Cet article est paru dans l’édition des 8-19 janvier du Devoir.
La lutte pour un Québec français n’est pas gagnée, quoi qu’en disent certains hypnotiseurs fédéralistes. Comme le note le mathématicien Charles Castonguay dans Le français, langue commune : projet inachevé, « l’anglais demeure plus souvent que le français la langue des communications entre francophones et anglophones dans les grandes entreprises à Montréal », « la maîtrise du français reste moins payante pour un immigrant que celle de l’anglais », « raisons sociales et marques de commerce unilingues anglaises prolifèrent » et les cégeps anglophones continuent d’angliciser une importante proportion de francophones et d’allophones. Ce n’est pas grave, nous répètent les hypnotiseurs, « le français s’enfonce, mais, avec le temps, tout va s’arranger ».
Castonguay, un anglophone d’origine devenu un des plus ardents militants du Québec français, refuse pourtant de s’endormir et mène la charge contre les accommodements linguistiques déraisonnables. « Comme Lucien devant son miroir, demande-t-il, faut-il toujours que le Québec se juge d’après son reflet dans les yeux des autres ? » Sa réponse est un retentissant non.
En 1977, la Charte de la langue française met en avant le concept de « français, langue commune ». L’objectif est que tous les Québécois, sans exception, connaissent le français et l’utilisent systématiquement pour communiquer entre personnes de langues maternelles différentes, notamment en milieu de travail. Cela, évidemment, n’interdit pas aux anglophones de parler anglais entre eux ou aux créolophones de faire la même chose, mais impose le français comme langue commune dans les autres situations. La Charte, ce faisant, est animée par deux buts : assurer la justice sociale pour la vaste majorité des travailleurs et renforcer la cohésion sociale.
Négociations linguistiques
Or, en 1988, un jugement de la Cour suprême conteste l’affichage en français seulement et met plutôt en avant la notion de « nette prédominance du français ». Cette décision, déplore Castonguay, « a fait tache d’huile dans certains esprits ». Des intellectuels comme Jean-François Lisée et Christian Dufour récupèrent cette notion et en font le nouvel objectif de la politique linguistique québécoise. Ce glissement, du concept de « langue commune » vers la notion de « nette prédominance », peut sembler insignifiant. Mais il ne l’est pas.
Floue, la notion de « nette prédominance » constitue une acceptation du Québec bilingue. Si, par exemple, une majorité de travailleurs utilisent le français ou si une majorité d’entreprises fonctionnent en français, on peut déjà parler de nette prédominance. Dans ce cas, on le comprend, la bataille n’est plus à faire.
Or, le concept de « français, langue commune », qui a prévalu au Québec jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Jean Charest, est beaucoup plus exigeant et signifie que, « dans chaque entreprise, le français doit être la langue de toutes les communications internes de chaque travailleur francophone avec ses collègues non francophones ». Dans le premier cas, celui de la prédominance, la négociation linguistique est permanente, repose souvent sur les individus et la francisation perd tout son mordant. Dans le deuxième cas, le français s’impose. C’est toute la différence entre un Québec bilingue surtout français et un Québec français dans lequel les anglophones de langue maternelle bénéficient évidemment d’un espace préservé.
L’enjeu est fondamental. Dans le projet de loi 60 sur la Charte affirmant les valeurs de laïcité, le gouvernement péquiste propose d’inscrire dans le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne la « primauté du français » comme « valeur fondamentale de la nation québécoise ». Pour Castonguay, ce serait une erreur. C’est bien le concept de « français, langue commune » qui doit être inscrit dans ce préambule, si on veut éviter de constitutionnaliser un bilinguisme qui serait mortel pour le français au Québec. Polémiste, le mathématicien qualifie d’ailleurs Lisée, qu’il soupçonne d’être derrière cette notion de « primauté du français », de « ministre irresponsable des relations avec la minorité anglophone ».
Contre l’anglicisation
Assurer l’avenir du français au Québec, insiste Castonguay, exige fermeté et refus des compromissions. Il importe donc, continue-t-il, de rétablir l’affichage unilingue en français et d’étendre la loi 101 au cégep. Dans des démonstrations probantes, le mathématicien militant expose que « le libre choix du cégep profite exclusivement à l’anglais ».
La proportion d’élèves allophones qui choisissent d’étudier en français au collégial a augmenté depuis 30 ans, passant de 20 % à 50 %, mais reste insuffisante. Pour éviter l’anglicisation en douce du Québec, elle devrait être de 90 %. Plus encore, cette augmentation se trouve annulée par une augmentation du nombre de francophones qui s’inscrivent au cégep anglais.
Or, l’affaire est documentée, « la fréquentation des cégeps anglais est associée à des comportements nettement anglicisés quant à la langue utilisée dans les commerces, au travail, dans la consommation des créations culturelles, avec les amis et à la maison ». En d’autres termes, le libre choix au cégep a pour effet de « financer l’anglicisation d’une part importante de l’élite québécoise de demain ».
On peut d’ailleurs se demander, avec Castonguay, si la passion pour l’anglais à l’école (enseignement dès la première année, anglais exclusif pendant une demi-année en 6e) ne poursuit pas le même but. « S’agit-il d’enseigner l’anglais, lance Castonguay, ou bien de promouvoir l’anglicisation ? » Le gouvernement Marois, pour le moment, se contente de reconduire ces douteuses décisions du gouvernement libéral précédent.
Il ne faut pas être allergique aux chiffres pour lire la prose polémique, farcie de statistiques, que Charles Castonguay a d’abord publiée dans les pages de L’Aut’journal. Il ne faut pas, non plus, avoir peur d’entendre, écrit Guy Rocher en préface, les « vérités claires et dures » qu’assène le mathématicien. Pour vivre, clame avec raison ce dernier, le Québec français a besoin d’une courageuse volonté politique et populaire.
Le français, langue commune: projet inachevé
Charles Castonguay
Renouveau québécois
Montréal, 2013, 154 pages
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