Au lendemain de sa nomination comme chef du Parti Québécois, André Boisclair inclinait pour l'hypothèse d'un scrutin hâtif. Il se disait convaincu « à soixante pour cent » que Jean Charest allait favoriser l'automne. Les libéraux se donneraient ainsi la chance de le prendre de vitesse. En coinçant l'adversaire dans un agenda rapproché, les Libéraux obligeaient Boisclair à s'inscrire dans des activités organisationnelles nécessaires mais peu attrayantes aux yeux du public.
Boisclair a profité tout de même de ses tournées régionales pour mieux s'enquérir des enjeux régionaux. Pris fréquemment dans des rencontres pour consolider l'infrastructure tactique de son parti, il a connu une éclipse dans les médias. Les gens avaient l'impression que Boisclair n'était pas pressé de leur parler. Ceci se combinant avec le mythe naissant entourant Stephen Harper porteur de l'ouverture et de l'inattendu, Boisclair a connu une baisse accrue dans les sondages.
La remontée présente du Bloc nous fait penser que les gens commencent à voir que le Québec a droit au traitement complet de province, territoire pacifié et reconquis par le Fédéral afin de connaître un avenir illimité de Canadiens « sans égard aux origines » comme le dit Stephen Harper. Incapable de la moindre tolérance envers l'existence de la nation québécoise, Harper voudrait que Charest vende le Canada au Québec pour ce qu'il est c'est-à-dire un endroit où on peut peser de tout notre poids de province dans l'économie officielle, des programmes interminables d'assistance et un petit gâteau si les Québécois se conduisent bien.
Harper a répété partout aux Québécois que les compétences provinciales seraient respectées. Charest ne peut pas dire en plus que quelque chose va se passer à une date que même les personnes concernées ne voient pas se dessiner à l'horizon.
Tout est dit. Le Québec a droit à des compétences provinciales.
À moins de s'émerveiller à peu de frais, il n'y a rien dans cette formule qui ressemble à un destin national pour le Québec. Jean Charest nous a quand même sortis de la liste d'attente en décrétant que nos objectifs avaient été atteints. Le Québec est sur un pied d'égalité avec le Fédéral, a-t-il dit en Europe, et sa marge de liberté se compare à celle des Etats souverains en Europe.
Le Québec est devenu un Etat souverain et nous ne nous en sommes même pas aperçus. L'opération monstre s'est produite en coulisses pendant que notre attention était ailleurs.
Charest revient au bon vieux mythe fédéraliste. Presque invisible sur les radars, sans droits nationaux reconnus, le Québec existe en tant que nation au Canada et n'a pas besoin d'en sortir pour le demeurer.
Jean Charest croit beaucoup dans une répertoire habituel de phrases courtes. Il nous expédie vers des mondes imaginaires, joyeux et apaisés. Quand la cote de crédit du Québec fut relevée d'un cran, Jean Charest en entrevue a dit que c'était «comme remporter la coupe Stanley ». C'est plutôt comme recevoir une lettre de la banque vous annonçant un taux préférentiel sur votre prochaine hypothèque. La plupart d'entre nous avons déjà reçu ce genre de lettre sans la prendre pour un trophée ni comme un indice fantastique d'enrichissement.
Pendant ce temps, les indépendantistes se demandent comment faire l'indépendance. Louis Bernard leur rappelle les dangers de l'unilatéralisme. Le transfert des compétences fédérales exige une collaboration entre les paliers gouvernementaux. Sans listes de bénéficiaires, sans connaissance des procédures, le Québec investi de nouvelles responsabilités aurait l'air de se perdre dans le noir. Quant à l'effectivité des décisions de l'Assemblée nationale, le Fédéral la nierait en disant qu'au Canada, il n'y a que des conseils provinciaux. En somme, si le Québec refusait de tenir un référendum comme certains groupes de souverainistes le préconisent, le Fédéral pourrait très bien y aller de son propre référendum.
Sans désavouer le recours au référendum, je pense que le Québec doit se construire une éthique de sa représentation nationale avant même de devenir souverain. Pour cela plusieurs scénarios sont envisageables et les variables sont nombreuses. La fameuse guerre des clans entre partisans de la Constitution québécoise, tenants des actes de rupture ou de l'élection référendaire, traduit cette exigence d'affirmer les droits nationaux comme guide de notre action lors du processus d'accession à l'indépendance. Les clans cherchent tous une manière pour que l'Assemblée nationale se dégage une responsabilité nationale. Si la concertation des instances légitimes canadienne nous réduit à attendre sur une fragile chaise pliante les sanctions du Fédéral, nous resterons sur notre derrière. Le gouvernement de Boisclair devrait créer des surprises pour se permettre de jouer en fonction des conditions nationales du Québec.
Avec la promesse d'élections, nous voyons déjà les éditorialistes de la presse officielle fédéraliste reprendre le thème de la souveraineté implicite chère à Charest. Éducation et affaires sociales ne sont pas prises dans les mailles du filet canadien selon eux. Il suffit pourtant de voir le traitement amnésique que l'on a voulu infliger à l'enseignement de l'Histoire pour montrer que les compétences provinciales sont des compléments d'une construction sociale qui ne prend nullement le Québec comme cadre premier de références.
Les compétences provinciales peuvent certainement servir de cadre à des ouvrages isolés tel le réseau des garderies par exemple mais un programme national, comme les allocations aux parents, en fixera des limites toujours possibles. Les compétences provinciales se manifestent selon des critères d'efficacité régionale. L'apprentissage d'un bon fonctionnaire commence par la nécessité de comprendre comment tout s'enchaîne.
On a expliqué avec un aveuglement considérable la réforme de l'éducation, exemple présumé de la médiocrité du Québec. Plusieurs tentent d'en faire l'image de la dégringolade du Québec quand on laisse ce dernier prendre en charge ses propres affaires. En rigolant des expressions comme « compétences transversales », on essaie d'expliquer cette réforme par un rapport outrancier à une idéologie et à une nomenclature creuse.
En éducation, il y a une figure maîtresse. C'est Jean Piaget. Ce psychologue a observé les enfants et a mesuré leurs facultés de résoudre des problèmes. Un enfant ne peut dessiner la troisième dimension qu'à partir d'un âge bien précis. L'enfant jugera des quantités selon la grosseur du bocal, la longueur de l'éprouvette. N'essayez pas d'enseigner le principe d'Archimède avant l'âge requis. Les programmes en éducation ont donc été conçus en tenant compte de ses stades de développement.
La théorie est juste mais elle a pu inspirer des pratiques fautives. Ce n'est pas parce que l'on sait que les capacités cognitives de l'enfant atteindront un nouveau seuil à l'âge de douze ans que tout finira par aller pour le mieux en attendant. Au nom de l'autodéveloppement, il semble que certains pédagogues n'aient pas fait redoubler des élèves incapables de suivre. L'enfant s'enfonce ainsi et parvenu au secondaire, il traîne déjà quelques années d'incompréhension derrière lui.
Une méthode pédagogique devient catastrophique quand elle s'applique comme un mécanisme standard. La réforme ne demandait pas cela. Elle ne stipulait pas que des compétences potentielles finiraient par remettre à flot un élève en difficulté d'apprentissage.
Au contraire elle enseigne que sans une maîtrise du niveau élémentaire des compétences, des compétences plus compliquées ne surgiront pas par magie.
L'éducation c'est avoir charge d'âme. Conséquemment c'est un domaine qui est à la remorque des choix idéologiques d'une société. Chez nous, l'éducation ne dépasse pas son rang de compétence provinciale. Que Jean Charest ait entrepris un programme d'enseignement de l'anglais en première année sans se soucier de la pénurie des professeurs montre combien chez lui la balance autant que les poids sont faux.
L'éducation est pleine de résonances et de grands symboles touchant l'image qu'une collectivité veut se donner d'elle-même. Pour le moment cette image est brouillée. Comme toutes les compétences provinciales l'éducation porte un chapeau double.
André Savard
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