L'auteur est journaliste retraité et auteur
Saura-t-on jamais toute la vérité sur la tragédie qui a poussé le Canada à mettre son drapeau en berne pendant plus de cinq mois, une première dans son histoire ? Bien des questions restent à élucider. Qu’est-il vraiment arrivé aux enfants décédés qui fréquentaient les pensionnats autochtones? Combien étaient-ils et de quoi sont-ils morts? De quelle façon les a-t-on enterrés? Pourquoi plusieurs de ces enfants sont-ils portés « disparus » et qui est responsable de ces disparitions?
Entre la fin du 19e siècle et 1996, quelque 150 000 enfants autochtones ont été arrachés à leur famille et placés dans des pensionnats où l’on a tenté de les assimiler et de les convertir. Un «génocide culturel», a conclu la Commission Vérité et réconciliation dans son rapport paru en 2015, mais non un génocide physique. Les pensionnats étaient sous la responsabilité première du gouvernement fédéral qui les a fondés et financés, confiant leur gestion aux églises chrétiennes.
Dans son rapport, la Commission estime le nombre des enfants décédés à quelque 3 200. La plupart sont morts avant 1950 – environ la moitié à l’hôpital ou dans leur famille -- de diverses maladies, surtout la tuberculose contre laquelle n’existait encore aucun vaccin. Leurs décès, inscrits dans des registres, devaient être annoncés aux familles et transmis aux autorités compétentes, fédérales et provinciales.
Aujourd’hui, une multitude de gens croient encore une hallucinante fausse nouvelle diffusée en mai dernier par les médias du monde entier : les corps d’enfants autochtones décédés auraient été jetés en secret dans une « fosse commune », voire un « charnier », près d’un ancien pensionnat catholique des Oblats de Marie-Immaculée à Kamloops en Colombie-Britannique. Une fosse commune, là où l’on entasse sans sépulture des cadavres comme on l’a fait, entre autres, dans des camps de concentration ou après l’exécution sommaire de prisonniers de guerre. Par la suite, on a appris que ces enfants avaient « probablement » été inhumés dans des tombes anonymes et un cimetière jusque-là inconnu.
La vérité des faits, c’est que les enfants décédés inscrits dans les pensionnats des Oblats ont reçu une sépulture respectueuse, selon le rite catholique, dans de vrais cimetières. De petites croix de bois les identifiant étaient plantées sur leurs tombes. Elles se sont désagrégées et ont disparu au fil du temps à la suite de la fermeture des écoles, selon deux historiens réputés des Premières Nations, Jim Miller et Brian Gettler. Les Oblats ont quitté Kamloops il y a plus de 50 ans, en 1969.
Pourquoi plusieurs de ces enfants sont-ils « disparus »? La réponse est lugubre et elle est connue : parce que le gouvernement canadien refusait de payer les frais pour rapatrier les corps des enfants décédés, empêchant ainsi leurs parents de les enterrer chez eux. Cette politique odieuse, menée par l’ancien ministère des Affaires indiennes, est à l’origine du drame des enfants perdus. Le gouvernement Trudeau doit donc assumer ses responsabilités plutôt que de demander hypocritement aux églises chrétiennes de faire leur mea culpa.
La vérité sans tabous
Toute cette histoire bouleversante a ressurgi lors de la diffusion d’un communiqué émis par la Première Nation de Kamloops, le 27 mai dernier, annonçant la découverte par géoradar des « restes humains » de 215 enfants « disparus », enterrés en secret près de l’ancien pensionnat des Oblats. La formulation très ambiguë de ce message a induit les médias à parler de fosse commune, sans qu’aucun démenti ne soit apporté. Un mois et demi plus tard, le 15 juillet, un nouveau communiqué annonçait désormais la présence « probable » de tombes anonymes dans un cimetière. Mais entretemps, tous les médias avaient diffusé cette sombre histoire de charnier. Le drapeau du Canada avait aussitôt été mis en berne, dès le 30 mai.
Pourtant jamais, dans son rapport, la Commission Vérité et Réconciliation n’accrédite l’existence de fosses communes, après avoir elle-même repéré plusieurs cimetières à l’abandon près des pensionnats. Ces lieux de sépulture étaient connus de longue date et furent délaissés après la fermeture des écoles. Dans le cas d’un autre pensionnat des Oblats à Marieval en Saskatchewan, un journaliste de CBC, après une recherche exhaustive, a révélé que le cimetière n’abritait pas que des enfants mais des personnes de tous âges. Peut-être est-ce aussi le cas à Kamloops? Les Oblats collaborent aujourd’hui avec les Premières Nations à établir un Registre commémoratif des enfants décédés.
La compassion va de soi quand on parle des Autochtones, de leurs souffrances et de leur résilience. Mais la victimisation à outrance des Premières Nations n’aide pas leur cause, qui est aussi la nôtre : la vérité et la réconciliation. Le meilleur chemin vers la réconciliation n’est-il pas de dire toute la vérité?