On le sait depuis le début de la course au leadership: Alexandre Cloutier n’est pas le favori de l’état-major du Parti québécois (PQ). Ses propos sur une «rupture» nécessaire avec le passé n’ont pas plu à tout le monde. Mais le principal intéressé estime qu’il est de son devoir de dire la vérité.
Il continue de souhaiter un renouvellement du PQ, qui fut, dit-il, l’un des «grands partis de l’histoire du Québec».
Il en parle avec Lucien Bouchard. Plus régulièrement avec Gilles Duceppe, qu’il respecte tout autant. Il admire le caractère du premier, «inspirant et vrai», et la «mémoire phénoménale» du second. Il voue un grand respect à Jacques Parizeau, mais, par sollicitude, ne fait plus appel à lui.
Ses appuis sont plus importants que nombreux: Véronique Hivon, François Gendron, Léo Bureau-Blouin, pour ne nommer que ceux-là. Il rallie des vedettes comme Vincent Gratton, et la récente sortie de Serge Denoncourt à Tout le monde en parle l’a ravi.
Une campagne à sa mesure
On raconte que les «bédardeux» sont rangés derrière Pierre Karl Péladeau. Les «bédardeux» étant le surnom donné en certains cercles à l’entourage de Stéphane Bédard, chef intérimaire du PQ. Alexandre Cloutier hausse les épaules et dit mener une campagne à la mesure de ses moyens. «Je ne me mettrai pas à solliciter les gens en leur promettant la délégation du Québec à Paris», laisse-t-il tomber, mordant.
Selon lui, la course au leadership doit être une occasion d’avancer des idées nouvelles et de relancer le débat souverainiste.
«Je sais que ça ne fait pas l’affaire de tout le monde quand je parle de rupture, de fin de cycle. Il y a eu la défaite de 1995 et celle d’avril 2014. Nous amorçons maintenant un nouveau cycle, la défaite de 1995 est consommée», soutient le député Cloutier.
À son avis, le PQ a du rattrapage à faire chez ses partisans de jadis. Les intellectuels et les jeunes étaient naturellement avec le PQ. La question ne se posait même pas. Les péquistes étaient vus comme des idéalistes, des «purs», motivés par un projet plus grand qu’eux-mêmes, le projet de faire du Québec un pays.
Mais ni les intellos ni les jeunes ne sont aujourd’hui inspirés ou attirés par le PQ. «Ils ne sont plus de notre bord, il faut reconquérir ce monde-là», insiste le député de Lac-Saint-Jean.
Une mouvance fragmentée
Mais la «fragmentation» de la mouvance nationaliste, nuisible à la cause, est tenace. Les appels incessants à la solidarité n’ont jusqu’ici guère porté fruit. Les clans se regardent comme des chiens de faïence. Sortir du champ gauche, rallier, pour peu qu’il en reste, les militants de droite ne sera pas facile.
Plusieurs années s’écouleront d’ici à un éventuel référendum, et le candidat Cloutier admet que «ça prendra du temps». Son programme postule une victoire du PQ en 2018 et prévoit l’élaboration d’une Constitution formant l’architecture institutionnelle d’une république québécoise. Suivraient des études sur la souveraineté.
M. Cloutier, 37 ans, ajoute une proposition originale: recueillir un million de signatures en 2020 avant d’amorcer le processus référendaire. Paul Bégin, ex-ministre péquiste, l’a disqualifié dans une récente lettre au Devoir. Réponse du député: «Nos échecs passés ne doivent pas freiner nos ambitions.»
Le pays n’a pas de prix
Mais comment soulever les passions en 2015? Que peut-on promettre au «paradis des familles»? Que demander en sus à la société la plus généreuse d’Amérique du Nord? Et la malheureuse dépendance aux transferts fédéraux devient embêtante.
«C’est très réducteur de ramener l’indépendance à une question de chiffres», réplique le candidat Cloutier.
En fait, le pays n’a pas de prix.
Sa vie de père de famille
La 169 pour dire bonne nuit à ses enfants
La route 169 qui traverse la réserve faunique des Laurentides vers le Lac-Saint-Jean ne tolère pas la distraction. Une tempête de neige peut surgir comme un orignal à la sortie d’un virage. On n’y voit soudainement plus rien. Mais, quand l’ennui est trop cruel, Alexandre Cloutier prend le volant quand même et file à Saint-Gédéon pour dire bonne nuit à ses enfants.
C’est dur d’être député en région. Plus facile quand tu restes à Montréal, voire à Québec. Marie-Claude Perron, son épouse, l’admet: «Il se fend en quatre pour gérer ça comme il faut.»
Les amoureux, qui furent d’abord des amis d’enfance, ont conclu un pacte: la politique n’aura pas préséance sur le reste, comme c’est souvent le cas. La famille restera toujours le centre de l’univers du candidat Cloutier. Mais la politique est omniprésente: «C’est mon mari, mais c’est aussi mon député», résume Mme Perron.
Téléphone intelligent
Quand il ne peut faire autrement, le député Cloutier utilise son téléphone intelligent, une merveilleuse invention qui permet de regarder nos interlocuteurs. «Facetime a changé la vie des parents», raconte le député en préparant un expresso au représentant du Journal.
«La règle d’or, c’est que papa répond quand les enfants appellent. Mon entourage est prévenu. Peu importe où je suis, en réunion ou pas. Même au salon bleu, je sors quelques minutes pour leur parler...»
La matinée est ensoleillée, le lac Saint-Jean, d’une immaculée blancheur. Le député Cloutier tend le doigt: «Avec ma femme, c’est là que ça s’est passé. Elle était chez ses parents qui restent à côté. Je l’ai vue passer en célibataire sur la plage et je me suis dit que je ne la laisserais pas repasser...»
Reste que la politique n’est pas facile. On a beau avoir la trentaine encore solide, le rythme de vie est exténuant. Une course à la direction d’un parti, c’est une campagne électorale, en plus modeste. Mais c’est quasiment pareil, surtout sur le plan du kilométrage.
«Mais j’aime ça»
Une semaine peut le mener de Québec à Montréal, ensuite à Rouyn, puis à Amos, avant de dormir à Chibougamau pour rentrer à la maison le lendemain, “brûlé raide”. «Mais j’aime ça», dit le jeune père en déballant un jouet.
La fois où il a battu Bolduc chez lui...
À son entrée en politique en 2007, Alexandre Cloutier a d’abord dû venir à bout de la réticence d’André Boisclair. Son ami Stéphane Tremblay démissionnait, il a voulu d’emblée lui succéder. L’investiture de Lac-Saint-Jean semblait n’être qu’une formalité. C’était mal connaître André Boisclair, nouvellement élu chef du PQ. Alexandre Cloutier s’en souvient... Avec un détachement qui fleurait le mépris, l’ancien chef péquiste lui a lancé:
«Quand t’auras vendu 1000 cartes de membre, tu reviendras me voir...»
Piqué au vif, vexé, Alexandre Cloutier s’est promis de lui en faire voir, des cartes...
«Il n’y a pas un salon de coiffure que je n’ai pas fait, pas un resto où je ne suis pas allé; je savais quel cuisinier avait sa carte du PQ. J’ai vendu 2000 cartes. Et, quand les élections sont arrivées, 10 % de la population était membre du PQ. C’est plus de 4000 personnes!» raconte avec verve le député Cloutier.
Il a affronté ensuite une vedette locale: Yves Bolduc, un fier fils du Lac-Saint-Jean, lui aussi. Un docteur, quelqu’un de bien vu à cette époque et qui devait briller parmi les meilleurs.
«Les libéraux ont mené une grosse campagne. Jean Charest et Philippe Couillard étaient toujours rendus dans le comté pour aider Bolduc.»
«Mais ils ne pouvaient pas me battre. J’ai gagné avec une grosse majorité. J’ai obtenu 46 % des suffrages. Et Bolduc a été obligé de déménager à Québec», se souvient le député de Lac-Saint-Jean, qui a obtenu son quatrième mandat en 2014.
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