«Qu'est-ce qu'une récession?» Lorsque l'on pose la question aux élus, certains se mettent en colère, [lâchent des jurons et qualifient la question de «niaiseuse», comme le ministre du Développement économique, Raymond Bachand->11223]. D'autres, cependant, prennent plaisir à y répondre. Et en détail. C'est le cas du député libéral de Laval-des-Rapides, Alain Paquet, ancien professeur d'économie à l'UQAM. Originaire d'un quartier humble de la capitale, il est détenteur d'un doctorat sur les cycles économiques. Rencontre avec un économiste intarissable.
Québec -- «Deux trimestres consécutifs de croissance négative»: telle est la définition que l'on donne habituellement d'une récession. C'est la définition «populaire», souligne Alain Paquet, député de Laval-des-Rapides et docteur en économie, qui été professeur à l'Université du Québec à Montréal de 1988 à 2003 (il est en congé sans solde depuis son élection le 14 avril 2003). «C'est celle que Jean Charest a donnée», à la mi-janvier à Sherbrooke, à l'entrée d'un caucus du PLQ. Celle, aussi, fournie quelques minutes plus tard par le ministre Raymond Bachand, «avec un peu plus... d'images», note Alain Paquet avec un sourire. Mais cela demeure une définition «approximative, pas fausse, mais pas tout à fait complète». Bonne pour un point de presse impromptu, un scrum, souligne-t-il, assis dans son bureau de l'hôtel du Parlement à Québec.
Il faut aller plus loin. Alain Paquet, qui habituellement parle vite, escamote des mots tellement il semble pressé de livrer le fond de sa pensée, se met à dicter, sur un ton légèrement professoral: «Au fond, il faudrait parler d'un déclin ou d'une baisse significative de l'activité économique, dans l'ensemble de l'économie, qui dure plus de quelques mois.» L'expression «deux trimestres» est commode. Mais trop tranchante pour les situations économiques. Aussi, pour bien déterminer s'il y a récession ou non, ce n'est pas seulement le PIB réel qu'il faut observer, mais aussi le revenu réel, l'emploi, la production industrielle, les ventes de gros et de détail.
Réel? Comme dans «PIB réel». Y a-t-il des PIB irréels? Non, on désigne par PIB «réel», celui qui a été ajusté à l'inflation. On comprend donc pourquoi les économistes, même assistés des meilleurs ordinateurs, ne sont pas en mesure de déclarer un jour donné si un pays se trouve en récession. Les chiffres récents sont en retard sur la réalité, toujours incomplets. À prendre avec circonspection. On peut certes se baser sur des estimations préliminaires, «mais, par la suite, il y a des révisions sur un trimestre, deux trimestres, trois trimestres», souligne M. Paquet. Parfois, on révise les chiffres jusqu'à un an après les faits. Si bien qu'en 2002, aux États-Unis on a dû remettre en question un diagnostic de récession qui avait été fait pour l'année précédente, puisque les données révisées indiquaient qu'il n'y avait plus qu'un trimestre sur trois déclarés décroissants qui l'était vraiment.
Récession, dépression
Aux États-Unis, on ne badine pas avec la notion de récession. C'est au National Bureau of Economic Research (NBER) de déterminer, officiellement, si oui ou non il y en a eu une. Fondé en 1920, le NBER a publié ses premières datations du cycle économique en... 1929, en pleine dépression! (Oh, voilà un autre concept! Pourquoi pas récession? «On m'a dit que je ne pouvais pas utiliser le mot dépression», a un jour déclaré l'ancien président américain Ronald Reagan. «Je vais vous en donner la définition. Une récession, c'est quand votre voisin a perdu son emploi et une dépression, c'est quand vous perdez le vôtre.» En fait, c'est, ici aussi, plus complexe, note Alain Paquet. On parle de «dépression» quand une récession se double d'une crise financière grave. «En 1929, les banques américaines sont très affectées. Plusieurs ferment leurs portes.»)
Aux États-Unis, donc, la définition est officielle. C'est le NBER qui tranche (et depuis 1961, sa datation est reconnue comme officielle). Ce n'est pas le cas au Canada. Faudrait-il importer cette façon de faire? Non, croit M. Paquet, il n'est pas nécessaire de bureaucratiser l'affaire. «Statistique Canada, les chercheurs peuvent le faire, moi-même comme chercheur, comme économiste, je l'avais fait en 1995.» Le résultat: en appliquant la «méthode de Stock et Watson», M. Paquet et ses collègues Yvon Fauvel et Luc Bergeron ont déterminé que le Canada a été en récession de janvier 1975 à mars 1975; de mai 1980 à juin 1980; d'août 1981 à novembre 1982; et, la dernière récession en date, d'avril 1990 à mars 1991. Depuis, ça croît.
Prophétie autoréalisatrice?
L'économie est une affaire de confiance, et les attentes face à l'avenir toujours incertain y jouent un rôle crucial. Et le domaine des prédictions économiques est florissant. Or, les économistes ne sont pas «des diseurs de bonne aventure, on n'a pas une boule de cristal. Notre rôle, c'est de comprendre ce qui se passe, de comprendre les causalités, ce qui peut amener une situation d'urgence, une situation préoccupante», répond M. Paquet, qui appartient à l'école de la «nouvelle macro-économie classique».
Certains, comme l'ancien p.-d.g. de la Société des alcools Gaëtan Frigon, croient que la récession, c'est «dans la tête». C'est une prophétie autoréalisatrice: plus on en parle, plus on la fait advenir. «Il ne se passe pas une journée [...] sans que quelqu'un "en autorité" évoque la possibilité d'une récession, ou sans qu'un analyste chevronné fasse de même», écrivait-il dans La Presse la semaine dernière. Cette façon de «faire peur au monde», c'est la meilleure recette pour «créer une récession de toutes pièces». Entreprises et consommateurs devraient donc se faire un devoir de faire comme si tout allait bien.
Alain Paquet croit qu'il faut «faire attention» à ce type d'explication. Bien sûr, si la confiance des investisseurs et des consommateurs est ébranlée, «évidemment, ça peut affecter l'ampleur d'un effet ou la rapidité d'un effet», dit celui qui a été au conseil d'administration de l'Association des consommateurs du Québec de 1990 à 1997. Il peut y avoir ce que les spécialistes qualifient de «substitution intertemporelle», c'est-à-dire que vous allez reporter à plus tard l'achat d'une auto ou d'un cinéma maison. Mais il y a une «réalité économique». Le politicien qui refuse de dire si oui ou non «on est en récession» le fait non pas parce qu'il veut éviter de la provoquer par ses seules paroles, mais bien plutôt parce qu'il «n'a pas les données pour répondre». C'est ce qui expliquerait la «nervosité qu'on observe actuellement chez les hommes et les femmes politiques». Ils sentent quelque chose qu'ils ne peuvent nier ou confirmer. Ça peut peut-être expliquer certaines colères.
Photo: Jacques Nadeau
- source
L'entrevue
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé