Au Souper-conférence 2009 de L’Action nationale, Fernand Daoust m’avait beaucoup ému. Son allocution « La FTQ, le français, le Québec » portait entre autres sur le rôle fécond que la Fédération des travailleurs du Québec a joué dès le début des années 1960 dans l’élaboration de la politique linguistique québécoise. Je suis revenu de la soirée en me disant que Camille Laurin n’a pas été le seul père de la loi 101.
La revue a publié la conférence de Daoust en novembre 2009. Le Devoir a aussi repris, sous le titre « Des mobilisations urgentes et nécessaires », sa conclusion quant au nouveau péril que court le français au Québec ainsi que les mesures minimales qui, selon Daoust, s’imposent maintenant à ceux qui ont à cœur de redresser la situation.
La toute première de ses recommandations figurait en seconde partie d’une résolution au récent congrès du Parti québécois : « La Charte de la langue française, comme garante de notre identité culturelle, doit devenir un texte fondamental; son application ne doit plus relever de la responsabilité d’un ministre mais de l’Assemblée nationale. Les responsables des organismes encadrant l’application de la Charte devraient être nommés par l’ensemble des députés. »
La première partie de la résolution proposait de recentrer notre politique linguistique sur le français langue commune, plutôt que sur le français langue prédominante qu’avançait la Proposition principale.
Faire de la Charte de la langue française un texte fondamental, c’est bien ce qu’entendait Camille Laurin en donnant à la loi 101 le nom de charte. Jean-Claude Picard rappelle dans sa biographie Camille Laurin : l’homme debout qu’à l’origine, Laurin voulait par l’article 172 de son projet de loi mettre sa charte sur un pied d’égalité avec la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, afin que l’une ne puisse avoir préséance sur l’autre. Dans son esprit, les deux chartes devaient être complémentaires, l’une affirmant des droits individuels et l’autre, les droits collectifs de la majorité francophone.
Selon Picard, Laurin aurait retiré in extremis l’article 172, à la demande expresse de René Lévesque. Après une relecture approfondie, il se serait convaincu que son projet de loi ne portait en rien atteinte à la Charte des droits. Dommage, car la Cour suprême de même que le Comité des droits de l’homme de l’ONU se sont par la suite appuyés sur la Charte québécoise des droits et libertés dans leurs avis défavorables à l’affichage en français seulement. Nous y reviendrons.
Quant à faire relever l’application de la loi 101 de l’Assemblée nationale plutôt que du parti au pouvoir, cela découle en droite ligne du statut du français langue commune, dont tous les partis politiques québécois doivent partager la défense et l’illustration. Certains militants se rappellent d’ailleurs que c’est durant les dix années de Nadia Assimopoulos, ex vice-présidente du PQ, à la barre du Conseil de la langue française que la situation linguistique a pris le tournant désastreux que nous constatons tous aujourd’hui.
Le congrès du PQ a adopté la première partie de la résolution. Mais dans un réflexe digne d’un vieux parti, il a rejeté la seconde. Incohérence passée cependant inaperçue par comparaison avec une autre, touchant cette fois l’affichage.
La commission qui portait sur « Notre identité : un Québec qui se tient debout » avait adopté à l’unanimité une résolution prévoyant qu’un gouvernement souverainiste « reviendra aux dispositions initiales de la loi 101 en matière d’affichage ». Rien de plus logique, en effet, pour qui vise à faire une société autour du français langue commune. Sous le signe, par surcroît, d’un Québec qui se tient debout.
La suite a fait du bruit. Approuvée d’abord en plénière, la résolution fut finalement rejetée. Pour justifier son opposition, Pauline Marois a évoqué les décisions défavorables de la Cour suprême et du comité de l’ONU, et fait valoir que le congrès avait déjà mis assez de pain sur la planche avec les autres résolutions adoptées pour renforcer le français.
« Agir en toute liberté » était pourtant le mot d’ordre du congrès. Comme Lucien devant son miroir, faut-il que le Québec se juge toujours d’après son reflet dans les yeux des autres? En fonction, notamment, du regard peu compréhensif du monde anglophone?
Le paysage linguistique de Montréal se fait de plus en plus aliénant. Sous prétexte de mondialisation, raisons sociales et marques de commerce unilingues anglaises prolifèrent. En attendant une convention internationale sur la diversité linguistique qui tempérerait l’arrogance des multinationales, l’affichage en français seulement ferait un sain contrepoids. La majorité francophone du Québec n’a-t-elle pas le droit de se reconnaître dans le visage de sa métropole?
Et quel meilleur moyen que l’affichage en français seulement pour inviter nos anglophones et nouveaux arrivants à la pratique du français langue commune? Même René Lévesque a fini par le reconnaître.
Revoyons l’avis qu’a donné le Comité des droits de l’homme de l’ONU en 1993. Le comité a trouvé que le droit de la « minorité francophone au sein du [et donc de la majorité francophone du Québec], dont celui d’utiliser sa propre langue, n’est pas menacé par la liberté d’autrui de faire de la publicité dans une autre langue que le français ».
Or, l’affichage en anglais ou bilingue anglais-français encourage l’unilinguisme anglais. Et les francophones ne peuvent pas utiliser leur propre langue, le français, pour communiquer avec des concitoyens unilingues anglais.
Le comité affirme aussi que « s’il est légitime qu’un État choisisse une ou plusieurs langues officielles, il ne l’est pas qu’il supprime, en dehors de la vie publique, la liberté de s’exprimer dans une autre langue ». Mais l’affichage, la publicité, n’est-ce pas plutôt public que privé?
Il ajoute enfin qu’il « n’est pas nécessaire, pour protéger les francophones en position vulnérable au , d’interdire la publicité en anglais. Cette protection peut être assurée par d’autres moyens. »
Qu’on nous les précise donc. Car le Québec a essayé par nombre de moyens d’extraire le français de sa position vulnérable. Sans réussir.
C’est ce que montre l’indice clé du degré de protection du français atteint au Québec, soit sa performance vis-à-vis de l’anglais sur le plan de l’assimilation linguistique réalisée en territoire québécois.
Notre tableau fait le point à ce sujet entre les trois plus récentes paires de recensements consécutifs, en distinguant l’assimilation réalisée au Québec parmi les jeunes, âgés de 0 à 19 ans au premier recensement, de celle accomplie parmi les jeunes adultes, âgés alors de 20 à 39 ans. (Les comportements linguistiques à la maison ne se modifient guère après l’âge de 40 ans. Pour plus de détails sur la méthode d’estimation et l’interprétation des résultats, voir le chapitre « Les jeunes du libre choix » dans mon récent recueil Le français dégringole.)
On voit qu’entre chaque paire de recensements, l’assimilation réalisée au Québec parmi les jeunes se solde davantage au profit de l’anglais que du français. Fait que j’ai présenté au colloque du SPQ Libre d’octobre 2009 sur la langue des études supérieures.
Mais notre tableau montre également que l’avantage que le français semblait détenir sur l’anglais en matière d’assimilation parmi la cohorte des 20-39 ans s’est rapidement réduit jusqu’à disparaître complètement en 2001-2006. Il se peut que cet avantage initial du français n’ait été qu’apparent, c’est-à-dire qu’un effet résiduel découlant de la migration de francophones et allophones anglicisés au Québec vers le reste du durant 1991-1996 et 1996-2001.
Ces départs de jeunes adultes anglicisés ont nettement moins joué durant 2001-2006, ce qui a permis à la domination de l’anglais en matière d’assimilation de se révéler dans toute son ampleur. Avec les conséquences alarmantes que l’on sait pour le poids du français en regard de l’anglais au Québec en 2006.
Rappelons que pour lever la vulnérabilité du français sur ces plans, ses gains par voie d’assimilation doivent être neuf fois ceux de l’anglais. Or, selon notre tableau, l’anglais domine le français par un score total de 7 900 contre 6 800 entre 1996 et 2001, et de 13 200 contre 11 000 entre 2001 et 2006.
L’avis du comité de l’ONU est donc contestable. Quant à celui de la Cour suprême, espérons que la constitution québécoise que mijote le PQ mettra enfin la loi 101 sur un pied d’égalité avec la Charte québécoise des droits de la personne. La Charte de Trudeau devra semblablement ravaler sa superbe.
Relisons la conclusion de Fernand Daoust.
« Nous avons toujours su que ce statut [du français] ne serait jamais établi dans la pérennité tant qu’il n’aurait pas pour assise un pays pleinement souverain. En attendant, notre situation géographique et notre position minoritaire dans la mer anglophone qu’est l’Amérique, au nord du Mexique, nous condamnent à la vigilance permanente et à la plus grande des fermetés. »
Ce qui signifie, à mes yeux, agir aussi sur l'affichage. En toute liberté !
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