Le 12 juin 1990, alors qu’il est chef du Parti québécois, Jacques Parizeau se retrouve en tête à tête avec Lucien Bouchard. L’ancien ministre conservateur avait claqué la porte du cabinet fédéral le 22 mai précédent pour protester contre les changements qu’on envisageait d’apporter au fragile accord constitutionnel du lac Meech.
Sa démission, spectaculaire, et les discours qu’il fit dans les jours subséquents avaient enflammé les esprits et l’avaient convaincu de réfléchir plus sérieusement à son avenir. Les consultations qu’il mène l’amènent donc à rencontrer M. Parizeau. Ce dernier ne cache pas que les portes de son parti lui sont ouvertes.
Le chef péquiste a pourtant un autre plan en tête. Il rêve d’une tête de pont souverainiste à Ottawa. Depuis plus d’un an, un petit groupe de ses plus proches conseillers, dont son fidèle lieutenant Bernard Landry, courtise les députés conservateurs québécois les plus nationalistes. Ils cherchent à exploiter les fissures dans le caucus de Brian Mulroney.
Au départ, personne ne pense encore à la création d’un groupe parlementaire voué exclusivement à la défense des intérêts du Québec et ultimement, de la souveraineté. Personne non plus n’ose approcher Lucien Bouchard qui est alors lieutenant politique de son chef et ami Brian Mulroney. Il est toutefois « leur espoir secret », avouera M. Landry.
La défection de Lucien Bouchard et la réaction qu’elle provoque viennent tout changer. M. Parizeau ne brusque rien cependant. Le fruit doit mûrir. Lorsqu’une poignée de députés conservateurs et deux libéraux quittent leur caucus, les rumeurs de création d’un groupe parlementaire se font persistantes.
Elles se confirment à la fin juin 1990. Réunis à Longueuil, les démissionnaires annoncent qu’ils formeront un groupe arc-en-ciel dirigé par Lucien Bouchard et qu’ils présenteront un candidat à l’élection partielle de Laurier–Sainte-Marie, le 13 août suivant.
La décision n’est pas le fruit du hasard. Le Parti québécois a mesuré des semaines auparavant les appuis qu’obtiendrait un éventuel candidat souverainiste dans Laurier–Sainte-Marie.
Le PQ découvre qu’il gagnerait haut la main, mais que ce serait un raz-de-marée s’il était choisi par Lucien Bouchard.
Alors, juste avant la mort de Meech et la rencontre de Longueuil, Jacques Parizeau invite M. Bouchard à dîner chez lui. Au moment du dessert, il lui glisse le sondage. Lucien Bouchard est convaincu.
Encore faut-il trouver un candidat. Ce sera finalement Gilles Duceppe dont les meilleurs amis, vieux routiers du PQ, seront les organisateurs et un employé du parti, le directeur des communications. Le 13 août, le Bloc gagne sans partage.
Le Bloc tient au début à garder ses distances, mais malgré ses succès, la vie à Ottawa est difficile. Ne formant pas un parti officiel, privés de moyens, les bloquistes ont de la difficulté à se faire entendre.
En interne, l’idée de former un parti officiel capable de collecter des fonds divise le groupe, mais les élections approchent. Fin renard, M. Parizeau prend les devants. Au printemps 1991, le PQ fait savoir publiquement qu’il aidera le Bloc lors des prochaines élections. Avec des libéraux dans ses rangs, Lucien Bouchard marche sur des oeufs. Il remercie le PQ mais avise qu’il ne pourra pas rendre la faveur.
L’idée d’un parti — toujours arc-en-ciel — fait cependant son chemin. Le congrès de fondation a finalement lieu le 15 juin 1991. Des têtes d’affiche de presque tous les partis sont présentes, les péquistes étant les plus nombreux.
Le Bloc s’organise, mène des campagnes de financement, mais survient le référendum sur l’accord de Charlottetown à l’été 1992. Le BQ n’a pas encore de vraie machine ni d’organisateur et ses coffres ne sont pas bien garnis.
Encore une fois, Jacques Parizeau est là. Il va à la rencontre de Lucien Bouchard et lui propose de faire équipe au sein du comité du Non. Il le fait même vice-président du comité. Ils apparaîtront souvent ensemble durant la campagne qu’ils gagneront.
Après cela, plus de doute possible. Les deux partis sont frères. Aux élections de 1993, le chef péquiste et ses troupes se mettront au service du Bloc qui remportera 54 sièges et deviendra l’opposition officielle. Le reste est bien connu.
Sans le sens stratégique et la patience de Jacques Parizeau, le Bloc n’aurait fort probablement pas connu les succès qui ont été les siens, surtout au début.
Et sans sa persistance, le portrait de la politique fédérale serait fort différent aujourd’hui. L’arrivée du Bloc a brisé l’élan des progressistes-conservateurs dans la province, y a empêché le retour en force des libéraux fédéraux et a forcé les partis désireux de prendre le pouvoir à Ottawa à dominer ailleurs au Canada.
Le Bloc a connu la déroute en 2011, les Québécois se tournant vers le NPD pour tenter de déloger les conservateurs. Malgré cela, Jacques Parizeau n’a jamais renié ce parti qui l’a aidé à s’approcher si près du but en 1995.
Il a toujours su que si ce n’était pas lui, ce serait un autre qui, un jour, pourrait avoir besoin d’un allié souverainiste à Ottawa.
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