Pour éclairer le débat qui a été lancé par l’interview que j’ai donné à FIGAROVOX, je publie la traduction de l’article de Stefano Fassina, appelant à la constitution d’une « alliance des fronts de libération nationale », qui a été établie par le Comité Valmy. Ce texte pose clairement le problème. Je rappelle que Stefano Fassina a été membre du Parti Démocrate auquel appartient Matteo Renzi, l’actuel Premier ministre de l’Italie (parti qu’il a quitté le 23 juin dernier), qu’il fut vice-ministre des finances dans le gouvernement d’Enrico Letta, et qu’il fut un chroniqueur réputé de l’Unita. On pourra voir, dans ce texte, que je ne suis nullement l’inventeur de la formule « fronts de libération nationale ». Je reprends néanmoins cette formule et m’associe à l’appel de Fassina. PAR JACQUES SAPIR · 24 AOÛT 2015
Pour une alliance de fronts de libération nationale
Stefano Fassina
Membre du Parlement,
ancien vice-Ministre des Finances
Le brulant compte grec a une valeur de politique générale. Commençons par le contenu de la Déclaration du Sommet de la zone Euro tenu le 12 juillet, avant de procéder à des évaluations politiques. Il est impossible de cacher l’aspect non durable des dispositions de perspectives économiques et financières. Malgré les ajustements remportés par la délégation grecque à Bruxelles, les mesures imposées sont brutalement de contraction, ainsi que régressives sur le terrain social.
Les mesures de compensation macroéconomique risquent d’être pratiquement inexistantes. Le financement prévu pour le troisième plan de sauvetage est consacré à la recapitalisation des banques et au paiement des dettes de la BCE, du FMI et de prêteurs privés. Rien ne va aux dépenses en capital, tandis que la crédibilité de la Commission Européenne pour aider le gouvernement grec à mobiliser jusqu’à 35milliards d’€ pour les investissements dans les 3 à 5 ans doit être évaluée au vu de son incapacité à trouver le minimum de ressources pour le “Plan Juncker”. Et enfin, l’engagement de la restructuration de la dette publique de la Grèce ouvre une perspective qui en aucun cas ne pourra avoir d’effets réels avant 2023, la fin de la période de grâce accordée par les États Européens pour leurs prêts respectifs.
Les leçons de la crise grecque
Quelles leçons pouvons-nous apprendre du cours de la Grèce ? Alexis Tsipras, Syriza et le peuple grec ont le mérite historique indéniable d’avoir arraché le voile de la rhétorique Européiste et de l’objectivité technique visant à cacher la dynamique dans la zone euro. Nous voyons maintenant le pouvoir politique et le conflit social entre l’aristocratie financière et les classes moyennes : l’Allemagne, incapable d’hégémonie, domine la zone euro et poursuit un ordre économique en fonction de ses intérêts nationaux et de ceux de la grande finance.
Il y a deux points à relever ici. Le premier : le mercantilisme néo-libéral dicté par et centré sur Berlin est insoutenable. De la dévalorisation du travail, comme alternative à la dévaluation de la monnaie nationale, en tant que principale voie à de vrais” ajustements, découle une insuffisance chronique de la demande globale, la persistance d’un chômage élevé, la déflation, et l’essor de la dette publique. Dans un tel cadre, au-delà des frontières de l’état-nation dominant, l’euro a conduit à vider la démocratie de sa substance, tournant la politique en administration pour le compte de tiers et de divertissements.
Peut-on faire marche arrière ?
Cette route est-elle réversible ? C’est le deuxième point. Il est difficile de répondre oui. Malheureusement, les corrections nécessaires pour rendre l’euro durable semblent être impossibles pour des raisons culturelles, historiques et politiques. Les opinions publiques ont des points de vue opposés et positions contradictoires, rendus de plus distants à cause de l’ordre du jour dominant dans la zone euro après 2008. Les opinions et les positions répandues chez les Allemands sont des faits. Le peuple allemand mérite le respect comme tout autre peuple. En Allemagne, comme partout, les principes démocratiques s’appliquent à l’intérieur de la seule dimension politique pertinente : l’état-nation.
Les deux premiers points de l’analyse conduisent à une vérité inconfortable : nous devons reconnaître que l’euro était une erreur de perspective politique. Nous devons admettre que, dans la cage néo-libérale de l’euro, la gauche perd sa fonction historique, et est morte en tant que force attachée à la dignité et à la pertinence politique du travail et à la citoyenneté sociale en tant que véhicule de démocratie effective. La non-pertinence ou la connivence des partis de la famille socialiste Européenne sont manifestes. En continuant à invoquer, comme ils le font, les États-Unis d’Europe” ou une réécriture pro-travail des Traités est un exercice virtuel conduisant à une perte continue de crédibilité politique.
Que faire ?
Qu’y a-t-il à faire ? Nous sommes à un tournant de l’histoire. D’une part, le chemin de continuité lié à l’euro, c’est l’acceptation de la fin de la démocratie de la classe moyenne et de l’état-providence : un équilibre précaire de sous-emploi et de colère sociale, menacé par des risques très élevés de rupture nationaliste et xénophobe. De l’autre, une décision partagée, sans actes unilatéraux, à aller au-delà de la monnaie unique et du cadre institutionnel lié, surtout pour fixer la responsabilité démocratique de la politique monétaire : une solution mutuellement bénéfique, malgré un chemin difficile, incertain, avec des conséquences douloureuses au moins dans la période initiale.
L’Allemagne l’a bien compris et, toujours consciente de son histoire, indique une voie de sortie afin éviter une rupture chaotique de la zone euro et des dérives nationalistes incontrôlables (déjà inquiétantes à la fois chez les Allemands et à leur égard) : un accord multilatéral visant à aller au-delà de la monnaie unique, comme illustré dans la proposition de “Grexit assisté”, écrit par le Ministre des Finances Schäuble et approuvé par la Chancelière Merkel. Cela implique de ne pas abandonner la Grèce à elle-même, mais “une sortie accompagnée par la décote de la dette publique (ce qui est impossible dans le cadre actuel des Traités) et d’aide technique, financière et humanitaire.”
Le choix est un choix dramatique. La route de la continuité est l’option explicite des “grandes” coalitions conservatrices et des dirigeants “socialistes” (en France et en Italie, par exemple). La route de la discontinuité peut-être la seule pour tenter de sauver l’Union Européenne, de revitaliser les démocraties bourgeoises et d’inverser la tendance de la dévaluation du travail. Pour une désintégration gérée de la monnaie unique, nous devons construire une large alliance de fronts de libération nationale, à partir des zones euro de la périphérie méditerranéenne, composée de forces progressistes ouvertes à la coopération avec l’aile droite démocratique des partis souverainistes. Le temps disponible est de plus en plus court.
Stefano Fassina,
Membre du Parlement, ancien vice-Ministre des Finances, Italie
Repris de la note publiée le mardi 11 août 2015 sur le site du Comité Valmy (http://www.comite-valmy.org/spip.php?article6218)
(Les intertitres sont de la responsabilité de RussEurope)
(Traduction réalisée par le Comité Valmy)
Publié initialement sur le blogue de Yanis Varoufakis
(Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015,http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/)
Source: http://russeurope.hypotheses.org/4235
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé