L’Office québécois de la langue française (OQLF) a attendu un vendredi pour publier simultanément cinq nouvelles études. Rien de tel pour permettre au gouvernement Charest de leur donner le spin voulu.
« Les tendances se maintiennent et de nouveaux comportements se profilent », nous annonce le communiqué de l’OQLF. C’est rassurant. Le français s’enfonce mais, avec le temps, tout va s’arranger. En attendant, faisons d’autres études.
« En 2006, le poids des francophones a légèrement diminué, celui des anglophones est demeuré relativement stable et celui des allophones a augmenté », poursuit le communiqué. Nommée par Charest, la nouvelle présidente de l’Office, Louise Marchand, ne mordra décidément pas la main qui la nourrit.
Les tendances se maintiennent? Le poids des francophones a légèrement diminué? Au contraire, les études en question montrent qu’en 2006 le poids des francophones a pris une débarque d’une ampleur jamais vue dans l’histoire des recensements.
Elles montrent aussi que le poids des anglophones n’est pas demeuré relativement stable : il a augmenté. Tendance contraire à la baisse de leur poids prévue dans la précédente étude prévisionnelle de l’OQLF qu’avait signée en 2008 Marc Termote, nommé depuis à la présidence du Comité de suivi de l’Office. C’est à se demander ce que Termote aurait dit de ce communiqué s’il ne s’était pas mis au service d’un OQLF inféodé au gouvernement libéral.
Quant aux nouveaux comportements qui se profilent, Christine St-Pierre et le communiqué claironnent de concert qu’en 2006, la part du français dans l’assimilation des allophones a dépassé pour la première fois celle de l’anglais. La marge est mince : 51 % en faveur du français. Loin du 90 % qui lui assurerait sa juste mesure de nouvelles recrues allophones.
Mais surtout, ce n’est pas vraiment nouveau. Ce comportement se « profile » depuis quarante ans! La part du français avait en effet dépassé 50 % parmi la cohorte d’allophones immigrés en 1971-1975. Arrivée avant la loi 101, cette cohorte comprenait un fort contingent de réfugiés originaires d’Haïti et du Vietnam, deux ex-colonies françaises.
J’ai appelé francotropes ce genre d’immigrants, du fait qu’ils sont déjà francisés ou facilement francisables. En raison de l’entente Cullen-Couture de 1978 qui permet au Québec de sélectionner des immigrants prédisposés à se franciser ou francisés d’avance à l’étranger, le poids des francotropes et la part du français dans l’assimilation se sont maintenus au-dessus de 50 % parmi chaque cohorte arrivée après 1971-1975. À mesure que ces cohortes s’additionnent, ce n’était qu’une question de temps avant que la part du français dépasse 50 % parmi l’ensemble de la population allophone au Québec.
L’important serait de connaître plutôt la part du français dans l’assimilation des allophones après leur descente d’avion, en milieu de vie québécois. Question abordée par deux des études, mais passée sous silence par Mmes Marchand et St-Pierre.
D’autre part, il importe de considérer l’ensemble de la situation. S’il est vrai qu’en 2006 le Québec comptait en chiffres ronds 180 000 allophones francisés pour 170 000 anglicisés (d’où la part de 51 % pour le français), l’assimilation s’y est en même temps soldée par une anglicisation nette de quelque 10 000 francophones. De sorte qu’au total, le profit de 180 000 nouveaux locuteurs usuels que tire l’anglais de l’assimilation dans l’ensemble du Québec (170 000 allophones anglicisés plus 10 000 francophones anglicisés) reste légèrement supérieur à celui de 170 000 qu’en tire le français (180 000 allophones francisés moins 10 000 francophones anglicisés).
Or, pour que l’assimilation ne rompe pas le rapport de force entre le français et l’anglais, les groupes francophone et anglophone devraient en tirer un profit proportionné à leur importance respective. Autrement dit, le ratio entre le nombre de nouveaux locuteurs du français et de l’anglais devrait être non pas d’environ 1 à 1, mais de 9 à 1. La domination de l’anglais en la matière demeure donc massive.
Par ailleurs, c’est l’orientation linguistique de Montréal, capitale économique et culturelle du Québec, qui déterminera le destin du français. Lorsqu’on dégage une vue d’ensemble, la domination de l’anglais dans cette région clé est saisissante.
Notre figure résume le mouvement de l’assimilation entre les trois groupes linguistiques, représentés par des blocs proportionnés à leurs poids selon la langue maternelle dans la région montréalaise. Les flèches chiffrées indiquent le solde de l’assimilation entre les groupes.
Au total, par rapport à l’effectif selon la langue maternelle, l’assimilation dans la région métropolitaine se solde en 2006 par un gain de 180 000 locuteurs additionnels de l’anglais au foyer (20 000 plus 160 000 : voir notre figure) en regard d’un gain de seulement 125 000 pour le français (145 000 moins 20 000). Et ce, alors que la région de Montréal compte plus de cinq francophones pour un anglophone.
Notons que l’anglicisation nette de 20 000 francophones joue doublement ici : 20 000 locuteurs additionnels pour l’anglais en même temps qu’une perte équivalente pour le français. Ce qui creuse de 40 000 l’écart à l’avantage de l’anglais. Notons aussi que l’anglicisation nette des francophones à Montréal (20 000) dépasse celle dans l’ensemble du Québec (10 000) parce qu’il existe, selon le recensement de 2006, une francisation nette de 10 000 anglophones dans le Québec à l’extérieur de la région montréalaise.
Revenons maintenant à la question de fond. Quel est le pouvoir d’assimilation de l’anglais et du français en milieu de vie québécois? Et en milieu de vie montréalais?
Dans une étude sur la vitalité des langues au Québec publiée par l’OQLF en 2005, j’ai démontré qu’au moins la moitié des cas d’assimilation recensés parmi les immigrants allophones ont été réalisés à l’étranger. Cette règle permet d’estimer qu’en 2006 quelque 70 000 allophones francisés originaires de l’étranger auraient, dans les faits, adopté le français comme langue d’usage à la maison avant de venir au Québec. Et qu’environ 45 000 allophones anglicisés originaires de l’étranger auraient fait de même quant à l’anglais.
Lorsqu’on retranche cette portion réalisée à l’étranger du profit total que tirent l’anglais et le français de l’assimilation dans l’ensemble du Québec, qui s’élevait, nous l’avons vu, à 180 000 et 170 000 nouveaux locuteurs respectivement, on obtient pour 2006 un gain de quelque 135 000 locuteurs additionnels de l’anglais par voie d’assimilation réalisée sur le sol québécois, contre un gain de 100 000 pour le français.
Dans la région de Montréal, la même méthode d’estimation conduit à un gain d’environ 140 000 pour l’anglais par voie d’assimilation en milieu de vie montréalais, contre seulement 70 000 pour le français. Si, donc, l’anglais domine nettement le français en sol québécois, il écrase le français en sol montréalais.
On peut cerner d’une autre manière l’assimilation qui se déroule sur le terrain. Selon la Commission Laurendeau-Dunton, c’est parmi les natifs du pays qu’on juge le mieux de l’assimilation au Canada. De ce point de vue, l’anglais domine absolument : gain net de 90 000 nouvelles recrues au Québec en 2006, contre seulement 30 000 pour le français. Aux antipodes d’un ratio de 9 à 1 en faveur du français.
Même parmi les natifs du Canada âgés de moins de 15 ans, l’anglais compte au Québec en 2006 un gain net de 17 000 enfants par voie d’assimilation, contre 13 000 pour le français. En dépit des dispositions scolaires de la loi 101.
Bien entendu, dans la région de Montréal la domination de l’anglais est plus totale encore : gain de 90 000 par voie d’assimilation parmi les natifs, contre 12 000 seulement pour le français. Un avantage de plus de 7 à 1 pour l’anglais.
Il faut se rendre à l’évidence. La loi 101 n’a pas foncièrement changé le jeu de l’assimilation sur le terrain. Sur ce plan, la sélection des immigrants nous induit facilement en erreur. Et la récente explosion du nombre annuel d’immigrants, désormais à majorité francotropes, avec la hausse concomitante du nombre de cas d’assimilation réalisée à l’étranger, ne font que renforcer l’illusion d’un pouvoir d’assimilation du français supérieur à son statut réel au sein de la société.
« Quoi qu’il en soit, c’est l’effet net qui importe », diront toujours certains. Mettons. Mais même l’assimilation réalisée à l’étranger ne se solde pas dans le ratio de 9 à 1 en faveur du français.
Agissons, donc. De sorte que l’objectif de 9 à 1 soit atteint aussi bien avant d’immigrer qu’en sol québécois. Le temps presse, vu la dégringolade du français depuis 2001.
Le gouvernement Charest n’en fera rien. Il laissera croupir le français. Cela sert ses intérêts.
Ses apparatchiks feront faire d’autres études. Bien faites ou bâclées, ils leur feront dire ensuite ce qu’ils veulent. Pour tuer le temps.
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