Le bilan du gouvernement Harper peut sans exagérer être qualifié de catastrophique. Sous la gouverne des conservateurs, la réputation du Canada est devenue en l'espace de quelques années celle d'un État voyou dans la lutte contre le réchauffement climatique. Sa politique étrangère est désormais celle d'un État de droite. Son engagement dans des conflits armés nous fait regretter le rôle ancien du Canada pour le maintien de la paix au sein de l'ONU.
Le Canada est aussi devenu un paradis pénal pour les entreprises minières qui exploitent sans vergogne les ressources naturelles des pays africains avec la complicité des gouvernements locaux, et les conservateurs ne font rien pour modifier cet état de choses. Les achats d'avions F-35, l'obsession sécuritaire, l'ingérence dans les affaires du groupe Droits et Démocratie, le refus de rapatrier Omar Khadr, tout cela complète le tableau au chapitre de sa politique internationale.
Sur le plan intérieur, le gouvernement de Stephen Harper semble vouloir tirer sur tout ce qui bouge: les groupes de femmes, le milieu de la culture et les minorités linguistiques. L'attitude à la Chambre des communes, le mépris concernant l'éthique et l'arrogance affichée à l'égard des médias n'en finissent plus de nous scandaliser. La sévérité à l'égard des jeunes contrevenants, l'électoralisme à courte vue et la partisanerie aveugle de ce gouvernement populiste ne peuvent que susciter chez les électeurs sensés un dégoût bien compréhensible.
Faire bloc contre Harper
Bref, il faut barrer la route aux conservateurs. Comment faire pour y parvenir? La solution la plus simple est de voter pour un parti qui, dans la circonscription où l'on se trouve, a le plus de chance de l'emporter contre le candidat conservateur. Pour moi, le choix sera facile: je voterai pour Vivian Barbot (comment pourrais-je m'imaginer, l'espace d'un instant, en train de voter pour Justin Trudeau?). D'une manière générale, au Québec, il faut voter en faveur du Bloc québécois.
Un vote pour le Bloc est un vote pour qui?
Mais que répondre à la remarque de Michael Ignatieff selon laquelle un vote pour le Bloc québécois serait un vote pour les conservateurs? On croirait davantage M. Ignatieff s'il blâmait d'abord et avant tout les électeurs conservateurs eux-mêmes. Car, après tout, si le Québec vote massivement contre Harper et que ce dernier est malgré tout élu, ce sera parce que le Canada anglais aura voté massivement en sa faveur. Pourquoi alors blâmer les électeurs québécois?
En outre, M. Ignatieff nous invite à laisser tomber notre appui à un parti voué à la défense des intérêts du Québec au profit du Parti libéral du Canada (PLC) alors que, pour sa part, le PLC n'entend rien faire pour résoudre le contentieux constitutionnel. Pire encore, M. Ignatieff croit que les Québécois sont maintenant passés à autre chose et que la question constitutionnelle est dépassée (!). Mais s'il en est ainsi, peut-il nous expliquer pourquoi le Québec élit depuis 1993 une majorité de députés du Bloc québécois? Ceux qui ignorent la question nationale, qui ne la comprennent pas, qui sont insensibles à la non-reconnaissance du Québec au sein du Canada, qui n'ont rien à dire contre l'imposition d'un ordre constitutionnel en 1982, payent maintenant le prix de leur méconnaissance, de leur insouciance ou de leur désinvolture.
Ils doivent composer avec un Québec qui défend ses intérêts dans un Canada qui fait la sourde oreille à ses réclamations. La présence du Bloc québécois à Ottawa est le rappel constant que la question constitutionnelle québécoise est non résolue. Malheureusement, M. Ignatieff ne semble pas encore avoir compris le message envoyé par le Québec à Ottawa depuis vingt ans. Le chef libéral croit que les Québécois ont dépassé les enjeux constitutionnels alors que les Québécois, en votant pour le Bloc québécois, leur répètent depuis bientôt vingt ans que les grands partis nationaux ne défendent pas adéquatement leurs intérêts.
Si vous ne pouvez les battre, joignez-vous à eux?
Un autre argument contre le vote en faveur du Bloc québécois est que le Québec doit jouer un rôle au sein du gouvernement au lieu de se cantonner dans l'opposition. Mais c'est là confondre l'effet et la cause. Le vote massif en faveur du Bloc québécois n'est pas la cause, mais bien l'effet de l'absence d'influence du Québec dans les instances gouvernementales fédérales. Les 74 députés libéraux fédéraux du Québec, élus à la Chambre des Communes en 1982, se sont faits les complices d'un rapatriement unilatéral illégitime. Ils ont participé à l'entreprise visant à remettre le Québec à sa place au lieu de se porter à la défense du Québec.
Les députés du PLC élus au Québec sont restés impassibles devant le scandale des commandites. Les députés conservateurs représentant les circonscriptions québécoises depuis cette époque n'ont pas fait mieux. Ils se sont pour leur part faits les haut-parleurs de la position défendue par le gouvernement Harper. Alors, que l'on ne blâme pas le Bloc québécois et les citoyens du Québec qui les appuient. [...]
Les enjeux sociaux?
Néanmoins, le citoyen qui a le moindrement un souci de défendre des valeurs de gauche peut se demander pourquoi les enjeux constitutionnels devraient l'emporter sur les enjeux sociaux. Dans le présent contexte, on pourrait avancer l'idée que les considérations stratégiques doivent l'emporter sur les enjeux constitutionnels. Bien entendu, on ne peut accuser le Bloc québécois d'être lui-même insensible aux enjeux socio-économiques. Bien au contraire, il n'a eu de cesse de se faire l'écho à la Chambre des communes des valeurs sociales québécoises.
Mais, selon certains, il faudrait peut-être aussi mettre de côté nos valeurs sociales au profit de celles qui sont véhiculées au sein du PLC. Autrement dit, selon cet argument, les Québécois doivent non seulement renoncer à appuyer le Bloc québécois en s'accommodant de l'indifférence canadienne à l'égard du statut constitutionnel du Québec, mais ils doivent en plus renoncer à voter pour le parti qui représente à la Chambre des communes leurs valeurs sociales. Et ils doivent faire tout cela dans le but de battre les conservateurs.
Une coalition PLC-NPD?
Il existe pourtant une autre solution et c'est celle de la coalition PLC-NPD que le Bloc québécois serait prêt à appuyer. La position du Bloc Québécois peut en ce sens être qualifiée d'exemplaire. Même si le PLC est le parti de la centralisation, du rapatriement unilatéral, de la loi sur la clarté et du scandale des commandites, les bloquistes ont suffisamment le coeur à gauche pour donner leur appui à une coalition PLC-NPD.
Mais M. Ignatieff est tombé dans le piège tendu par Stephen Harper et a vite balayé cette solution du revers de la main. [...] Pourquoi? La réponse, je le crains, nous renvoie encore une fois à la question nationale. Le PLC s'est senti obligé de prendre ses distances parce que l'électorat canadien aurait réagi très négativement. Le projet d'une coalition a vite été rejeté, mais pas parce que les Canadiens voyaient d'un mauvais oeil le rapprochement entre le PLC et les «socialistes». Ils ont plutôt été révulsés à l'idée de s'associer avec le diable séparatiste! Encore une fois, nous sommes ramenés aux enjeux constitutionnels.
Doit-on être jugés responsables de l'intolérance canadienne à l'égard du Bloc? Pendant combien de temps va-t-on tirer sur le messager au lieu de se tourner vers les causes profondes du problème? Il n'y a donc pas à hésiter un seul instant. Les citoyens du Québec doivent envoyer un important contingent de députés bloquistes à la Chambre des communes!
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Michel Seymour - Professeur au département de philosophie de l'Université de Montréal
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Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à ...
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Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à UCLA. Il est embauché à l’université de Montréal en 1990. Michel Seymour est un intellectuel engagé de façon ouverte et publique. Contrairement à tant d’intellectuels qui disent avec fierté "n’avoir jamais appartenu à aucun parti politique", Seymour a milité dans des organisations clairement identifiées à une cause. Il a été l’un des membres fondateurs du regroupement des Intellectuels pour la souveraineté, qu’il a dirigé de 1996 à 1999. Pour le Bloc québécois, il a co-présidé un chantier sur le partenariat et a présidé la commission de la citoyenneté. Il est toujours membre du Bloc, mais n’y détient pour l’instant aucune fonction particulière.
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