Il est courant qu’un gouvernement ait recours au bâillon en fin de session parlementaire pour couper court aux discussions et faire adopter un projet de loi important. Quand l’opposition bloque ladite adoption en étirant ad nauseam les travaux, le bâillon a pour effet de restreindre les débats à quelques heures et forcer le vote final immédiatement.
J’aurais un énorme malaise à voir le gouvernement recourir à cette procédure dans le cadre du projet de loi 21 sur la laïcité. Même en reconnaissant la pertinence de ce projet de loi, il faut garder à l’esprit qu’il touche la délicate question des droits de chacun. Et il inclut le recours à la clause nonobstant pour éviter que la loi ne soit immédiatement contestée en vertu de la Charte des droits.
Voici le portrait. Suspendre les procédures parlementaires régulières pour faire adopter un projet de loi qui suspend certaines libertés et qui suspend aussi l’application de la Charte des droits et libertés, ça fait beaucoup. Cela finit par donner des munitions à ceux qui veulent ternir l’image du Québec.
Banal ?
Évidemment, chez nous, au Québec, parmi les gens qui ont tout suivi des débats sur la laïcité et des accommodements depuis Bouchard-Taylor, le recours au bâillon peut paraître banal. Cela fait plus de dix ans qu’on en parle. Il y a eu moult consultations. Le sujet a été débattu en campagne électorale. Raccourcir le débat maintenant et adopter la loi est bien défendable.
Les choses ne sont pas aussi simples à l’échelle internationale. Imaginez la situation présentée dans une conférence internationale de science politique ou dans un grand forum sur les droits de l’homme de l’ONU. On dira qu’un nouveau gouvernement au Québec vient de suspendre les libertés religieuses d’une partie de sa population.
On ajoutera que la Charte des droits et libertés a été suspendue. On finira par expliquer que ce nouveau gouvernement n’a même pas respecté le parlement et a imposé sa loi par le bulldozer. Il n’en faut pas plus pour nuire à l’image internationale du Québec. Rien n’est plus difficile que de réparer des perceptions erronées à l’international et de rétablir la vérité une fois les choses parties de travers.
René Lévesque et la Loi 101
C’est exactement cette discipline que s’était imposée René Lévesque lors du débat sur la Loi 101 en 1977. Il avait refusé de recourir au bâillon, c’est-à-dire de suspendre les droits des parlementaires pour faire adopter une loi qui, elle-même, suspendrait les droits linguistiques. Les députés, péquistes comme libéraux, avaient passé la plus grande partie de l’été en commission parlementaire à étudier la Loi 101. Celle-ci avait finalement été adoptée le 26 août.
Il me semble qu’il y a là une bonne inspiration pour François Legault. La procédure parlementaire a changé depuis, compliquant un peu le fait de siéger en été. Mais la procédure ne peut pas prévaloir sur le fond. Il vaudrait mieux raccourcir les vacances et faire le travail à fond plutôt que de recourir au bâillon.