exactement l’un des principaux problèmes des indépendantistes québécois puisque radio et télé entrent dans les attributions fédérales et que les deux groupes diminants des médias écrits (Gesca et le groupe Péladeau contrôlent plus de 80% des titres de tout le territoire québécois, y compris locaux, soit au moins 95% du lectorat) sont fédéralistes. Malgré leur qualité indéniable, cette influence ne peut être battue en brèche par les quelques sites internet indépendantistes, fréquentés presque exclusivement par des convertis, idem pour des journaux comme L’aut Journal. Bref, la balance de la propagande efficace, comme la Tour de Pise, penche toujours du même bord.