Il fallait s’y attendre. Dès le début de ses audiences, la Commission Bouchard-Taylor aura permis à l’intolérance de laisser poindre son odieux rictus dans le débat public. Depuis bientôt une semaine, en effet, il est de bon ton, pour les élites, de cracher leur mépris pour le Québec réel.
Cela a commencé dans L’Actualité du 15 septembre, où l’éditorialiste Carole Beaulieu s’inquiète pour le citoyen ordinaire, qui à ses yeux, saisit mal le concept même d’accommodements raisonnables. Celui-ci pourrait se retrouver complètement largué s’il fallait en plus le faire réfléchir à l’enjeu très vaste de la gestion du pluralisme. Selon ses mots, « les Québécois avaient besoin d’être éclairés ». Pas de problème avec les pratiques d’accommodement donc, mais bien des choses à expliquer à des gens qui ne comprennent pas.
Ce sont ensuite des chroniqueurs qui se sont mis à s’inquiéter de l’image que ce vaste débat public venait donner au Québec. Aux yeux de ces gens, il semble que l’opinion du Globe and Mail ait déjà eu par le passé quoi que ce soit de positif à voir avec le développement de notre société. Peut-être voudraient-ils aussi revenir sur l’adoption de la Loi 101, un autre épisode de notre histoire fort peu prisé au Canada-Anglais ?
Mais voilà maintenant que des experts patentés se permettent de prétendre tout haut qu’il n’y aurait peut-être pas fallu donner la parole au grand public et qu’étendre la portée de la discussion à l’ensemble de la question de la diversité était, au mieux, trop ambitieux, au pire, dangereux.
Il y a eu Jack Jedwab qui en a appelé vendredi à un débat plus « structuré ». Le lendemain, nous avons pu voir Marie McAndrew s’inquiéter que l’on laisse beaucoup de place aux « inquiétudes de gens des régions, qui ne vivent pas la diversité, au lieu de parler surtout des problèmes des Montréalais qui font face à la diversité et ont besoin d’outils pour la gérer». Elle qui déclarait récemment que «les régions ont besoin de l'immigration», on aimerait lui demander pourquoi alors les provinciaux n’auraient pas le droit d’émettre leur opinion à ce sujet.
Et on pourrait continuer ainsi à recenser tous les malaises et les inquiétudes d’une certaine catégorie de gens pour qui les choses ne sont jamais exprimées avec assez de « compréhension » ou assez de « retenues ». Ne s’agirait-il pas plutôt d’un problème de rectitude politique ?
Parce qu’au fait, que ce passe-t-il donc de si terrible à cette commission ? D’humbles citoyens vont s’y exprimer et y ont place au même titre que les experts. Certes, il y a des dérapages et des propos malheureux qui y sont tenus. Mais, ce qu’on y voit dans l’écrasante majorité des cas, ce sont des gens responsables qui, souvent, ont pris le temps de préparer leurs interventions. Qui s’expriment parfois de manière maladroite, qui ne maîtrisent pas toujours le vocabulaire mais qui aujourd’hui viennent parler du genre de société qu’ils veulent.
On a pu y voir aussi de jeunes autochtones prendre une parole qu’on leur offre trop rarement et dont les chantres de la diversité urbaine se sont désintéressés depuis longtemps. Des immigrants aussi s’y sont fait entendre, certains sont venus pour expliquer leurs valeurs, d’autres pour dire qu’ils s’attendaient des Québécois qu’ils se fassent plus exigeants envers les nouveaux arrivants, mais aussi envers eux-mêmes.
Ce qu’on voit en fait, c’est un Québec mature, un Québec qui débat. Nous sommes en train de prouver que nous savons discuter entre nous de façon généreuse et responsable. Devrait-on, à cause de quelques paroles déplacées, retirer l’occasion à tout le monde de s’exprimer ?
Qu’y a-t-il de mauvais à ce que la participation soit ouverte ? Qu’y a-t-il de dangereux à ce que l’on permette aux gens d’exprimer leur point de vue sur l’immigration, la langue et l’éducation religieuse ?
Serait-ce précisément ceci qui dérange nos experts, c’est-à-dire que les Québécois de toutes origines, dans leur sagesse, pointent en direction du multiculturalisme à la canadienne pour expliquer le malaise qui atteint notre société ? Aurait-on peur que l’on en vienne à la conclusion que c’est notre conception même de l’intégration qui renvoie chacun à soi-même et qui empêche l’édification d’une société qui serait réellement mixte ?
C’est en tous cas ce que laisse croire un article signé par Daniel Weinstock, dans la plus récente édition de L’Actualité, dans lequel il nous exhorte à distinguer la question des accommodements raisonnables de celle du multiculturalisme. Et si, justement, c’est à ce niveau que ce situait le problème ?
Aux yeux de ceux pour qui il serait insoutenable d’entendre une telle chose, il serait effectivement nécessaire de restreindre le débat, autant quant aux personnes invitées à s’exprimer qu’au sujet du mandat confié à la commission. Pourtant, c’est bien davantage en ouvrant un dialogue qu’en instaurant des tabous et des barrières que l’on permet aux problèmes de trouver des solutions.
C’est vrai pour les pratiques d’accommodements, c’est vrai aussi pour l’intolérance. C’est vrai, en fait, pour tout notre modèle de gestion de la diversité.
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Claude Villeneuve
L’auteur est étudiant en droit à l’Université Laval. Il a été président du Comité national des jeunes du Parti Québécois de 2005 à 2006
Pourquoi restreindre le débat ?
Accommodements et les régions
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L’auteur est blogueur au Journal de Montréal et au Journal de Québec. Il a été président du Comité national des jeunes du Parti Québécois de 2005 à 2006 et rédacteur des di...
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L’auteur est blogueur au Journal de Montréal et au Journal de Québec. Il a été président du Comité national des jeunes du Parti Québécois de 2005 à 2006 et rédacteur des discours de la première ministre Pauline Marois de 2008 à 2014.
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