Vous êtes-vous déjà demandé d’où viennent vos voisins? Grâce aux données du dernier recensement de Statistique Canada, il est possible de visualiser le pays d’origine de chaque Canadien, personne par personne, selon l’endroit approximatif où il vit. Zoomez, dézoomez et explorez la carte ci-dessous, à l’échelle des provinces, des villes ou des quartiers, pour découvrir le portrait le plus précis possible de ces données.
La représentation au niveau des rues est à des fins illustratives (voir la méthodologie). Seuls les pays de naissance les plus fréquemment déclarés sont affichés ; les autres sont regroupés à l’échelle de leur continent.
Zoom sur Montréal la multicolore
À l’échelle du Québec, difficile de trouver une zone où se côtoient plus de gens de différentes origines. Dans certains quartiers, comme Côte-des-Neiges ou Parc-Extension, les communautés se côtoient et forment un véritable arc-en-ciel sur la carte de la ville. Mais dans d’autres cas, c’est tout le contraire. Survol de quelques cas métropolitains.
Quartier chinois et Petite-Italie : les quartiers « ethniques »
Au premier regard sur la carte de Montréal, des taches de couleurs se distinguent des autres. Elles se trouvent souvent aux endroits où on s’y attend, dans les quartiers dits « ethniques » de la ville. Mais pourquoi ces communautés se sont-elles établies à cet endroit ?
La réponse peut être complexe, affirme d’emblée Luisa Veronis, professeure de géographie sociale à l’Université d’Ottawa. « Elle varie énormément selon les groupes, les périodes et les circonstances d’établissement. »
L’immigration chinoise illustre un premier cas type : l’isolement forcé.
« Au Canada, les quartiers chinois sont souvent le résultat d’une ségrégation forcée ou “semi-forcée” à l’arrivée [des immigrants chinois pour la construction du chemin de fer transcanadien] au XIXe siècle. »
Au XXIe siècle, ce n’est plus un facteur, souligne la professeure Veronis, mais cette concentration a en quelque sorte planté les racines de la communauté. « L’histoire laisse ses traces dans la géographie. »
Pour d’autres groupes, comme les Italiens, les Grecs ou les Portugais, « c’était simplement une question d’accès au logement à l’arrivée des premiers immigrants, dans des quartiers pas trop loin des usines, typiquement là où il y avait des logements qui n’intéressaient pas les Canadiens d’origine ». Et il y a l’effet bouche-à-oreille, toujours très puissant, dit-elle.
Brossard et Saint-Léonard : les nouveaux chez soi
Qu’en est-il de ces quartiers plus récents qui accueillent d’importantes communautés, comme Saint-Léonard ou Brossard ?
« Au fil du temps, il y a déconcentration des communautés d’abord cantonnées dans certaines zones », poursuit la professeure Veronis. Mais une certaine cohérence se maintient, et des secteurs a priori surprenants finissent parfois par attirer d’importantes communautés.
Dans la grande région de Montréal, le cas de l’immigration asiatique à Brossard se révèle spécialement intéressant. « Il y a ici une concentration de services — épiceries, agents immobiliers, écoles, etc. — qui attire les gens de la communauté », souligne l’experte de la géographie des migrations.
C’est essentiellement un cas de « migration en chaîne ». « La présence au préalable d’une communauté aide les nouvelles arrivées », résume la professeure.
Le Plateau Mont-Royal : l’attrait de l’idéal
Des aspects moins tangibles sont également parfois en jeu. C’est le cas dans le Plateau Mont-Royal, où le cliché du Français fraîchement installé dans la métropole semble avoir un fond de vérité. L’immigration en provenance de l’Europe de l’Ouest est d’ailleurs très présente dans les quartiers centraux de Montréal : dans le fief de Luc Ferrandez, les 6730 exilés de l’Hexagone représentent 28 % de la population immigrante — et 7 % de la population totale.
« Dans le cas du Plateau, c’est la recherche d’un idéal. On est ici dans une immigration aisée. Dans les médias d’Europe, le quartier type de Montréal, c’est le Plateau, c’est l’image qu’on se donne de la ville. C’est la recherche de leur rêve montréalais, de leur rêve américain. »
À l’échelle du Québec : l’influence de la langue
Sans surprise, l’immigration issue des pays francophones est plus élevée au Québec qu’ailleurs au pays.
Entre le Québec, l’Afrique du Nord et Haïti, par exemple, « il y a une affinité linguistique très claire », affirme sans ambages la géographe. « C’est la même chose en Ontario pour l’Afrique de l’Ouest anglophone, le sous-continent indien et la Jamaïque. [...] C’est une barrière de moins. »
On peut d’ailleurs voir le phénomène en action dans la région d’Ottawa-Gatineau, souligne-t-elle.
Ne pas avoir à apprendre la langue facilite l’intégration et le processus d’immigration. Bref, « il y a une tendance chez les immigrants francophones à aller du côté du Québec ».
Il s’agit d’un facteur important, mais pas d’un déterminant, modère-t-elle toutefois. « Les Africains du Nord vont au Québec pour toutes sortes de raison : la langue, la présence préalable d’une communauté, etc. Sans compter que le Québec a sa propre politique d’immigration : dans certains cas, c’est simplement plus facile. »
« La décision d’immigrer à un endroit en particulier est rarement simple. »
Saguenay : les défis des plus petites villes
L’affinité linguistique ne suffit pas toujours à attirer les gens issus de l’immigration, comme en témoigne le cas de Saguenay.
C’est souvent la connaissance limitée de la géographie canadienne par les gens avant leur arrivée qui complique l’exercice, ajoute l’experte.
« Peut-être qu’un médecin du Ghana ignore qu’Halifax existe. [...] Et je ne sais pas combien de Chinois savent où est Saguenay! »
L’absence d’immigrants dans une région entraîne aussi parfois un cercle vicieux. L’absence de communauté sur place n’encourage pas l’exercice.
Mais encore là, les grandes conclusions doivent être modérées. « Chaque immigrant a son histoire : certains sont originaires de plus petites villes et n’aiment pas l’expérience des métropoles, et s’installent à un endroit qui leur correspond mieux », résume Mme Veronis.
Toronto : l’attrait des grandes villes
L’attrait des métropoles mérite d’être souligné. Surtout dans une ville comme Toronto, où plus de 50 % de la population est désormais issue de l’immigration. Là-bas, comme à Montréal, « c’est la combinaison des facteurs qui crée des pôles d’attraction », résume la géographe.
Au Canada, les grandes villes offrent typiquement une plus grande variété d’emplois, de logement bas ou haut de gamme, de lieux de culte, etc. Elles ont également la réputation, à tort ou à raison, d’être plus tolérantes des différences, explique Mme Veronis.
Elle cite en exemple les environs de l’aéroport Pearson, à Brampton, où une importante communauté indo-pakistanaise a pris racine. « C’est la niche économique de l’aéroport qui a attiré la communauté. L’état du marché de l’emploi est bien connu par la communauté. »
« Les lieux de culte y sont, tout comme de grandes maisons pour les familles multigénérationnelles, fréquentes dans ces communautés. »
Armés de ces connaissances, les immigrants « estiment souvent qu’il y aura plus de possibilités et d’opportunités dans les grandes villes ».
L’attrait s’exerce d’ailleurs à tous les niveaux économiques. Dans le nord de la capitale ontarienne, à Markham, ce sont des immigrants investisseurs, des gens d’affaires hongkongais, qui viennent vivre leur rêve américain — « un peu comme les Français du Plateau Mont-Royal », souligne la géographe.
Winnipeg : la migration en chaîne en action
Parfois, une seule personne peut planter les semences d’une nouvelle communauté. Le cas de la surprenante communauté philippine de Winnipeg en est un exemple probant. Le tagalog — la langue de la communauté — est d’ailleurs une des plus entendues dans la capitale manitobaine.
« C’est un cas type de migration en chaîne, résume la professeure Veronis. Un entrepreneur a parrainé certains de ses compatriotes, qui en ont parrainé d’autres. La communauté s’est organisée ; des infrastructures ont été mises en place. »
Et c’est ainsi qu’une ville au beau milieu des Prairies canadiennes est devenue l’hôte d’une des plus grandes communautés philippines du pays.
Vancouver : la force de la géographie
La présence asiatique se fait d’ailleurs de plus en plus sentir vers l’ouest. Une simple conséquence de la proximité géographique ? En quelque sorte, conclut Mme Veronis.
« Vancouver a un lien très fort avec le Pacifique ; la ville est connue à l’étranger. Un immigrant investisseur chinois sera plus intéressé par Vancouver que Montréal, ne serait-ce qu’à cause de la diaspora. »
Malgré les moyens de transport et de communication modernes, la simple proximité géographique continue de jouer un rôle important dans les flux migratoires. « Des liens s’établissent avec les autres éléments : il est plus facile de connaître un endroit — ou quelqu’un qui y vit — quand il est plus proche de nous », conclut la géographe.
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