Paresseux et profiteurs

Comme si on demandait aux victimes de rembourser la dette contractée par ceux qui les ont volés, en plus de les obliger de travailler à rabais pour ces mêmes voleurs

Chronique de Louis Lapointe

Quand j’entends les ministres de Jean Charest dire qu’il faut que les vieux retournent sur le marché du travail, ça me fait bien rire. Ça va faire bientôt 9 ans que je ne travaille plus, que j’y ai laissé ma peau. J’ai eu le malheur de tenir tête à mon patron. Ce qui m'a amené sur le bord du gouffre dans lequel j'ai plongé un soir de janvier 2001.
Ce soir là, je suis sorti prendre une marche avec ma conjointe, je lui ai dit que je n’en pouvais plus, que j’étais rendu au bout du rouleau. Elle m’a répondu que nos quatre enfants préféraient un père vivant plutôt que mort. Qu’elle retournerait travailler. Mon bébé avait 10 ans, ma plus vieille 15 ans.
Je suis devenu vieux ce soir-là, je venais juste d’avoir 43 ans. J’en aurai bientôt 52 et je n’ai plus jamais travaillé, m’étant fait beaucoup trop d’ennemis à cause de mon honnêteté et de ma trop grande franchise, des traits de caractère qui ne sont pas valorisés chez les dirigeants d’organisation. Une situation qui n’a rien d’exceptionnel.
La chute a duré 5 ans. Malgré toutes mes tentatives pour me trouver un emploi, toutes les portes se sont fermées l’une après l’autre devant moi, au gouvernement, dans les universités, dans les collèges. Plus vous tombez de haut, moins vous trouvez d’amis pour vous aider. Il s’en trouve même pour vous planter quelques couteaux dans le dos au passage, pour être sûrs que vous ne vous relèverez jamais.
J’ai commencé à m’en sortir un jour de juin 2005, le jour où j’ai décidé de cesser de me chercher un emploi, le jour où j’ai entrepris d’écrire un roman, Bâtonnier. Quand j’étais plus jeune, avant que je devienne avocat, je m’étais promis d’écrire au moins un livre, je l’ai fait, même si aucun éditeur n’a voulu le publier.
Et puis je me suis mis à écrire des opinions dans le Devoir, au début très malhabilement. Ils m’ont dit que j’écrivais trop. Qu’il ne pouvait pas tout publier. Ça faisait 25 ans que je me retenais de dire ce que pensais par devoir de réserve. Puis, un jour, j’ai envoyé quelques textes à Bernard Frappier. Il m’a aussitôt tendu la main et proposé de devenir chroniqueur de Vigile.
***
Quand j’entends des éditorialistes, des ministres, des avocats, des gens pas plus compétents que moi et qui ont la chance de gagner un revenu, dire que les Québécois ne sont pas assez productifs et que les vieux doivent retourner sur le marché du travail, je sais que c’est de la foutaise.
Il y a beaucoup de gens qui, comme moi, travaillent, mais ne gagnent rien ou presque rien en regard de leur expertise et de leurs diplômes. Beaucoup de bénévoles qui n’existent pas dans les statistiques officielles. Il n’y a pas de place pour eux sur le marché du travail à cause de leur trop grande honnêteté, leurs diplômes et leurs compétences n’y changeant rien.
Est-ce une raison pour aller placer des boîtes de conserve sur des tablettes et jouer les gardiens de nuit au salaire minimum? Si elles ne peuvent être utilisées à bon escient, nos compétences ne serviront certainement pas à enrichir l’épicier du coin, mais à aider ceux qui en ont le plus besoin dans notre entourage, peut-être même à faire tomber le régime!
Et puis, je vois bien qu’il y a ceux qui travaillent trop pour des salaires qui suffisent à peine à subvenir aux besoins de leur famille. Je vois de jeunes couples avec des enfants qui, malgré tous leurs diplômes, ne gagnent pas suffisamment pour s’en occuper eux-mêmes. Ils doivent travailler tous les deux à temps complet pour joindre les deux bouts, étant pris dans le cercle infernal des garderies et des antibiotiques. Je les vois rouler à cent à l’heure et je me dis qu’à cette allure ils vont frapper le mur bien avant moi, bien avant l’âge de 43 ans.
Ce n’est pas pour rien qu’il se vend autant d’antidépresseurs au Québec. Ce n’est pas un mythe, c’est la réalité, l’épuisement professionnel frappe les travailleurs de plus en plus jeunes. Bientôt on ne sera plus vieux à 55 ou à 43 ans, comme je me le suis fait dire il y a quelques années, mais au milieu de la trentaine. Si quelqu’un cherche une vraie raison à une baisse de la productivité, elle n’est pas dans les statistiques, elle est là.
Contrairement aux idées reçues, loin de ne pas être assez productifs, les Québécois, surtout les jeunes diplômés, sont moins bien payés que ceux de Toronto, Boston et New York pour faire le même travail. C’est pour cela que notre PIB est plus bas. Ils ne travaillent pas moins, ils travaillent pour de moins gros salaires ! Tout ce qu’ont trouvé à dire les patrons et les lucides pour les encourager à être plus productifs, c’est de leur proposer de travailler encore plus pour moins d’argent. Ce n’est certainement pas en baissant les salaires des Québécois qu’ils vont augmenter le PIB.
***
Devant le refus généralisé des travailleurs occidentaux de travailler plus pour moins, voraces et avides d’argent comme elles sont, sous le regard complaisant des gouvernements, les grandes banques d’affaires et leurs courtiers ont organisé le vol de nos épargnes, nous obligeant à travailler plus et plus longtemps. Elles appellent ça une crise financière, la tempête parfaite ! Une opération qui a permis de faire croire aux épargnants que leurs économies s’étaient envolées comme par magie, alors que c’était les dirigeants de ces banques qui s’en étaient emparés avec la complicité des autorités règlementaires sans que nous puissions mots dire, tout cela en raison de la protection accordée par les tribunaux à la suite de la déconfiture de ces mêmes banques. Une belle arnaque!
C’est dans ce contexte que le gouvernement veut hausser les tarifs et les taxes ; imposer de nouveaux tarifs à ces jeunes couples surendettés qui travaillent trop et peinent à s’occuper de leurs enfants ; couper dans les prestations de régie des rentes des plus vieux et vulnérables prestataires afin qu’ils restent plus longtemps sur le marché du travail au salaire minimum. Des mesures qui vont obliger bien des gens à travailler plus et plus longtemps pour se payer les mêmes biens et services à des tarifs plus élevés. Comme si on demandait aux victimes de rembourser la dette contractée par ceux qui les ont volés, en plus de les obliger de travailler à rabais pour ces mêmes voleurs sans que ces derniers ne soient inquiétés le moins du monde, ni par la loi, ni par les tribunaux. Est-ce comme cela qu’on va augmenter la productivité au Québec ? La belle affaire !
Pendant ce temps-là, tous les Henri-Paul Rousseau de ce monde nous rient en pleine face en faisant plus d’argent qu’ils n’en ont jamais fait, profitant de toutes les aubaines qu’amènent les lendemains de crise. Il n’y a pas eu un seul libéral lors du conseil général tenu la fin de semaine dernière à Drummondville pour proposer une taxe sur les fruits de la spéculation outrancière, afin de récupérer une partie de l’argent qui a disparu des coffres de la CDPQ. C’est là qu’ils sont nos 40 milliards$. C’est là qu’il est l’argent disparu de nos comptes de banque et de nos fonds de pension. Il est rendu chez les riches spéculateurs qui ont profité de la crise pour s’enrichir encore plus !
Je n’en peux plus des Desmarais et de leurs vassaux, les Rousseau, les Sabia, les lucides, les Pratte, les Dubuc et ces professeurs d’université en double emploi qui se font grassement payer pour dire des âneries qui n’ont rien à voir avec la réalité et tout à voir avec les honoraires qu’ils reçoivent, pour justifier le vol de nos épargnes, accusant les vieux d’être des paresseux et les jeunes d’être des profiteurs.
Je n’en peux plus des faux débats sur les tarifs et la présumée faible productivité des Québécois, des hypocrisies de nos élites qui ne gagnent jamais assez d’argent et qui payent toujours trop d’impôt, d’un premier ministre qui, sous prétexte de vision, songe à augmenter les tarifs et à freiner la hausse des salaires, alors que lui-même reçoit une rémunération supplémentaire dont il refuse de nous communiquer le vrai montant et les noms de ceux qui la financent. Probablement les mêmes qui ont volé nos épargnes et qui profitent de la crise pour s’en mettre plein les poches et qui vont sûrement trouver le moyen de tirer profit de la hausse des tarifs en se faisant accorder des crédits d’impôt pour leurs investissements privés dans les infrastructures publiques. Ils vont nous faire payer leur béton deux fois plutôt qu’une!
Quand un premier ministre refuse de dire toute la vérité au sujet de ses bailleurs de fonds personnels, c’est qu’il a quelque chose à cacher. Ne désespérons pas, il se trouvera bien quelqu’un pour le trahir, ce n’est qu’une question de temps!
***
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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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7 commentaires

  • @ Richard Le Hir Répondre

    14 juin 2015

    Bravo, Louis !
    Bis repetita non nocet

  • Stéphane Sauvé Répondre

    6 octobre 2012

    Merci pour votre témoignage, c'est décourageant à lire, puis avec un peu de recul et après lecture des commentaires, on se dit que quelque part, la vérité parle plus fort que le mensonge...mais prends plus de temps à se révéler.
    J'oeuvre dans le domaine de la consultation internationale (évaluation de projet et programme) depuis près de 18 ans et, il en a fallu de peu pour que je quitte complètement le domaine devant les compromissions qu'on me demandait de faire.
    Rien n'y fit, j'ai gardé le cap sur cette intégrité professionnelle et bien que les contrats soient plus rares, je dors très bien le soir.
    Enfin, étant donné votre plume, j'ai parfois des textes (rapports de consultations) à faire éditer. Si jamais le coeur vous en dit, et que vous avez du temps, faites moi signe. Je peux être rejoins au 819 923-5958 ou sur skype au pseudo (trobadoras). Avant de vous soumettre des textes (qui sont confidentiels), j'aimerais d'abord que l'on prenne contact puis que vous lisiez un de mes rapports et me donner un estimé de combien il m'en couterait pour améliorer la qualité du francais (voire la structure et contenu).
    Encore merci pour votre témoignage, c'est un souffle sur les braises de mon quotidien.
    Stéphane Sauvé

  • Archives de Vigile Répondre

    15 août 2012

    J'ai, entre autres diplômes, un doctorat en génie mécanique de l'École Polytechnique de Montréal, obtenu en septembre 2011. Cela fait presqu'un an que je cherche du travail sans succès. J'ai proposé ma candidature à plus d'une vingtaine de CEGEP et à 5 universités francophones, sans parler des compagnies à Montréal et ailleurs au Québec.
    J'ai aussi un bac en mathématiques et une maîtrise en informatique de l'université de Montréal. J'ai fait beaucoup d'efforts pour obtenir tous ces diplômes.
    Quand on veut bien me convoquer en entrevue, on me trouve sur qualifié ou bien on me propose un emploi de quelques mois seulement.
    Est-ce parce que j'ai 55 ans, ou parce que je rejette catégoriquement la langue de bois et l'hypocrisie que la société habille habilement du terme de diplomatie, ou bien parce que je suis immigrant ?
    Je me suis pleinement retrouvé dans votre article. Dans notre monde, les moutons malhonnêtes représentent la majorité, ils sont trop faibles pour être honnêtes et ne supportent pas les gens honnêtes.

  • Marcel Haché Répondre

    4 octobre 2009

    Vous êtes chroniqueur ici. Cela nous est bien suffisant. Et je suis toujours étonné qu’on porte une si grande attention, ici, sur Vigile, aux Pratte et cie. Texte pour texte, les vôtres—et ceux de plusieurs autres, sur Vigile-- valent mieux que ceux de La Presse.
    Je suis loin d’être convaincu que les éditorialistes comme Pratte ont une influence si déterminante. Quant à moi, l’ « influence » n’a plus rien à voir avec le tirage.
    Quant à l’emploi, le marché de l’emploi, tout stimulant qu’il puisse être, il y a une vie au dehors. La difficulté est plutôt d’accorder l’emploi(le bon emploi de son temps et de ses talents) et la rémunération. Ça, c’est une toute autre game !
    Relativement au travail des plus vieux—et pas seulement des « vieux »-- souhaité par le ministre Hamad, cela relève bien plus de la propagande et de la mise en condition de l’opinion publique, que d’une politique véritable. Et cela, très exactement—très exactement-- comme les « Salons de l’emploi », qui ne sont pas une arnaque, mais une gammick. Des questions pourraient être posées.
    J’ai plaisir à vous lire.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 octobre 2009

    J'ai été forcée de prendre ma retraite parce qu'en entrevue, on me disait trop vieille, que je ne parlais et n'écrivais pas assez l'anglais, que je n'étais pas assez qualifiée, etc... J'ai envoyé des dizaines et des dizaines de CV, sans jamais recevoir au moins un accusé de réception. On nous laissait entendre qu'il fallait laisser la place aux nouvelles générations. De guerre lasse, j'ai abandonné ma recherche.
    Et maintenant les nouveaux gourous de l'économie nous reprochent presquement de coûter cher, d'être vieux et souvent malades. Comme si nous étions des paresseux. Que faudrait-il faire? Je vous le demande.
    Mais que se passe-t-il au Québec ? C'est la tour de Babel. Et il faudrait les croire...
    Marie Mance V

  • Claude Girard Répondre

    2 octobre 2009

    Touchant témoignage, M. Lapointe. Moi aussi, il y a maintenant plus de trois ans, à 48 ans, on m'a rayé de la carte du marché du travail où j'aurais dû normalement avoir ma place en raison de mes compétences, de mes idées et de mon expérience. Apprécié de mes collègues mais ne «fit» pas dans le système, monsieur refuse de faire le sous-tapis devant ces carriéristes incompétents mais qui détiennent le pouvoir. J'ai essayé de partir à mon compte mais j'suis pas sûr que ce soit mieux, il faut être encore plus performant, maîtriser tout le discours de l'entrepreneurship néolibéral. Ça ne me réjouit pas de ne pas être le seul dans cette situation (tiens, je m'en doutais) mais ça console.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 octobre 2009

    « Ainsi il ne perdra pas la face. Depuis le dernier coolie jusqu'au premier mandarin, il s'agit de ne pas perdre la face, leur face de bois, mais ils y tiennent et en effet, n'y ayant pas de principes, c'est la face qui compte. »
    Henri Michaux
    Un barbare en Asie (1933)