Un projet d'indépendance concocté aux États-Unis

Pour une monnaie québécoise

L'optique hétérodoxe d'un investisseur américain

17. Actualité archives 2007

Par Warren Mosler

(...) La classe politique fédéraliste et les médias canadiens présentent généralement la communauté financière internationale comme étant unanime dans sa condamnation non seulement de l'indépendance politique du Québec et aussi, par extension, de la possibilité d'une monnaie québécoise distincte. Par crainte de l'incertitude qu'une telle devise québécoise pourrait susciter au sein de la population et des marchés financiers, les souverainistes ont le plus souvent favorisé l'union monétaire avec le reste du Canada et donc le maintien du dollar canadien dans un Québec souverain. Ils ont même donné l'exemple du modèle de l'Union monétaire européenne malgré les nombreux problèmes qu'a soulevés la mise en oeuvre du traité de Maastricht, et la monnaie européenne unique. En tant que membre de la communauté financière internationale, nous croyons cependant que l'option d'une union monétaire est mal avisée et nous nous permettons de l'affirmer indépendamment de notre opinion quant au choix politique fondamental à l'égard de la souveraineté.
Comme en Europe, l'union monétaire conduira nécessairement à l'union politique, étant donné qu'au bout du compte, les autorités fiscales nationales devront se plier aux décisions bureaucratiques de l'autorité monétaire commune. Pour cette raison, la position souverainiste à ce sujet semble contradictoire, car par l'adoption d'une union monétaire, c'est le statu quo ante sur les questions monétaires et fiscales qui serait rétabli. Nous savons que ces discussions ne sont pas nouvelles car elles furent pendant longtemps au coeur de débats majeurs, notamment entre Robert Bourassa et Jacques Parizeau. Pourquoi donc endurer une séparation politique si, sur des questions économiques fondamentales, les souverainistes n'endossent que le statu quo ou presque?
Contrairement aux idées reçues, nous croyons que si le peuple du Québec avait eu à voter sur une proposition de monnaie distincte, le OUI aurait possiblement gagné le référendum d'octobre 1995, et ce, par une marge importante. Quoique cela ne réglerait pas tous les problèmes des Québécois, nous expliquons dans les paragraphes suivants en quoi pourrait consister un projet global de monnaie distincte pour un Québec souverain.
Il s'agit d'un projet viable dans lequel la nouvelle devise, que par manque d'inspiration nous nommerons la «fleur», est soutenue sans taxes ni impôts additionnels. La devise serait introduite de manière à diriger l'économie du Québec vers le plein emploi et la stabilité des prix tout en favorisant de faibles taux d'intérêt. Enfin, le projet de cette nouvelle unité monétaire pourra être compris par chaque citoyen et appuyé par de nombreux économistes.
Une taxe nationale unique
Le projet débute par l'exigence que, dans l'éventualité de l'indépendance, toute nouvelle taxe serait versée en «fleurs» du Québec. Seuls les impôts seraient exigibles en dollars canadiens. Seraient éliminées toutes les taxes indirectes, telles la TPS et la TVQ, qui tendent à décourager les échanges et qui sont coûteuses au plan de leur gestion. A leur place, apparaîtrait une taxe nationale sur la propriété; son objet étant immobile, tous la paieraient, soit directement comme propriétaires, soit indirectement comme locataires. Cette taxe nationale sur la propriété serait recevable uniquement en «fleurs», et si elle n'était pas payée, le gouvernement vendrait tout simplement la propriété visée; des exceptions pourraient évidemment être décrétées selon le voeu des électeurs. L'administration du nouveau régime fiscal serait peu coûteuse, du moins pas plus que le régime existant d'évaluation foncière. Remarquons que le paiement de la taxe exige des «fleurs» mais personne, dans notre exemple, n'en possède encore, mis à part l'État du Québec, qui peut en émettre comme il l'entend. La population en général, surtout les propriétaires fonciers, serait donc bien disposée à vendre biens et services en échange de «fleurs». La valeur de la devise correspondrait à ce que le gouvernement décide qu'il est disposé à payer pour ce qu'il achète, car ce dernier serait bien conscient que le secteur privé requiert des «fleurs» en vue de rencontrer les prélèvements fiscaux.
Arrêtons-nous un moment et examinons les traits clés de la mise en oeuvre du projet:
- L'État du Québec ne pourrait prélever de «fleurs» qu'après les avoir dépensées car personne n'en posséderait au départ.
- Contrairement à l'idée reçue colportée par la classe politique, l'Etat ne prélèverait pas de «fleurs» afin de les dépenser: ce sont plutôt les prélèvements fiscaux du secteur privé qui créeraient un besoin de «fleurs», de même qu'une disposition de ses agents à vendre biens et services en échange de cette monnaie.
- Le gouvernement pourra s'attendre à dépenser au moins autant de «fleurs» que le secteur privé en requiert pour rencontrer ses comptes d'impôts.
- Le gouvernement pourra sans doute dépenser davantage de «fleurs» que le montant exact des obligations fiscales car le surplus de monnaie requis par le public, comme argent de poche, par exemple, devra être disponible une fois celles-ci payées.
Afin de bien établir la nouvelle unité monétaire, nous proposons aussi que l'Etat fixe d'abord le taux de salaire qu'il sera disposé à payer à quiconque désire travailler pour lui. L'Etat serait ainsi «l'employeur de dernier ressort» pour l'ensemble de la collectivité. L'effet de cet engagement du gouvernement serait essentiellement d'éliminer le chômage involontaire et de fixer un salaire minimum sans législation additionnelle et sans intrusion dans le secteur privé. Ces mesures se trouveraient aussi à fixer la valeur de la «fleur» en terme de temps de travail; les marchés privés régleraient tous les autres prix des biens et services achetés et vendus en fonction des autres moyens généralement disponibles d'obtenir le service étatique de base libellé en «fleurs».
Permettons-nous quelques chiffres hypothétiques afin d'illustrer comment l'Etat se procurerait les biens et services dont il aurait besoin en vue de servir le nouveau pays. Supposons d'abord que la valeur consolidée des nouveaux prélèvements fiscaux atteigne 100 milliards de «fleurs». L'État peut s'attendre à dépenser au moins ce montant vu que les propriétaires n'ont aucun autre moyen d'obtenir la devise. Si l'Etat fixe à 10 000 «fleurs» le salaire du service public de base et ne dépense rien d'autre, on pourrait penser qu'au moins dix millions de travailleurs solliciteraient l'emploi public de base. Evidemment, l'Etat ne saurait que faire avec dix millions d'employés, surtout que dans ce scénario fictif, la population totale du Québec y serait inférieure! Mais on voudrait sûrement se procurer biens et services du secteur privé, produisant ainsi d'autres voies d'obtenir des «fleur», afin de verser ses impôts. Disons que l'Etat dépense 99 milliards de «fleurs» auprès du secteur privé afin d'obtenir main-d'oeuvre spécialisée et matériaux requis par la provision de services publics fondamentaux, soit système judiciaire, défense, éducation et soins de santé. Le secteur privé n'aurait alors besoin que d'un milliard de «fleurs» additionnelles (pour les impôts), de telle sorte qu'un minimum de seulement 100 000 travailleurs de base solliciteraient du travail. Il y aurait certainement aussi une demande pour de la monnaie liquide en circulation de même que pour d'autres activités à la source d'une épargne nette; cela produit généralement une somme substantielle. Supposons qu'un nouveau besoin de cinq milliards de «fleurs» surgisse; cela occasionnerait une sollicitation de 500 000 emplois publics additionnels, soit un grand total de 600 000 emplois publics. En tout état de cause, plus l'Etat dépense, moins élevés seront les postulants d'emplois publics; s'il s'avérait y avoir un nombre trop élevé de demandeurs, les impôts pourraient alors être réduits ou bien d'autres dépenses publiques haussées tant et aussi longtemps que le nombre de travailleurs publics n'a pas été réduit au seuil recherché.
Et que dire des taux d'intérêt? Avec le système proposé, l'Etat n'a pas à payer de l'intérêt même lorsqu'il dépense plus qu'il prélève en impôts et taxes. Remarquons en effet que l'Etat n'a pas à emprunter pour dépenser plus que ses recettes, car dans une telle situation, il émettrait de la monnaie ou bien créditerait les comptes bancaires de ceux qui lui rendent biens et services en échange de «fleurs». La clé est qu'il y a stabilité des prix tant et aussi longtemps que les dépenses de l'État n'atteignent pas le niveau auquel disparaîtrait toute sollicitation d'emploi public de base. En d'autres termes, il y aurait stabilité des prix en autant que l'Etat ne dépense pas plus de «fleurs» que la somme requise par les contribuables. Et parce que l'Etat requerrait toujours qu'à la marge le service public soit nécessaire à l'obtention de «fleurs», la valeur de cette devise serait égale à la valeur du temps de travail du solliciteur d'un emploi public, de base.
Lorsque l'Etat dépense plus que ses recettes, alors que les «fleurs» additionnelles émises se transformeraient sans doute en dépôts bancaires excédentaires. Cela constituerait un déséquilibre dont tout économiste prédirait l'effet, soit des taux d'intérêt à court terme très faibles, possiblement inférieurs à ceux observés au Japon ces dernières années; par exemple, on pourrait envisager un taux préférentiel de base autour de 3,5%. Evidemment, les autorités bancaires devront maintenir leur réglementation stricte du capital financier et des crédits bancaires afin d'empêcher les banques de spéculer comme elles le font de nos jours avec les dépôts assurés de leurs clients. Aussi, il serait possible à l'Etat de fixer des taux plus élevés s'il le jugeait nécessaire.
Ce projet de base permettrait au, Québec de créer et de soutenir sa propre monnaie. L'Etat pourrait se procurer ce qui est nécessaire à la bonne marche de la nation tout en maintenant le plein emploi et la stabilité des prix. Il se produirait aussi un relèvement automatique de la prospérité associé à l'élimination des effets désincitatifs et pervers des taxes de vente. Il n'y aurait aucune raison d'entraver le libre-échange, surtout sous l'ALENA; l'État permettrait aussi à la «fleur» de s'échanger librement. Bien qu'elle ferait sans doute l'objet de spéculation sur les marchés des changes, la valeur de la «fleur» serait ultimement fixée par ce qu'elle permet d'acheter, soit l'emploi public de base. Et à long terme, la valeur de la «fleur» serait aussi avantagée par l'amélioration de la qualité des travailleurs publics résultant des systèmes d'éducation et de santé.
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Mario Seccareccia (sciences économiques, Université d'Ottawa) et Pierre Paquette (économie politique, Collège militaire du Canada) ont traduit et revu le texte anglais original.


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